Gratitude, une valse.

A l’occasion de la sortie en octobre prochain de l’ouvrage Puissance de la gratitude. Vers la vraie joie aux éditions de l’Emmanuel :

La scène se déroule dans un restaurant de Philadelphie. Deux amis viennent de déjeuner. Au moment de payer l’addition, la serveuse leur annonce qu’un couple qui vient juste de sortir l’a déjà réglée. Stupéfaction des amis qui, touchés par ce témoignage de générosité, décident de faire de même pour d’autres clients d’une autre table. Lynn Willard, l’une des serveuses, témoigne de cette épidémie de générosité, les larmes aux yeux : « Cela a continué » pendant les cinq heures qui ont suivi. D’ailleurs, non seulement les personnes payaient pour d’autres, mais elles ne s’inquiétaient pas du prix et ajoutaient souvent un généreux pourboire ! »

 

Pour beaucoup, « gratitude », c’est un mot un peu savant pour dire « merci ». C’est aussi parfois le mot qui termine une lettre un peu formelle : « Recevez toute ma gratitude » ou un discours convenu : « Cher collaborateur qui partez à la retraite, je vous assure de toute ma gratitude ».

En fait, ce mot désigne l’un des secrets les plus simples et pourtant les plus décisifs du bonheur. Et l’un des plus étudiés aujourd’hui en psychologie. La gratitude que nous réduisons souvent au remerciement ou, parfois, à un sentiment, est un mouvement en trois temps : la reconnaissance d’un don gratuit ; le sentiment suscité par cette reconnaissance ; le retour, qui est un acte lui-même gratuit. Dans l’exemple du restaurant de Philadelphie : la reconnaissance est la découverte que quelqu’un d’anonyme a payé votre repas ; le sentiment est la stupéfaction, voire l’incrédulité et la joie face à cette générosité imméritée ; le retour est le désir de rendre en posant un acte gratuit, comme payer pour une autre table.

Rentrons dans le détail.

La gratitude suppose d’abord une prise de conscience : certains événements (le sourire d’une personne croisée dans la rue, ma bonne vue, mon enfant qui débarrasse aussi mon bol, etc.) sont des dons, c’est-à-dire des cadeaux gratuits. Notre société d’hyperconsommation tend à transformer les choses en objets à prendre, voire en des dûs à exiger. Les expériences le montrent : plus nous considérons une chose comme gratuite, et plus elle éveille de la reconnaissance. On a proposé à une centaine d’étudiants de mesurer leur degré de gratitude après s’être représenté la situation suivante. Tous s’imaginent demander de l’aide à un ami pour déménager, aide qui, de plus, s’avère être efficace et leur économiser beaucoup de temps. Puis, les étudiants sont répartis en trois groupes qui reçoivent une phrase.

  1. Le premier tiers reçoit : « En repensant à l’aide apportée par votre ami, vous le connaissez suffisamment bien pour savoir qu’il n’attend rien en retour ».
  2. Le deuxième tiers reçoit : « En repensant à l’aide apportée par votre ami, vous vous souvenez que d’autres ont précisé que lorsqu’il aide quelqu’un, il s’attend à ce qu’on le remercie explicitement en général verbalement et à l’écrit sous la forme d’un acte ou d’un petit mot ».
  3. Le dernier tiers reçoit : « En repensant à l’aide apportée par votre ami, vous vous souvenez que d’autres ont précisé que lorsqu’il aide quelqu’un, il s’attend à ce qu’on le remercie explicitement en général verbalement et à l’écrit sous la forme d’une acte ou d’un petit mot, et il s’attend aussi à ce qu’on lui rende la pareille. Vous savez d’ailleurs que votre ami déménage samedi prochain ».

Les résultats ont clairement montré que le sentiment de reconnaissance est inversement proportionnel à l’attente de retour…

Normalement, la prise de conscience d’un don suscite de la gratitude, c’est-à-dire de la joie, voire de l’émerveillement. Pourtant, il arrive que nous ne la ressentions pas. Souvent, en effet, nous n’avons pas pris le temps de détailler le don. Dans une expérience, deux sous-groupes devaient noter cinq phrases. Le premier passait en revue cinq événements différents (par exemple : « mon ami m’a offert son sac à dos » ; « mon voisin est venu m’aider à réparer le robinet » ; etc.) et le second parlait d’un même et unique événement (par exemple : « mon ami m’a offert son sac à dos » ; « ce sac lui était très cher, je l’ai toujours connu avec » ; etc.). Cette pratique fut réalisée une fois par semaine durant dix semaines. Au terme, les participants du second sous-groupe se sentaient plus heureux et moins fatigués que ceux du premier. Mieux vaut se laisser imprégner par un seul don, que d’en décrire cinq en général.

Enfin, la reconnaissance favorise le comportement altruiste. Par exemple, le sourire gratuitement offert stimule la générosité. Juste avant de prendre l’ascenseur dans un grand magasin, une personne (qui est un compère) sourit avec chaleur à quelqu’un (qui fait l’objet de l’expérience). Quelques instants plus tard, un autre compère regarde la liste des rayons et lance devant la personne qui a bénéficié du sourire : « Zut, j’ai oublié mes lunettes ! Quelqu’un peut-il me dire à quel étage se trouvent les parapluies ? » Résultat : la personne à qui on a souri répond dans 70 % des cas et une autre, dans seulement 35 %, soit deux fois moins. Pourquoi tenons-nous plus volontiers la porte au suivant, lorsque quelqu’un, devant nous, l’a fait pour nous ?

Dans l’Évangile, le Christ avait résumé tout ce mouvement de la gratitude en une phrase : « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10,8).

Pascal Ide

Bibliographie

– Robert Emmons, Merci ! Quand la gratitude change nos vies, trad. Sylvie Carteron, Paris, Belfond, réédité en Pocket Evolution n° 14019, 2008.

– Pascal Ide, Puissance de la gratitude. Vers la vraie joie, Paris, L’Emmanuel, 2017. A paraître début octobre.

– Rébecca Shankland, Les pouvoirs de la gratitude, coll. « Les carnets de vie », Paris, Odile Jacob, 2016.

 

19.9.2017
 

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