4) L’apprentissage du côté de l’éducateur
Après avoir considéré l’enseigné, considérons maintenant l’enseignant. En effet, si déterminant soit le rôle de l’enfant dans son apprentissage, il ne peut totalement se passer de l’aide d’un autre qui sait.
a) La nécessité d’une guidance personnelle
1’) Énoncé de la loi
La recherche autodidacte, autrement dit l’abandon de l’enfant totalement à lui-même est à proscrire. L’apprentissage passe à travers l’interaction interpersonnelle, à travers l’attention qu’un adulte accorde à un enfant. Dans le langage des neurosciences et de la neuropédagogie, le développement linguistique, cognitif et émotionnel se réalise par le biais social.
2’) Preuve scientifique
Un chercheur a recensé une dizaine d’études montrant qu’un enfant qui doit découvrir seul les règles gouvernant un domaine éprouve de très grandes difficultés et court le risque de se décourager. De plus, une telle méthode est très peu efficace, en tout cas beaucoup moins que celle qui lui adjoint un guide [1].
Par ailleurs, une expérience dirigée par une neuroscientifique experte de l’acquisition du langage chez les bébés, Patricia Kuhl, ruine cette intention. Nous avons vu que le bébé présente une période sensible entre 9 et 12 mois où il est capable d’entendre tous les sons de toutes les langues du monde : avant, l’élagage synaptique n’a pas encore eu lieu ; après, il a eu lieu. Patricia Kuhl et son équipe décident d’exposer des bébés anglophones de 9 mois à du mandarin, à raison de 12 sessions de 25 minutes. Cette exposition se fait selon trois modalités : un premier groupe de bébés bénéficie d’un adulte chinois qui vient lire des histoires et interagir avec lui ; un deuxième bénéficie du même adulte narrant des histoires, mais à travers une vidéo ; enfin, un troisième groupe n’entend que la bande sonore de la même vidéo.
Les chercheurs s’attendaient à ce que les deux premiers groupes atteignent les mêmes performances en mandarin, puisque, à chaque fois, l’enseignement s’est opéré à travers le canal visuel ou plutôt audiovisuel versus le seul canal auditif. Mais, à leur grande surprise, la ligne de partage passe entre le premier groupe et les deux autres. Précisément, le premier groupe a vraiment pu bénéficier de l’apprentissage en chinois, mais point les deux autres. Or, ici, la différence ne touche plus les canaux sensoriels mobilisés, mais la personne émettrice, c’est-à-dire la présence ou l’absence d’un être humain en chair et en os [2].
3’) Interprétation philosophique
Dans cette interrelation se vit une présence et une dynamique donation-réception, donc un amour et un esprit.
4’) Applications pédagogiques
L’application est radicale. Nous savons aujourd’hui qu’il y a une explosion des DVD à visée d’apprentissage dont on vante les vertus. Les expériences montrent qu’il faut en finir avec les télé-enseignements et autres méthodes lobotomisantes. Plus, il faut bannir tout écran avant trois ans pour des raisons de très grande nocivité : l’écran, comme le smartphone, l’ordinateur, la télévision, rend passif ou excité ; or, les cerveaux des enfants sont en pleine maturation, donc exigent d’être stimulés, c’est-à-dire ni anesthésiés, ni excités.
Une autre leçon pédagogique est que la guidance doit être individualisée.
b) La loi générale de proportion
Nous aboutissons à un paradoxe. D’un côté, nous affirmons que l’enfant doit être le plus actif et autonome possible. De l’autre, nous affirmons tout aussi clairement que l’enfant doit être guidé. Comment concilier les deux ? Saint Thomas répondait en convoquant le concept de causa adjuvans (emprunté à Averroès), autrement dit d’aide, ce que l’on pourrait formuler comme une loi : l’adulte doit aider, et seulement aider, l’enfant – ce qui signifie en creux : ne pas se substituer à lui ; ne pas l’abandonner à lui seul. Mais cette loi est encore générale. Les études permettent de la préciser et de la concrétiser. Une première loi est la loi générale de proportion.
1’) Énoncé de la loi
Dans sa formule la plus générale, cette loi peut s’énoncer ainsi : tout donateur doit se proportionner au receveur. On pourrait traduire : doit s’adapter, voire s’abaisser. C’est ainsi que la lumière si bienfaisante du soleil ne peut être reçue qu’à distance, avec le filtre de la couche d’ozone, etc. De même notre organisme ne peut recevoir la nourriture que longuement digérée et assimilée. Or, ce qui est vrai physiquement l’est aussi psychiquement. Que retiendrait un bébé d’un cours de mathématique sur le calcul tensoriel ? La loi pédagogique sera donc : l’enseignant doit se proportionner, s’adapter le plus possible à l’enseigné.
2’) Interprétation philosophique
Cette loi traduit ou plutôt applique un grand axiome métaphysique : « Tout ce qui est reçu est reçu selon le mode de celui qui reçoit [Omne quod recipitur recipitur ad modum recipientis] ».
3’) Applications pédagogiques
Le maître, l’adulte est lui-même prédisposé pour s’adapter à l’enfant : « Il semblerait que l’adulte soit câblé pour répondre à ce besoin de l’enfant [3] ». En effet, comment se fait-il que l’adulte parle spontanément le « parler-bébé » ? Celui-ci se caractérise par une voix maternante, répétitive, soulignant exagérément les voyelles. Or, la recherche montre que ces caractéristiques sont plus aisément perçues par le bébé.
Cette loi va se monnayer en différentes lois plus particulières du côté de l’éducateur.
c) La loi de mélange des âges
1’) Énoncé de la loi
Une des conséquences capitales de la loi de proportion est le nécessaire mélange des âges dans l’apprentissage. L’expérience le montre : jamais un enfant de 3 ans n’apprend mieux et autant qu’au contact d’enfants de 5 ans. Le plus talentueux des pédagogues ne pourra jamais rivaliser avec ses jeunes maîtres !
2’) Preuve scientifique
L’expérimentation le confirme. Les chercheurs ont étudié les relations d’enseignement informel au sein des fratries [4]. Ils ont alors constaté que d’une part, les aînés se placent en position de transmettre leurs expériences de manière spontanée et adaptée et que, d’autre part, les plus jeunes reçoivent de leurs enseignants avec grand sérieux et grand profit. Vigotsky a même inventé un concept pour nommer cette loi : la zone proximale de développement [5].
3’) Interprétation philosophique
Les raisons philosophiques sont multiples. D’abord, il y va d’une loi de donation, d’altruisme spontané : tout homme est heureux (et valorisé) de donner, plus, de transmettre ce qu’il a reçu.
Il y va ensuite de loi de proportion : le don n’est reçu que s’il est proportionné au récepteur ; or, un enfant est plus proche, par l’âge, la modalité de la connaissance, etc., que l’adulte.
Il y va aussi d’une loi de retour : l’enfant est assuré de savoir non pas seulement en recevant l’information, mais en la redonnant et en découvrant avec joie celle de l’apprenant. En effet, ce faisant, il consolide grandement les circuits neuronaux d’apprentissage. De fait, plus généralement, dans l’amour, celui qui donne s’enrichit d’avoir donné autant que du retour d’amour Ce qui relance le processus.
Voire il faut convoquer une loi d’enrichissement : transmettre n’est pas seulement communiquer un savoir, mais être attentif à l’autre, patient, progressif, pédagogique, etc.[6] Autant de valeurs ajoutées et de ressources que l’enfant doit trouver.
Enfin, il y va d’une loi de communion. En effet, la communion est un échange de dons, un va et vient entre donation et réception ; or, nous venons de voir qu’ici tout le monde reçoit et donne à un moment ou à un autre ; donc, cette transmission entre des enfants différents non seulement en âges, mais aussi en milieux, accroît la communion, c’est-à-dire concrètement, la cohésion, la chaleur et la sécurité au sein de la classe.
Au fond, cette loi de mélange des âges est une incarnation admirable de la grande loi de la dynamique du don : recevoir (gratuitement) pour donner (gratuitement) (cf. Mt 10,8). Voilà pourquoi Céline Alvarez ose affirmer que « une des règles fondamentales de la nature, qui veut que l’être humain apprenne et s’entoure d’êtres qui n’ont pas le même âge que lui : qui sont un peu plus jeunes ou un peu plus âgés, ce qui lui permet à la fois d’enseigner un peu, tout en modélisant le comportement d’un aîné qui le fascine [7] ».
Tel est le sens extraordinairement positif de la diversité, ici des générations, si complémentaire de la diversité des sexes. Autant la première donne à voir la dynamique verticale et en cascade, autant la seconde donne à voir la dynamique horizontale et circulaire (mais asymétrique) de la communion.
4’) Applications pédagogiques
L’application pédagogique est aussi simple que révolutionnaire : foin des classes mono-âges ; vivent les classes multi-âges ; ce faisant, en passant d’une transmission seulement verticale d’information à une transmission horizontale, l’énergie se redistribue et recharge ainsi l’adulte.
d) La loi d’imitation du plus proche
La principale interaction entre enseignant et enseigné est l’imitation. Céline Alvarez précise avec profondeur à propos de l’enfant : « Nous pensons qu’il nous imite, mais il serait plus exact de dire qu’il manifeste à l’extérieur ce qui s’est encodé à l’intérieur [8] ». Le fait est trop connu et trop exploré pour qu’il vaille la peine d’insister. D’ailleurs, notre auteur ne le développe pas. En revanche, elle l’incarne dans une loi que j’intitulerai la loi d’imitation du plus proche, qui est au croisement fécond de cette loi universelle de mimésis et de l’autre loi universelle de mélange des âges.
1’) Énoncé de la loi
Un enfant n’apprend jamais aussi bien que par un autre enfant, notamment un peu plus âgé que lui. « Aucun enseignant ne peut rivaliser avec la facilité de transmission de savoirs entre enfants d’âges différents [9] ». De fait, « les petits absorb[ai]ent très vite les éléments transmis par leurs aînés ».
2’) Preuve scientifique
Il y a à ce fait capital plusieurs raisons. La première se trouve du côté de l’imitateur : « La fascination qu’exerce un enfant de 5 ans sur un enfant de 3 ans est exceptionnelle ». La deuxième se trouve du côté de l’imité : les grands aim[ai]ent montrer ce qu’ils sav[ai]ent aux plus petits ». La troisième tient dans l’interconnexion : la proximité favorise l’assimilation.
3’) Interprétation philosophique
La première loi se fonde sur la mimésis, établie par Girard et les anthropologues. La deuxième se fonde sur la loi d’autocommunication, donc de don de soi, présente en chacun ; il peut s’ajouter le besoin de reconnaissance, le plaisir de renforcer ce que l’on sait. La troisième se fonde sur la loi de proportion du don.
e) La loi d’ostension
1’) Énoncé de la loi
Une autre règle de guidance est l’intention monstrative. Celle-ci consiste dans l’attitude de l’adulte qui exprime à l’enfant un enseignement important par des signes sociaux ostensibles. Par exemple, en le regardant dans les yeux, en lui parlant chaleureusement ou en pointant du doigt une chose ou un événement dans l’environnement.
2’) Preuve scientifique
L’expérience et l’expérimentation montrent que le bébé est particulièrement sensible à ces signes [10] : il devient spontanément attentif, se tait, mobilise son énergie. Et nous savons maintenant que son cerveau s’apprête à recevoir la nouvelle information. Cela est déjà vrai de l’adulte ; cela l’est encore davantage de l’enfant et du petit bébé (mais beaucoup moins pour l’adolescent !).
3’) Interprétation philosophique
Cette loi incarne une grande vérité pédagogique qui est au cœur du De magistro de saint Augustin (ainsi que de saint Thomas) et même de toute l’anthropologie augustinienne : l’homme parvient à la vérité par des signes. En effet, l’ostension est le geste par lequel le maître fait signe. Le terme index lui-même le dit.
De plus, cette loi met en exergue la médiation singulière du langage. En effet, le mot est le signe, c’est-à-dire la manifestation apparaissante (Erscheinung) la plus proportionnée au concept de l’intelligence (Grund). Ainsi, tout déficit en langage se solde par un déficit net en intelligence. De plus, si le signe surgit du concept, il exerce une rétroaction sur le fond : plus le mot est précis, plus le concept le sera, plus l’intelligence entrera dans une véritable rigueur.
Enfin, la loi d’ostension souligne la prédisposition de l’enfant à l’apprentissage et, en ce sens, à la confiance et à la docilité. Il s’agit aussi d’un besoin d’interaction qu’une autre loi précisera. En effet, l’attention est partagée : à l’attention cognitive de l’enfant correspond une attention bienveillante, un souci à donner.
4’) Applications pédagogiques
Les conséquences pédagogiques sont manifestes : l’adulte qui veut enseigner l’enfant doit employer une autre attitude et un autre langage que celui utilisé dans l’interaction seulement communicative, ordinaire ; la guidance doit être démonstrative, passer par des signes clairs ; l’éducation suppose de la part de l’éducateur une attention (aux deux sens du terme).
Cette loi appelle une rigueur et une précision dans le signe : « Une grande exigence envers l’enfant implique avant tout une grande exigence envers soi-même [11] ». Par exemple, Céline Alvarez dit d’elle et d’Anna, son assistante : « nous veillions à parler de manière correcte et argumentée, avec un vocabulaire précis et adapté ». Exemple :
« Lorsqu’un enfant nous demandait par exemple : ‘Est-ce qu’il va neiger ?’ Nous ne disions jamais : ‘Je crois pas’, en passant à autre chose, mais plutôt : ‘Je ne crois pas. J’ai écouté la météo ce matin à la radio, et l’animateur a précisé qu’il n’allait pas neiger mais qu’il allait faire très froid. Regarde le ciel. Il n’est pas assez couvert pour qu’il neige’ [12] ».
Autre conséquence : le choix du bon mot. Céline Alvarez se refuse à employer le trop facile « truc », « chose », etc. « Nous prenions toujours le temps de réfléchir lorsque le mot ne nous venait pas immédiatement et nous expliquions aux enfants : ‘Attends une seconde, je cherche le bon mot pour te dire ce à quoi je pense’ [13] ».
f) La loi d’intervention minimale
1’) Énoncé de la loi
Autant il est important que l’adulte soit là et guide, autant il ne doit pas intervenir de manière trop explicite. Par exemple, dans l’apprentissage de la lecture, l’adulte doit donner les correspondances entre les lettres et les sons, que l’enfant ne peut découvrir par lui-même ; puis, il doit le laisser explorer le son que fera une suite de lettres.
3’) Interprétation philosophique
La raison a déjà été vue : d’abord, l’enfant est animé par un désir spontané de savoir, comprendre, explorer ; ensuite, plus il découvre par lui-même, plus il est autonome ; plus il est autonome, plus il se réjouit de sa découverte ; plus il est enthousiaste, plus il intègre.
Cette loi pose une question théorique : l’enseignant doit-il ou non intervenir ? Mais elle pose d’abord une question pratique : jusqu’à quel point l’adulte doit-il intervenir ?
La réponse théorique me semble être : l’enseignant doit apporter l’aide la plus légère, la moins appuyée possible. Je la complèterai par une deuxième règle : l’enseignant doit demeurer le plus extérieur, donc le moins invasif possible. Peut-on davantage préciser ? Par exemple, partir de la loi du retrait ? Ce point mériterait d’être exploré…
4’) Applications pédagogiques
La réponse pratique doit notamment se fier aux marqueurs affectifs : assez d’obstacles pour maintenir la motivation ; mais pas trop pour ne pas conduire au découragement. Du côté de l’enseignant, la règle semble être l’essai-erreur, au point que Céline Alvarez dit avec mesure et sagesse : « L’adulte qui commence un tel accompagnement doit faire preuve d’une grande bienveillance avec lui-même, et s’autoriser de nombreuses erreurs [14] ». La loi d’apprentissage par correction, donc par intégration de l’erreur, vaut donc pour l’adulte autant que pour l’enfant. En effet, l’environnement est éminemment complexe et changeant ; seul saura enseigner celui qui d’abord se laisse enseigner.
g) La loi d’encouragement maximal
1’) Énoncé de la loi
La loi de l’intervention minimale doit être aussitôt doublée par une loi de l’encouragement maximal. Cela signifie que l’éducateur, le parent, l’adulte doit, de l’extérieur, stimuler et faire retour à l’enfant.
Concrètement, cette loi se traduit par le fait que l’adulte accompagne verbalement et non-verbalement (par le regard attentif, le sourire, la présence sécurisante). Par ailleurs, l’adjectif maximal s’entend de la présence, pas du nombre de paroles ou de gestes, qui, même visant l’encouragement, doivent être discrets, mesurés.
2’) Interprétation philosophique
La raison profonde de cette loi est, lors de l’apprentissage, du besoin d’un retour extérieur. Ce n’est qu’après que l’enfant pourra se passer de cet échafaudage et trouvera dans la seule intériorisation des résultats et une bonne confiance en soi les motivations dont il a besoin.
En se rappelant que le principal retour est celui que l’enfant se donne en ayant réussi : en le voyant, en le ressentant comme une joie.
3’) Applications pédagogiques
Cette loi dicte un juste étayage qui, pour l’apprentissage d’un geste ou d’autre chose, se traduit par les conseils suivants (avant, pendant, après) :
- montrer clairement les gestes-clés ;
- dire sa confiance (« Tu as toutes les consignes pour pouvoir y arriver ») ;
- sécuriser (« Je suis disponible en cas de besoin » ; voire, s’il y a besoin : « Je suis là et je te regarde ») ;
- se retirer, se mettre à distance sans intervenir ; parfois, s’il y a besoin, quitter des yeux ;
- laisser l’enfant pratiquer, répéter ;
- donner à l’enfant le temps dont il a besoin, pour apprendre, trouver à son rythme ;
- laisser l’enfant trouver les solutions s’il rencontre un obstacle ;
- lui apporter une aide, qui sera la plus discrète possible, s’il a trop peur ou avant qu’il ne se décourage ;
- le laisser goûter la joie de la réussite ;
- le féliciter de sa réussite ou participer à sa joie.
Après avoir vu les deux grands acteurs de l’acte pédagogique, considérons-en l’environnement. Celui-ci se dédouble, selon qu’il est principalement cognitif ou affectif (amatif).
5) L’apprentissage du côté de l’environnement ou de l’objet
L’éducateur ne suffit pas. Il faut aussi prendre en compte, de manière systémique, le milieu.
a) Un environnement stimulant
1’) Énoncé de la loi
Nous l’avons vu, ce milieu doit être stimulant pour répondre aux attentes de son cerveau, développer son psychisme.
Mais il faut aussitôt préciser que l’environnement doit être ni trop pauvre, ni trop riche. En effet, nos capacités de réception sont limitées. Donc, le cerveau, comme le psychisme, ne doit pas être surdopé : « Too much of a good thing may be bad », ainsi que le montre une étude de l’université Carnegie-Mellon de Pittsburgh [15].
Par ailleurs, cette loi se dédouble, synchroniquement (ou spatialement) et diachroniquement (ou temporellement). Non seulement l’environnement doit être raisonnablement stimulant, mais le temps de l’enfant doit être rythmé. Ainsi, les temps d’activité alterneront avec des temps de repos, les temps d’activité dirigée avec des temps libres.
2’) Preuve scientifique
Les expériences ont montré que des jouets trop colorés, trop bruyants, etc., engendrent un stress et donc sont inefficaces [16]. Un signe en est l’attitude de l’enfant qui sort de la contemplation pour entrer dans la sidération.
Une étude chez les enfants présentant des déficits d’attention le confirme. Leur environnement a été changé dans le sens suivant : moins de stimulation (moins de jouets, moins d’écrans, moins d’activités extrascolaires), plus d’initiative (moins d’activités dirigées par un adulte, plus de jeux libres, plus de temps de rêverie). Les résultats ont été spectaculaires : en seulement quatre mois, les troubles de l’attention ont disparu chez 68 % des enfants, et les aptitudes cognitives se sont accrues de 37 % [17]. Les résultats sont supérieurs à ceux observés avec la Ritaline, médicament employé pour calmer les enfants.
Les spécialistes en neuroscience ont découvert que le cerveau fonctionnait selon un « mode par défaut » [18]. De plus, nous avons vu que le fonctionnement du cerveau, surtout chez le jeune enfant, obéit à trois lois : création-multiplication, stabilisation, élagage. Or, pendant le jour, l’enfant accroît considérablement ses connexions, par les multiples expériences qu’il vit. Donc, il a besoin que ces connexions soient stabilisées et triées (élagage). Et cela ne peut s’opérer que pendant la nuit, précisément, en état de sommeil. Ainsi, les enfants présentant des troubles de l’attention et de l’apprentissage peuvent atteindre les mêmes performances d’apprentissage que les autres, s’ils augmentent la qualité de leur sommeil [19].
Inversement, on a montré que, lorsque le sommeil de l’enfant est écourté ou altéré, le cerveau n’a pas le temps de se réorganiser et la connaissance n’est pas suffisamment stabilisée ou consolidée [20].
3’) Interprétation philosophique
Nous retrouvons ici la loi du juste milieu vertueux, de l’équilibre.
4’) Applications pédagogiques
Le temps de sommeil de l’enfant doit être impérativement respecté, en sa quantité comme en sa qualité. Je renvoie à nouveau aux études collectées dans ma synthèse sur les effets toxiques de la télévision.
b) Un environnement naturel
1’) Énoncé de la loi
Comment concilier, là encore, des exigences apparemment antagonistes : un milieu riche, mais pas trop ? Le plus simple est d’offrir à l’enfant un environnement s’apparentant au milieu naturel. On entend par là, le monde tel qu’il existe, vivant et dynamique, avec ses défis physiques, ses interactions sociales variées, ses sollicitations cognitives.
2’) Preuve scientifique
Les chercheurs ont montré qu’un enfant qui joue régulièrement dans la nature possède des capacités motrices accrues, telles que l’équilibre, la coordination ou l’agilité, et un courage, c’est-à-dire une prise de risque, proportionné à ses capacités [21]. De même, ils ont mis en évidence qu’un milieu naturel stimule la plasticité cérébrale, donc libère la capacité d’apprentissage [22].
De plus, de nombreuses études établissent aujourd’hui que le contact avec la nature présente de multiples effets vivifiants pour tout l’homme : physique (par exemple, une alcanisation du milieu intérieur acidifié par les stress), moteur (par exemple, le développement de la motilité), psychologique (par exemple, la stabilisation de l’humeur), intellectuel (par exemple, la croissance de la créativité) [23].
3’) Interprétation philosophique
« L’art imite la nature », disait Aristote, formule qui doit s’entendre non d’une simple reproduction externe, mais d’une itération des dynamismes intimes. Cette grande loi vaut non seulement pour l’enseigné et l’enseignant, ainsi que nous l’avons vu, mais aussi pour le milieu éducatif.
De plus, pour employer une expression leibnizienne, existe une harmonie préétablie entre le monde et l’esprit humain : nous sommes faits pour le monde et la nature.
La conséquence en est le réalisme : « L’intelligence de l’enfant a besoin d’être en contact avec le monde. Il ne veut pas seulement qu’on le lui raconte, il lui faut le vivre et l’incarner, seul, à travers ses propres explorations [24] ».
4’) Applications pédagogiques
Le plus souvent, les classes sont des milieux appauvris et routiniers, des environnements artificiels qui « affament l’extraordinaire intelligence plastique de nos enfants [25] ». Il est aussi souhaitable que l’enfant puisse avoir des activités portant sur la nature, avec possibilité de faire des plantations, s’occuper d’animaux, etc. En effet, on a constaté qu’aujourd’hui, l’enfant sait identifier plus d’un millier de logos d’entreprises, mais moins de dix plantes originaires de leur région [26]. Enfin, le plus important ou du moins le plus urgent à retrouver dans la nature est peut-être son rythme, et son rythme saisonnier [27].
6) Le milieu enveloppant
Le milieu doit être riche non seulement en lumières informatives, donc en objets cognitifs, mais en chaleurs enveloppantes, donc en sujets aimants, et d’abord sécurisants.
a) Un environnement sécurisant
1’) Énoncé de la loi
L’enfant a d’abord besoin d’un milieu protégé, de se sentir en sécurité, pour apprendre avec efficacité.
Inversement, il est essentiel de protéger l’enfant d’un stress toxique [28]. Autrement dit, un environnement toxique présente des effets très délétères non seulement sur la personne, ce qui est bien connu aujourd’hui, mais aussi, et c’est nouveau, sur l’apprentissage, sur la maturation de l’intelligence. Déjà le stress toxique diminue les performances de l’adulte ; cela est a fortiori vrai pour l’enfant, du fait de son cerveau encore immature. De plus, se met en place un cercle vicieux : plus l’enfant subit de stress, plus son cortex préfrontal retarde sa croissance ; et plus l’enfant prend de retard, moins il sait gérer son stress.
2’) Preuve scientifique
Sur ce point, je renvoie aux travaux synthétisés par Catherine Guéguen. Ce psychiatre montre qu’un stress important et précoce entraîne une destruction de neurones, notamment du cortex préfrontal ; or, celui-ci est le siège du contrôle (de fait, c’est chez l’homme et de loin que ce cortex est le plus développé) ; donc, une fois devenu adulte, l’homme aura beaucoup de difficultés pour gérer son stress, ses émotions en général et ses impulsions. De fait, une enquête par imagerie cérébrale a montré que les adultes violents, soumis à de grandes peurs et impulsifs, ont un cortex cérébral faiblement activté – à l’instar des cerveaux de petits enfants encore immatures [29].
De nombreuses études ont désormais montré les effets toxiques sur le long terme d’un environnement éprouvant, notamment constitué par une violence physique ou verbale [30], des stress intenses, répétés ou prolongés [31]. Plus l’exposition est précoce, plus la maturation cérébrale est perturbée et les capacités psychiques sont altérées, notamment les trois compétences exécutives fondamentales déjà vues, la mémoire, l’attention et le contrôle inhibiteur, la créativité [32].
Les sciences sont heureusement sorties d’une vision déterministe et pessimiste pour proposer le concept de résilience. Celle-ci peut se développer à tout âge ; toutefois, plus elle est précoce, mieux c’est pour le psychisme, du fait de la plasticité cérébrale. De plus, la résilience passe par la médiation de tuteurs : « Le facteur le plus commun pour faire preuve de résilience, affirme The Center on the Developing Child de Harvard, est a minima de pouvoir bénéficier d’une relation stable et engagée avec un parent soutenant, un éducateur ou un autre adulte [33] ».
3’) Interprétation philosophique
La formulation de la loi est précise : il ne s’agit pas de protéger l’enfant de tout stress, mais du seul stress toxique, c’est-à-dire démesuré. Pour deux raisons. La première est objective : le monde réel n’est pas dénué d’obstacles et de dangers, que ceux-ci viennent des choses ou des personnes. La seconde est subjective : l’homme est équipé pour combattre (il possède une faculté, l’irascible ou la combativité) ; de plus, il déploie mieux et plus ses compétences, lorsqu’il s’affronte à des difficultés.
Au fond, l’affrontement du stress relève de deux vertus, le courage et la prudence.
4’) Applications pédagogiques
Avant tout, « prendre l’habitude de laisser un bébé ou un enfant pleurer lorsqu’il est en proie à des émotions de forte intensité, sous prétexte de lui apprendre à se calmer seul, est donc une très grande erreur [34] ».
De même, les parents doivent éviter le plus possible de se disputer devant l’enfant. En effet, cet événement l’expose à un grand stress. Une équipe a montré que l’enfant s’imprègne d’hormones de stress comme s’il était lui-même en situation de conflit [35].
De plus, les paroles humiliantes, les insultes et les jugements négatifs engendrent un stress qui altère les connexions impliquées dans le langage [36]. Le corps calleux peut lui-même en être atteint [37].
Lorsque le stress est dû à un autre enfant qui l’a humilié, l’enfant offensé doit être encouragé à dire son émotion, voire proposer une solution pour réparer. Une étude montre que l’adulte ayant bénéficié de ce type de soutien pendant son enfance gère beaucoup mieux son stress et ses excès émotionnels, donc est beaucoup plus protégé de ses effets délétères [38].
Céline Alvarez conseille aussi, ce qui étonnera plus d’un, de choisir, pour les activités pratiques quotidiennes, des objets cassables. En effet, « un objet qui casse offre un retour immédiat pour un geste trop brusque et invite l’enfant à réajuster ses stratégies et à davantage contrôler ses gestes ». De fait, l’expérience de Gennevilliers lui a montré qu’un environnement esthétique et fragile a fait « que les enfants ont rapidement développé des gestes délicats, ordonnés et précis [39] ».
b) Un environnement aimant
1’) Énoncé de la loi
Il est essentiel à l’apprentissage que le milieu soit bon, bienveillant, enveloppant. « L’amour est le levier de l’âme humaine [40] ». Comprenons bien le sens de cette loi. Il ne s’agit pas ici d’affirmer que l’enfant nourrit un besoin vital d’être aimé (ce qui est aussi vrai de l’adulte) et d’ailleurs aussi d’aimer – ce qu’attestent de multiples études et ce qui fut évoqué plus haut à propos de l’inclination au don –, mais que l’apprentissage requiert un milieu d’amour. Autrement dit, l’amour est utile non seulement pour la personne de l’enfant – ce qui est bien connu –, mais pour la connaissance, c’est-à-dire pour l’acquisition de compétences – et cette donnée est nouvelle.
Céline Alvarez raconte l’épisode suivant : elle croise un enfant d’environ 2 ans que son grand-père tient par la main et qui vont descendre un escalier.
« Il suffisait de voir le regard émerveillé et conquérant du petit garçon pour comprendre qu’il tenterait rapidement de se dégager du contrôle de son grand-père pour exercer de façon tout à fait stimulante sa capacité d’action. C’est en effet ce qui se produisit : il tira sur sa propre main pour inviter son grand-père à la lâcher. Ce dernier faisant de la résistance, l’injonction ne tarda pas : ‘Moi, tout seul !’ dit le petit d’un ton assuré. Le grand-père lâcha la main de son petit-fils avec précaution, mais avec confiance. L’enfant s’accrocha spontanément à la rampe pour assurer sa propre sécurité, et descendit les marches à son rythme sous le regard et la présence soutenante de son grand-père. Une scène pourtant si simple m’apparut doublement émouvante. Deux grandes forces de la nature rayonnaient : la volonté spontanée qui pousse le jeune être humain à conquérir le monde par sa propre activité, et l’amour qui conduisait cet adulte à attendre patiemment la fin de la conquête de l’enfant [41] ».
2’) Preuve scientifique
L’étude la plus complète sur les effets bénéfiques du lien fut réalisée par un psychiatre professeur à Harvard, Robert Waldinger. En effet, les chercheurs ont suivi 724 sujets pendant pas moins de… 75 ans. De telles études sont extrêmement rares, parce que le projet s’arrête souvent, faute de financement ou de continuité ; ici, il a fallu plusieurs générations de scientifiques pour que l’étude soit menée à bien et à terme. Cette recherche a porté sur deux groupes sociaux différents : des étudiants de Harvard et des adolescents de quartiers très défavorisés de Boston. Elle les a évalués sur différents critères, vie de famille, santé, état de bien-être, etc. Les résultats sont limpides :
« Le message le plus évident est que les bonnes relations nous rendent plus heureux et en meilleure santé. C’est tout ». En effet, « il s’avère que les personnes les plus connectées socialement à leur famille, à leurs amis, à leur communauté, sont les personnes les plus heureuses : elles sont physiquement en meilleure santé et vivent plus longtemps que celles qui sont moins bien entourées […] leur mémoire reste aiguisée plus longtemps […]
À l’inverse, expérimenter la solitude apparaît comme toxique. Les gens qui sont plus isolés des autres que ce qu’ils souhaiteraient s’avèrent être moins heureux, leur santé décline plus tôt en milieu de vie, leurs capacités cérébrales déclinent plus vite, et ils ont des vies plus courtes que les gens bien entourés […] expérimentent des déclins précoces de la mémoire [42] ».
La contre-épreuve l’atteste tristement. Un des exemples les plus frappants est celui des orphelins de Bucarest sous le régime de Nicolae Ceausescu. Après la chute du dictateur roumain, furent découverts des orphelinats institutionnels où les bébés se trouvaient dans des lits à barreaux, seuls pendant des heures, souvent à plusieurs, parfois dans l’obscurité. De plus, unique était l’infirmière qui était chargée de leur nourriture et de leur hygiène ; autant dire qu’elle n’avait pas le temps d’interagir avec eux. Donc, ces enfants furent privés de stimulation environnementale et de contacts chaleureux. Or, non seulement ils souffraient d’un certain nombre de maladies psychiques liées à la carence affective, mais ils présentaient un important retard cognitif et même une hypotrophie de leurs cerveaux vis-à-vis de la norme accompagnée d’une activation diminuée. Donc, sans environnement aimant, le cerveau se développe peu et mal [43].
Passons du comportement à sa cause cérébrale. Du point de vue de la structure encéphalique, il est démontré que l’adulte adoptant une attitude bienveillante, chaleureuse avec l’enfant, engendre chez l’hippocampe de celui-ci un foisonnement de nouvelles connexions ; or, l’hippocampe est médiateur des capacités d’apprentissage [44].
Du point de vue des neuromédiateurs, nous savons que la dopamine est l’hormone des circuits de la récompense, dont la sécrétion provoque élan et joie (enthousiasme). Or, la dopamine est abondamment libérée lorsque la personne adopte des comportements altruistes [45] – ce que confirme la neurobiologie [46] –, justes [47] et confiants [48]. Il en est de même de l’ocytocine qui libère des endorphines et élève le taux de sérotonine…
Tout à l’inverse, les comportements asociaux – comme l’égoïsme, l’indifférence, le jugement et l’injustice, la compétition, le rejet, l’humiliation, la violence – présentent des conséquences non seulement sur le lien même, mais sur les personnes, dans leur santé physique et psychique [49]. De fait, ces comportements empêchent les circuits de la récompense de s’activer [50]. Voire, la zone du cerveau qui est mobilisée en cas de rejet est la même que celle de la douleur physique [51] : s’attaquer au lien ne fait pas du bien.
Ce qui se vérifie pour l’adulte se vérifie a fortiori pour l’enfant et le nourrisson. L’expérience bien connue et éprouvante des « visages neutres » l’atteste [52]. On demande à un parent d’entrer en interaction normale avec un enfant : sourire, parler, toucher. Puis, il est demandé d’adopter une attitude faciale neutre, c’est-à-dire inexpressive, immobile, sans réponse aux sollicitations (qui ne manqueront pas), tout en continuant à regarder le bébé. Les réactions n’attendent pas : au début, l’enfant croit à un jeu, essaie d’attirer l’attention du parent, fait des moues adorables, tape des mains, sourit, pointe du doigt ; puis, la séduction ne servant à rien, il détourne le regard, s’agite, pleure ; en fait, il exprime une intense angoisse.
Loin d’être sadiques, ces expériences et vidéos ont été réalisées pour que les mères dépressives prennent conscience des effets de leur indifférence sur leur enfant.
Appliquons enfin encore plus précisément ces belles études à l’éducation scolaire. Une étude finlandaise, particulièrement sérieuse, encore en cours, intitulée « The first steps study », a suivi plusieurs milliers d’enfants et leurs professeurs pendant plus de dix ans. Or, elle a montré que la réussite scolaire dépendait moins des outils pédagogiques et même qu’un nombre restreint d’enfants par classe, que de l’attitude chaleureuse et empathique de l’adulte avec les enfants [53].
3’) Interprétation philosophique
Aujourd’hui, plus que d’amour – qui est trop rapidement identifié à l’amour romantique, donc à l’amour ressenti, à l’amour-émotion, et non pas à l’amour effectif, l’amour-action –, l’on parle volontiers d’altruisme, de bienveillance, de coopération, de comportement prosocial. On parle aussi de reliance – à la suite du sociologue belge Marcel Bolle de Bal, l’inventeur du terme, et du sociologue philosophe français Edgar Morin qui l’a repris [54]. La reliance peut se prendre en son sens soit actif, comme acte de relier, soit pronominal, comme acte de se relier, soit passif, comme sentiment ou état d’être relié.
Comment continuer à faire de la substance l’être premier, lorsque le lien, la relation, apparaît à l’évidence comme le plus grand des biens, au point qu’une personne qui serait dénuée de toute connection serait poussée au suicide, donc à la disparition de sa substance ?
4’) Applications pédagogiques
Concrètement, Céline Alvarez souligne plus le lien que la distance ou la séparation – ainsi que nous le reverrons en parlant de la loi d’enveloppement d’amour. Cela se traduit par exemple par le fait que, dans sa classe maternelle de Gennevilliers, elle demande aux enfants de l’appeler « Céline » et non pas « maîtresse » et elle les appelle par leurs prénoms et non « élèves ».
7) Conclusion
Dans la deuxième partie de l’ouvrage, Céline Alvarez prend le temps d’appliquer ces différentes lois aux apprentissages fondamentaux : la culture (géographie, géométrie, musique) [55] ; les mathématiques [56] ; la lecture et l’écriture [57]. J’y renvoie pour le détail [58].
Je conclurai en faisant quelques rapprochements entre ce que Thomas d’Aquin (cité à plusieurs reprises) nous dit de l’acte pédagogique et ce que cette pratique et cette théorie de l’acte éducatif nous en révèlent.
Pour faire très vite, la leçon de l’Aquinate sur l’enseignement [59] peut se résumer en quatre points :
- L’acteur premier de l’enseignement est l’enseigné (le disciple). En termes techniques, il est cause efficiente principale (causa perficiens). De plus, il est intérieur.
- Pour autant, l’enseignant (le maître) est nécessaire. Toutefois, il n’intervient que comme aide, cause efficiente adjuvante et dispositive (causa adjuvans et causa disponens). De plus, il demeure extérieur.
- L’enseignant aide l’enseigné à passer par deux moyens : « en lui proposant des aides ou des instruments », qui sont autant de signes, comme des exemples ; « en montrant au disciple l’ordre entre les principes et les conclusions », ce qui fortifie son intelligence.
- L’intelligence humaine progresse selon différentes lois : elle passe du connu à l’inconnu, de la puissance à l’acte, du sensible à l’intelligible, du plus universel au moins universel, de l’effet à la cause, etc.
La vision de la pédagogie fondée sur Montessori, elle-même revisitée à la lumière des neurosciences, est un heureux apport à l’enseignement thomasien. En effet, à la fois elle le confirme, le fonde (notamment sur les neurosciences et les études comportementales), le précise (par exemple, la notion de cause adjuvante) et l’enrichit (notamment en lui ajoutant l’enveloppement systémique et amatif).
En retour, Thomas apporte des principes de méthode qui manquent à Céline Alvarez, comme l’ordre de détermination ou l’ordre de démonstration, les modes d’abstraction, la distinction entre approche spéculative et approche pratique, les vertus intellectuelles, etc.
Pascal Ide
[1] Richard Mayer, « Should ther be a three-strikes rule against pure discovery learning ? The case for guided methods of instruction », The American Psychologist, 59 (2004) n° 1, p. 14-19.
[2] Cf. Patricia K. Kuhl, Feng Ming Tsao & Huei-Mei Lui, « Foreign-language experience in infancy. Effects of short-term exposure and social interaction on phonetic learning », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 100 (2003) n° 15, p. 9096-9101.
[3] Céline Alvarez, Les lois naturelles de l’éducation, p. 73.
[4] Cf. Nina Howe, Sandra Della Porta, Holly Recchia, Allyson Funamoto & Hildy Ross, « ’This bird can’t do it ‘cause this bird doesn’t swim in water’. Sibling teaching during naturalistic home observations in early childhood », Journal of Cognition and Development, 16 (2015) n° 2, p. 314-322.
[5] Cf. Lev Semenovich Vygotsky, Mind and society. The development of higher psychological processes, Cambridge, Harvard University Press, 1978.
[6] Cf. Céline Alvarez, Les lois naturelles de l’éducation, 3e partie du livre.
[7] Ibid., p. 365. Souligné par moi.
[8] Ibid., p. 47. Souligné dans le texte.
[9] Ibid., p. 54. Les autres passages cités sont tirés des p. 54-55.
[10] Cf. Dare A. Baldwin, Ellen M. Markman, Brigitte Bill, Renee N. Desjardins, Jane M. Irwin & Glynnis Tidball, « Infant’s reliance on a social criterion for establishing word-object relations », Child Development, 67 (1996) n° 6, p. 3135-3153.
[11] Céline Alvarez, Les lois naturelles de l’éducation, p. 48.
[12] Ibid., p. 48-49.
[13] Ibid., p. 49.
[14] Céline Alvarez, Les lois naturelles de l’éducation, p. 85.
[15] Cf. Anna V. Fisher, Karrie E. Godwin & Howard Seltman, « Visual environment, attention allocation, and learning in young children. When too much of a good thing may be bad », Psychological Science, 25 (2014) n° 7, p. 1362-1370.
[16] Cf. Tracy Gillet, « Une enfance plus simple pourrait protéger nos petits contre les troubles psychiques », Huffington Post, 12 avril 2016. Site consulté le 2 mars 2017 : http://www.huffingtonpost.fr/tracy-gillett/education-enfants-extra-scolaire_b_9658158.html
[17] Cf. Kim John Payne, Simplicity Parenting. Using the Extraordinary Power of Less to Raise Calmer, Happier, and More Secure Kids, Wydawnictwo-New York, Ballantine Books, 2010.
[18] Cf. Mary Helen Immordino-Yang, Joanna A. Christodoulou & Vanessa Singh, « Rest is not idleness. Implications of the brain’s default mode for human development and education », Perspectives on Psychological Science, 7 (2012) n° 4, p. 352-364.
[19] Cf. Alexander Prehn-Kristensen, Manuel Munz, Robert Göder, Ines Wilhelm, Katharina Korr, Wiebke Vahl, Christian D. Wiesner & Lioba Baving, « Transcranial Oscillatory Direct Current Stimulation During Sleep Improves Declarative Memory Consolidation in Children With Attention-deficit/hyperactivity Disorder to a Level Comparable to Healthy Controls », Brain Stimulation, 7 (2014) n° 6, p. 793-799.
[20] Cf. Sabine Seehagen, Carolin Konrad, Jane S. Herbert & Silvia Schneider, « Timely sleep facilitates declarative memory consolidation in infants », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 112 (2014) n° 5, p. 1625-1629 ; Laura Kurdziela, Kasey Duclos & Rebecca M. C. Spencer, « Sleep spindles in midday naps enhance learning in preschool children », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 110 (2013) n° 43, p. 17267-17272.
[21] Cf. Angela Hanscom, « The unsafe child. Less outdoor play is causing more harm than good », Association Children & Nature Network, 6 mai 2015, http://www.childrenandnature.org/2015/05/06/the-unsafe-child-less-outdoor-play-is-causing-more-harm-than-good/
[22] Cf. Flavio Donato, Santiago Belluco Rompani & Pico Caroni, « Parvalbumin-expressing basketcell network plasticity induced by experience regulates adult learning », Nature, 504 (2013) n° 7479, p. 272-276.
[23] Cf. Chiara D’Amore, Cheryl Charles & Richard Louv, « Thriving through nature. Fostering children’s executive fuction skills », Association Children & Nature Network, 8 septembre 2015, http://www.childrenandnature.org/wp-content/uploads/2015/08/CNN_ExecutiveFunctionToolkit_8-14_15_final.pdf
[24] Céline Alvarez, Les lois naturelles de l’éducation, p. 105.
[25] Ibid., p. 100.
[26] Cf. Robert Michael Pyle, « The rise and fall of natural history », Orion: People and Nature, 20 (automne 2001) n° 4, p. 16-23.
[27] Je renvoie aux études de Nicolas Guéguen et Sébastien Meineri, Pourquoi la nature nous fait du bien, Paris, Dunod, 2012.
[28] Cf. Céline Alvarez, Les lois naturelles de l’éducation : III.5.
[29] Cf. Emil F. Coccaro, Chandra Sekhar Sripada, Rachel N. Yanowitch & K. Luan Phan, « Corticolimbic function in impulsive aggressive behavior », Biological Psychiatry, 69 (2011) n° 12, p. 1153-1159.
[30] Cf. Angeline Maughan & Dante Cicchietti, « Impact of child maltreatment and interadult violence on children’s emotion regulation abilities and socioemotional adjustment », Child Development, 73 (2002) n° 5, p. 1525-1542.
[31] Cf. Liliana J. Lengua, Elizabeth E. Honorado & Nicole R. Bush, « Contextual risk and parenting as predictors of effortful control and social competence in preschool children », Journal of Applied Developmental Psychology, 28 (2007) n° 1, p. 40-55.
[32] Cf. Thomas G. O’Connor, Michael Rutter & the English and Romanian Adoptees Study Team, « The effects of global severe privation on cognitive competence. Extension and longitudinal follow-up », Child Development, 71 (2000) n° 2, p. 376-390.
[33] The Center on the Developing Child, « The Science on Resilience (InBrief) », 2015. Consulté le mars 2017 : developingchild.harvard.edu/…/inbrief-the-science-of-resilience/
[34] Céline Alvarez, Les lois naturelles de l’éducation, p. 118.
[35] Cf. Jeewook Choi, Bumseong Jeong, Ann Polcari, Michael L. Rohan & Martin H. Teicher, « Reduced fractional anisotropy in the visual limbic pathway of young adults witnessing domestic violence in childhood », Neuroimage, 59 (2012) n° 2, p. 1071-1079.
[36] Cf. Jeewook Choi, Bumseok Jeong, Michael L. Rohan, Ann M. Polcari & Martin H. Teicher, « Preliminary evidence for white matter tract abnormalities in young adults exposed to parental verbal abuse », Biological Psychiatry, 65 (2009) n° 3, p. 227-234.
[37] Cf. Martin H. Teicher, Jacqueline A. Samson, YiShin Sheu, Ann Polcari & Cynthia E. McGreenery, « Hurtful words. Association of exposure to peer verbal abuse with elevated psychiatric symptom scores and corpus callosum abnormalities », American Journal of Psychiatry, 67 (2010) n° 12, p. 1464-1471.
[38] Cf. Matthew D. Lieberman, Naomi I. Eisenberger, Molly J. Crockett, Sabrina M. Tom, Jennifer H. Pfeifer & Baldwin M. Way, « Putting feelings into worlds. Affect labeling disrupts amygdala activity in response to activity stimuli », Psychological Science, 18 (2007) n° 5, p. 421-428.
[39] Céline Alvarez, Les lois naturelles de l’éducation, p. 304.
[40] Ibid., p. 352. Souligné dans le texte.
[41] Ibid., p. 292. Souligné dans le texte.
[42] Robert Waldinger, « The study of adult devlopment, Harvard second generation study » : adultedevelopmentstudy.org/ Site consulté le 18 mars 2017.
[43] Cf. Charles A. Nelson, Charles H. Zeanah, Nathan A. Fox, Peter J. Marshall, Anna T. Smyke & Donald Guthrie, « Cognitive recovery in socially deprived young children. The Bucharest early intervention project », Science, 318 (2007) n° 5858, p. 1937-1940.
[44] Cf. Martin H. Teicher, Carl M. Andersona & Ann Polcaria, « Childhood maltreatment is associated with reduced volum in the hippocampal sub-fields CA3, dentate gyrus, and subiculum », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 109 (2012) n° 9, p. E563-E572.
[45] Cf. Lara B. Aknin, Elizabeth W. Dunn & Michael I. Norton, « Happiness runs in a circular motion. Evidence for a positive feddback loop between a prosocial spending happiness », Journal of Happiness Studies, 13 (2011) n° 2 p. 347-355 ; Peggy Thoits & Lynda Hewitt, « Volunteer work and well-being », Journal of Health and Social Behavior, 42 (2001) n° 2, p. 115-131.
[46] Cf. William Harbaugy, Arik Levinson & David Molloy Wilson, « Neural responses to taxation and voluntary giving reveal motives for charitable donations », Science, 316 (2007) n° 5831, p. 1622-1625 ; Jorge Moll, Frank Krueger, Rolland Zahn, Matteo Pardini, Ricardo de Oliveira-Souza & Jordan Grafman, « Human fronto-mesolimbic networks guide decisions about charitable donation », Proceedings of the National Academy of Science, 103 (2006) n° 42, p. 15623-15628.
[47] Cf. Golnaz Tabibnia, Ajay B. Stapute & Matthew D. Liberman, « The sunny side of fairness. Preference for fairness activates reward circuitry (and disregarding unfairness activates self-control circuitry) », Psychological Science, 19 (2008) n° 4, p. 339-347 ; Golnaz Tabibnia & Matthew D. Liberman, « Fairness and cooperation are rewarding. Evidence from social cognitive neuroscience », Annals of the New York Academy of Sciences, 118 (2007) n° 1, p. 90-101.
[48] Cf. Brooks King-Casas, Damon Tomlin, Cedric Anen, Colin F. Camerer Steven R. Quartz & P. Read Montague, « Getting to know you. Reputation and trust in a tow-person economic exchange », Science, 308 (2005) n° 5718, p. 78-83.
[49] Cf. John T. Dartmouth Lanzetta, « Expectations of cooperation and competition in their effects on observer’s vicarious emotional responses », Journal of Personality and Social Psychology, (1989) n° 4, p. 543-554.
[50] Cf. James K. Rilling, David A. Gutman, Thorsten R. Zeh, Giuseppe Pagnoni, Gregory S. Berns & Clinton D. Kilts, « A neural basis for social cooperation », Neuron, 35 (2002) n° 2, p. 395-405.
[51] Cf. Naomi I. Eisenberger, Matthew D. Liberman & Kipling D. Williams, « Does rejection hurt ? An fMRI study of social exclusion », Science, 302 (2003) n° 5643, p. 292-292.
[52] On peut observer la vidéo sur internet : « Still face experiments ». Cf. Edward Tronick, Lauren Adamson, Heidelise Als & T. Berry Brazelton, « Infant emotions in normal and perturbated interactions », étude présentée à la réunion bisannuelle de la Society for Research in Child Development, Denver (Colorado), 1975.
[53] Cf. Martti Siekkinen, « Empathetic teachers enhance children’s motivation for learning », art. du site de l’University of Eastern Finland, consulté le 18 mars 2017 : https://worldwidescience.org/topicpages/f/finnish+pisa+results.html
[54] Cf. Marcel Bolle de Bal, « Reliance, déliance, liance : émergence de trois notions sociologiques », Sociétés, 80 (2003) n° 2, p. 99-131.
[55] Cf. Céline Alvarez, Les lois naturelles de l’éducation, II.2.
[56] Cf. Ibid., II.3.
[57] Cf. Ibid., II.4.
[58] Des vidéos et des fiches pédagogiques des activités se trouvent sur le site www.celinealvarez.org
[59] Il se trouve principalement condensé dans deux importants articles : Q.D. De veritate, q. 11, a. 1 ; Somme de théologie, Ia, q. 117, a. 1.