« La bande dessinée anti-chrétienne », Il est vivant !, 234 (janvier 2007), p. 20-21.
Existe-t-il des bandes dessinées anti-catho ? Oui. Minoritaires mais assez virulentes.
Si l’on considère leur relation à la foi, on pourrait dire que les BD se répartissent entre deux pôles, l’un explicitement religieux, l’autre tout aussi expressément anti-religieux et, ici, anti-catho.
À une extrémité, on trouve les albums religieux, non seulement par le contenu (ils mettent en images la Bible ou la vie des saints), mais par leur perspective didactique et confessante.
Nous rencontrons ensuite des BD respectueuses de la foi, mais décalées, par exemple par leur humour (Le chat du rabbin, 4 tomes, nous fait partager les questions théologiques et existentielles d’un chat qui parle depuis qu’il a avalé un perroquet) ou par leur usage du spectaculaire (Le Secret de l’arche, 2 tomes, propose une adaptation du Livre des rois en louchant légèrement du côté des Aventuriers de l’arche perdue).
Les BD ésotériques, elles, se situent en marge des religions officielles et s’inscrivent en désaccord. En effet, l’histoire nous apprend que les hermétismes (nom savant pour ésotérisme) suivent les grandes religions comme leur ombre et s’en nourrissent comme de leur proie : ainsi la kabbale vis-à-vis du judaïsme orthodoxe (cf. Le 36ème juste, 3 tomes). De fait, bien des titres d’album empruntent au monde biblique ou à la tradition chrétienne : Qumran (2 tomes), Tentation de Satan (3 tomes), Paradis perdu (3 tomes), Purgatoire (3 tomes), Nicolas Eymerich inquisiteur, etc.
Grosso modo, la perspective ésotérique se caractérise par les traits suivants qui sont autant de réactions à l’égard de la foi chrétienne et, plus généralement, monothéiste : salut par la gnose (le savoir) versus la foi ; panthéisme versus Dieu transcendant la création ; dualisme lumière-ténèbres versus création unifiée ; acquisition de pouvoirs magiques versus service aimant de l’autre. Pour ne donner qu’une illustration du premier point, la série Le linceul (3 tomes), sur le Saint Suaire de Turin, en propose une approche exclusivement scientifique et conclut qu’il en existe au moins cinq…
Selon le décompte opéré par le site planetebd.com, qui présente une entrée « Ésotérisme » (à distinguer du Fantastique ou des Mondes décalés), sont parus 92 titres entre février 2002 et octobre 2006, soit plus de 3 % de la production. Mais ce chiffre sous-estime largement la réalité, car les thèmes ésotériques faisandent généreusement l’imaginaire de la science-fiction – Valérian ne se contente pas de singer la Trinité (Les foudres d’Hypsis, Par des temps incertains), il promène son héros dans un monde transcendant les clivages religieux – ou du fantastique – sans même évoquer la saga Thorgal, la BD-culte des mêmes auteurs, Van Hamme et Rosinski, Le grand pouvoir du Chninkel, est un démarquage gnostique de l’épopée davidique déjà évoquée.
Maintenant, grande est la diversité entre ces BD à fond gnostique ou ésotérique, de l’allusion ironique – Jodorowki égratigne le Techno-Vatican et les techno-évêques dans les tomes 5 et 6 des Technopères –, en passant par la relecture violente des quatre évangiles de Troisième Testament – quête d’un document écrit par Dieu lui-même, détenteur de la puissance infinie du Verbe – jusqu’à l’attaque frontale et violente contre le catholicisme – Le Triangle secret (7 volumes), I.N.R.I. (3 volumes sur 4) et la collection explicitement maçonnique « La loge noire », dirigée par Didier Convrard chez Glénat. Nous aboutissons ainsi au second pôle, proprement anti-catholique.
Un exemple
Développons l’exemple de Didier Convrard, scénariste et directeur de la collection « Loge noire » chez Glénat ne cache pas son appartenance à une loge maçonnique (cf. les deux albums explicatifs : Dans le triangle secret ; Géométrie mortelle). La franc-maçonnerie n’est d’ailleurs pas seule à s’auto-promouvoir, puisqu’il existe désormais une série intitulée La Rose et la Croix. Sous Da Vinci Code, les albums des séries « Loge noire » partagent avec le roman les mêmes attaques réglées contre les trois points (!) essentiels de la foi chrétienne (je reprendrai la BD Le triangle secret, Glénat, 7 volumes, 2000-2004) :
- La Parole de Dieu : au Nouveau Testament qui, mis en ordre par l’Église, est suspecté, se substituent les écrits gnostiques, les manuscrits de la Mer morte, voire un évangile écrit par le Christ en personne.
- Le Christ : si l’on affirme son existence historique, en revanche on réduit son identité (il est homme et non pas Dieu), on reconstruit sa vie (il était essénien, fut initié, voire fut le premier frère maçon) et sa mort (il ne fut pas crucifié ; voire, I.N.R.I. prétend donner une version scientifique de la résurrection interprétée comme une escroquerie).
- L’Église : autant le Christ fascine, autant celle-ci est vivement critiquée, en son histoire (qui se réduit aux clichés habituels sur l’Inquisition, la Croisade contre les Cathares, les Templiers) et en sa structure (qui se résume à des luttes de pouvoir impitoyables entre d’infâmes cardinaux qui cherchent à faire élire leur candidat au prix d’une série de meurtres sanglants).
Bref, ces albums se nourrissent d’un fort anti-catholicisme.
Sur ces trois sujets, lire ou relire la mise au point essentielle offerte par l’Instruction Dominus Jesus (2000) que l’on trouve sur le site du Saint-Siège en français.
Pour tout ce qui touche au Jésus historique, je renvoie à la somme de John P. Meier, Un certain Juif Jésus. Les données de l’histoire, trad. Jean-Bernard Degorce, Charles Ehlinger et Noël Lucas, coll. « Lectio divina », Paris, Le Cerf, 4 vol., 2004-2009. Le chapitre 30 du 3ème volume, 2005, sur Jésus et des Esséniens, montre notamment combien celui-ci est très éloigné de leurs préoccupations rituelles.
Pour l’histoire de l’Église aussi malmenée que méconnue, cf. les heureuses mises au point, équilibrées et sérieusement documentées, de Jean Dumont, L’Église au risque de l’histoire, Criterion, 1982, confirmées et mises à jour par Jean Sévillia, Historiquement correct. Pour en finir avec le passé unique, coll. « Tempus », Perrin, 2003.
Complot contre l’Église ?
D’abord, si ce dernier genre a du succès, il demeure très minoritaire. Ensuite, ce serait oublier que les autres religions monothéistes ont aussi droit à leur relecture (dans les 10 volumes du Décalogue, la découverte d’une nouvelle sourate, écrite par Dieu, contredit la version othmanienne du Coran et menace d’ébranler l’Islam). Enfin, cet appel aux thèmes gnostiques montre que la BD (comme le cinéma ou la littérature) suit – mais aussi relaie – l’évolution de notre relation au religieux. Pendant des décennies, le neuvième art est demeuré majoritairement profane, quoiqu’imprégné de valeurs chrétiennes, l’illustration la plus typique étant le boy-scout Tintin. Mais, depuis plus d’une vingtaine d’années, il est touché par une vague de « religieux sauvage » auparavant marginal. Un signe : la présence nouvelle et massive des anges (Paradis perdu, Elle, Mèche rebelle, La voix des anges, Les immortels, etc.), démons (Jessica Blandy, tomes 9 et 10, Namara, tome 1, etc.) et apparentés comme les stryges. Il demeure que, surtout chez un public massivement ignorant en matière religieuse, la BD façonne un imaginaire et suscite des sentiments et, pour les dernières séries, un ressentiment contre l’Église.
Alors, B.D. : Bonté de Dieu ou Beauté du Diable ? Pour certaines, l’une ou l’autre, assurément. Mais ne devenons pas parano, avec l’aide d’un Bienveillant Discernement, c’est d’abord synonyme de : Bonne Détente !
Bibliographie
Jean-François Galinier-Pallerola, « Théologie et bandes dessinées, une étrange rencontre », Etudes, septembre 2004, p. 264-267. L’auteur, historien et théologien enseignant à l’Institut Catholique de Toulouse, note que le climat a changé, entre la BD plus New Age type Valérian du siècle dernier, et la nouvelle BD qu’il estime très confessionnelle, qu’il s’agisse de foi juive, musulmane, catholique ou franc-maçonne : « En 2003, le nombre de nouveaux albums de B.D. à thématique religieuse est surprenant » (p. 266).