Cours de Psychologie Chapitre 3 Inné et acquis. Introduction

A) Introduction

1) Objet

Nous venons de traiter de la géographie de l’être humain avec la caractérologie. Puis, nous avons considéré son histoire à partir des âges de la vie. Peu importe ici s’il y a d’autres manières d’envisager ces deux approches, synchronique et diachronique, de la personne. Or, la géographie est à l’histoire ce que l’inné est à l’acquis. De même que l’histoire humaine d’un pays est partiellement façonnée par ses reliefs, ses frontières, les ressources de son sou-sol, son climat, de même notre évolution dépend partiellement des caractéristiques natives dont nous héritons, qu’elles soient physiques ou psychiques. Et, d’emblée, vous le pressentez, la question se pose de savoir quel sens, quelle pondération nous donnons à l’adverbe « partiellement ».

2) Importance

a) Actualité de la question : l’innéité de l’homosexualité

On se souvient du débat autour de certaines propositions de Nicolas Sarkozy.

Philosophie magazine. Dialogue entre Michel Onfray et Nicolas Sarkozy, juillet 2007

« Nicolas Sarkozy : Mais que faites-vous de nos choix, de la liberté de chacun ?

Michel Onfray : Je ne leur donnerais pas une importance exagérée. Il y a beaucoup de choses que nous ne choisissons pas. Vous n’avez pas choisi votre sexualité parmi plusieurs formules, par exemple. Un pédophile non plus. Il n’a pas décidé un beau matin, parmi toutes les orientations sexuelles possibles, d’être attiré par les enfants. Pour autant, on ne naît pas homosexuel, ni hétérosexuel, ni pédophile. Je pense que nous sommes façonnés, non pas par nos gènes, mais par notre environnement, par les conditions familiales et socio-historiques dans lesquelles nous évoluons.

Nicolas Sarkozy : Je ne suis pas d’accord avec vous. J’inclinerais, pour ma part, à penser qu’on naît pédophile, et c’est d’ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie. Il y a 1200 ou 1300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n’est pas parce que leurs parents s’en sont mal occupés ! Mais parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable. Prenez les fumeurs : certains développent un cancer, d’autres non. Les premiers ont une faiblesse physiologique héréditaire. Les circonstances ne font pas tout, la part de l’inné est immense ».

Le Figaro, 9 avril 2007

Les déclarations de Nicolas Sarkozy, le candidat de l’UMP, dans Philosophie Magazine, sur une éventuelle prédestination génétique des pédophiles et des suicidaires continuent de nourrir la polémique. Existe-t-il « une société démocratique dans le monde, aujourd’hui, où l’on accepterait l’idée selon laquelle un enfant serait génétiquement condamné à être pervers ou être suicidaire ? », s’est élevé, samedi sur France 3, François Bayrou. « Ce qui me paraît plus grave, c’est l’idée que l’on ne peut pas changer le cours de l’existence », a critiqué l’archevêque de Paris Mgr André Vingt-Trois sur RTL. Enfin, le généticien Axel Kahn a jugé « relativement grave » l’existence de « tout un courant qui prétend que les gènes sont tellement déterminants […] qu’ils sont responsables de certains désordres de la société et que, par conséquent, la contrainte, les difficultés économiques, les malheurs sociaux n’y sont pour rien ». De son côté, Nicolas Sarkozy a dit qu’il « ne souhaite pas polémiquer ».

Libération, 12 avril 2007

« Pourquoi avoir déclaré que la pédophilie était génétique ?

Nicolas Sarkozy : Je n’ai pas dit exactement cela. J’ai expliqué que tout ne dépendait pas de l’acquis, mais qu’une partie pouvait être de l’inné. Dans quelle proportion ? Je ne suis pas savant. Par exemple, quand j’étais enfant, j’étais choqué parce que l’on expliquait, quand un enfant était homosexuel : « Sa mère a eu tort, elle a dormi avec lui ». Quand un enfant était anorexique, on disait : « Le père était absent. » Quand un enfant était autiste, on disait : « Oh là ! Les parents ont divorcé, cela a provoqué un choc. » Depuis, on sait que l’autisme, c’est génétique. Je pense aussi que la sexualité est une identité.

Vous avez dit que vous étiez né hétérosexuel…

Nicolas Sarkozy : Oui, je suis né hétérosexuel. Je ne me suis jamais posé la question du choix de ma sexualité. C’est pour cela que la position de l’Eglise consistant à dire « l’homosexualité est un péché » est choquante. On ne choisit pas son identité. Vous, à quinze ans, vous vous êtes demandé : « Au fond, suis-je homosexuel ou hétérosexuel ? »

Vous pensez qu’on exagère la part de l’acquis dans la mentalité contemporaine ?

Nicolas Sarkozy : On a l’identité qu’on a. De la même façon qu’il y a des gens qui ont tendance à grossir et d’autres pas, des chauves et des chevelus, des petits et des grands… Nous sommes six millions de migraineux. C’est totalement héréditaire. Ma mère était migraineuse, mes fils sont migraineux. C’est un patrimoine génétique ».

b) Quelques autres enjeux pratiques

À trop souligner la part d’inné, on ne bouge pas : « Je suis comme cela » ; « J’ai toujours été angoissé, je n’y peux rien » ; « J’ai une nature colérique, les autres doivent faire avec ». Tant de paroles de ce genre sont victimaires. Elles font souffrir l’entourage ; elles nous font souffrir.

À trop souligner la part d’acquis, on sombre dans la toute-puissance (au plan psychologique), le volontarisme (au plan éthique) et le pélagianisme (au plan théologal).

Et, comme toujours, extrema se tangunt : celui qui croyait à son omniplasticité finit par se décourager et sombrer dans la passivité acédique et désespérée.

3) Quelques questions et difficultés

La question posée par la part de l’inné et de l’acquis est loin d’être simple. Elle est même passablement embrouillée. Quelques interrogations suffiront à montrer l’arduité des problèmes posés : quelle est la part respective de l’inné et de l’acquis ? l’homme est-il naturellement (nativement) enclin au bien ou au mal ? Peut-on naître homosexuel, ou, mieux, est-il possible qu’un l’homme soit enclin de manière innée à l’homosexualité ?

La part de l’inné et de l’acquis pose avant toutes trois grandes questions : sa signification ; son extension ; son évolution ou son changement ; la part laissée à la liberté. Ces interrogations touchent aux problématiques fondamentales de la métaphysique : l’un et le multiple (le particulier et l’universel) ; la nouveauté et la mêmeté ; la liberté et la nécessité.

a) La signification

Inné est-il synonyme d’héréditaire, voire de génétique ? signifie-t-il naturel ?

Ce qui est inné s’oppose-t-il à ce qui est culturel ?

b) L’extension quant à l’objet

Qu’est-ce qui, en l’homme, est inné ? Par exemple, tout individu est-il enclin au bien ?

L’homme est-il fait pour Dieu de manière innée ?

La différence homme-femme est-elle innée ? Est-elle acquise, construite ?

Tout homme possède-t-il des dons, des talents, de manière innée ?

Peut-on être enclin au mal ?

c) L’extension quant au sujet

Cette question de l’extension renvoie aussi aux relations entre le singulier et l’universel. D’un côté, chaque homme possède en lui tout ce qui est commun à tous les hommes : intelligence, donc curiosité, ouverture au vrai ; sensibilité, donc goût pour l’esthétique ; volonté, donc inclination au bonheur ; inclination à l’autre, donc la générosité altruiste ; etc. Il semble donc que l’on soit ouvert à tout et, potentiellement, capable de toutes les évolutions, devenir Mozart autant que Mère Teresa.

De l’autre, nous le savons de plus en plus, nos capacités sont non seulement liées à un environnement culturel, mais sont spontanément préorientées. C’est ainsi qu’il existe plusieurs formes d’intelligence, que nos émotivités sont diverses, que notre goût pour l’action est lui-même varié, etc.

d) L’évolution

Aimons-nous spontanément tous les hommes ? Ou parvenons-nous progressivement à cet amour universel ?

Pouvons-nous tout devenir ? Y a-t-il en nous de quoi devenir Mozart ou Eddie Meerckx ? Certes, avec de l’entraînement et plus de temps.

Tout homme peut-il devenir saint ? Tout homme peut-il changer ? Tel est notamment le problème posé par les personnalités narcissiques.

e) La part de la liberté

Ce qui, en moi, est inné, me détermine-t-il ou me conditionne-t-il ? Par exemple, sommes-nous déterminés au bonheur ? Pour certains, je suis ligoté. Pour d’autres, je ne suis que disposé.

Pascal Ide

 

14.2.2022
 

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