Comanche. Une histoire d’amitiés

Comanche. Une histoire d’amitiés

Un beau modèle d’amitié est offert par la bande dessinée remarquable à bien des points de vue de Greg (le scénariste) et Hermann (dessinateur), Comanche. Pour l’illustrer, je ferai appel au cinquième volume de la série –peut-être le meilleur, ce qui ne veut pas dire le moins violent –, Le désert sans lumière[1]. Y sont clairement mises en scène vraies et fausses amitiés, amitiés et inimitiés, voire l’amitié avec l’animal.

1) Les vraies amitiés

La vraie amitié est celle qui lie le héros, Red Dust, et les habitants du ranch Triple 6, comme Ten Gallons, Toby-face-sombre, Clem-cheveux-fous– en particulier, sa propriétaire, Comanche. Le signe en est que Dust est disposé à donner sa vie pour elle. Plus que cela, libéré sous caution du bagne où il y fut incarcéré pour meurtre, Dust ne retrouve goût à la vie qu’en étant prêt à donner la sienne : « Il n’y a plus beaucoup d’enjeux qui me donnent encore la volonté de me battre, Ten… Mais s’il n’en restait qu’un, ce serait bien la vie de Comanche ! » (p. 46. Souligné par moi)

Le fruit de cette réelle amitié est de permettre à Dust de croire qu’il va pouvoir sortir de cet enfer que fut le bagne, car « Dust a découvert qu’il n’était pas seul dans son désert… […] La route sera encore longue et dure… Mais si on la fait ensemble, je commence à croire qu’au bout, il y aura la lumière… » (p. 48)

Certaines relations paraissent dures, mais sont finalement porteuses d’amitié, car elles sont fondées sur la vertu, l’honnêteté (« C’est un type bien » : p. 19). Tel est le cas de la relation existant entre le shérif Wallace et Dust, lorsque la « Comtesse » qui tient le saloon de la ville de Greenstone Falls et Dust (p. 16) ; tel est aussi le cas de la comtesse qui n’hésite pas, elle non plus, à risquer sa vie (cf. p. 39)

En effet, Aristote observait que seule la vertu fonde l’amitié – voilà pourquoi il la qualifie d’« honnête » – et en assure la stabilité.

2) La fausse amitié

En regard, il y a la bande de Shotgun Marlowe. À la tête d’une bande de vingt pistoleros « à front bas », un des pires tueurs auxquels Dust doit se confronter (p. 23). Ils volent et massacrent, mais leur amitié est factice – la fausse amitié entre canailles qu’analyse avec profondeur Lewis dans son essais Quatre amours –. C’est ce qu’atteste Marlowe lorsqu’il n’hésite pas à tuer trois de ses hommes pour « se faire » Dust : « Trois crétins trop bêtes pour m’être utiles, ça ne fait pas un rempart solide, Dust ! » (p. 41)

3) Les inimitiés

La vraie amitié ne s’oppose pas qu’aux fausses amitiés fondées sur le vice, mais aussi aux inimitiés, comme celles qui opposent le contre-maître Ken, un homme vaniteux qui jalouse Dust à son retour au ranch, et celui-ci ou l’apache Tache-de-lune (p. 9 à 11) ; comme celle du prétentieux deuxième adjoint du shérif, le jeune Davis et de Dust, le premier cherchant à humilier le second – son mépris (cf. p. 31) étant toutefois suivi d’un regret tardif (« je ne pensais pas la moitié » : p. 39).

4) Un élargissement de l’amitié

Il n’est pas jusqu’à la relation à l’animal qui ne soit une aide pour redécouvrir l’amitié : Dust découvre l’amitié de son Palomino. En effet, après vingt mois de bagne, cela prend du temps pour redécouvrir l’amitié : « L’amitié des hommes, commente Comanche, c’est un peu plus tard qu’il y croira de nouveau… Le cœur, ça se remet à battre autrement » (p. 12).

5) L’amitié, une histoire et une décision

L’intrigue nous raconte comme une rééducation : comment croire à l’amitié et plus généralement à une relation humaine, lorsqu’on en a été coupé, dans le pire des bagnes ? Pour redécouvrir cette valeur, il faut du temps, donc l’inscription d’une histoire, tissant ombres et lumières, solitude du désert et amitié du ranch (d’où le titre de la BD). C’est aussi l’histoire d’une décision, celle de sortir du fatalisme qui est une posture victimaire. Il s’agit de choisir entre le destructeur repli sur soi et la bienheureuse ouverture aux autres. C’est ce que Comanche affirme avec force à Dust: «À vous de choisir. Ou vous traversez le désert en serrant les dents, ou vous vous asseyez par terre et vous pleurez sur votre sort. Il faut décider maintenant ! » (p. 11).

La force du scénario de Greg est d’avoir pu raconter cette forte histoire de rédemption, tout en entraînant dans une aventure riche en suspense. Le désert sans lumière est un conte moral, qui toujours évite le piège du moralisme.

[1] Paris-Bruxelles, Ed. du Lombard, 1978.

27.6.2017
 

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