Les hypnologues (scientifiques spécialistes du sommeil) nous apprennent que, concernant le sommeil, deux différences sont innées et propres à chacun (la comparaison avec autrui ne peut donc qu’être faussement rassurante ou douloureuse) : la durée et le tropisme pour le matin ou le soir. Je ne considérerai que la seconde, dans sa coloration affective.
Ceux qui sont du matin éprouvent le début de leur journée comme un jaillissement d’énergie créateur qui va diminuant et la survenue progressive de la soirée soit comme la joie pacifiée de l’œuvre accomplie, soit comme le découragement d’un temps qui avance inexorablement et leur interdit d’achever cette même œuvre. Et la tentation d’ajouter un temps utile au travail en l’ôtant à ce temps (apparemment) si inutile de la nuit…
Ceux qui sont du soir éprouvent le début de leur journée comme une lente émergence hors des – et parfois pénible arrachement aux – brumes de la nuit et la progressive avancée du jour comme une entrée dans une énergie croissante, qui sera couronnée soit par l’apaisement plein de bruissements du soir et la créativité pleinement éveillée de la nuit débutante, soit par la tentation de transformer l’insatisfaction de l’inaccompli en amputation du temps de sommeil réparateur.
Dans les deux cas, un seul remède à la tentation : la relecture ignatienne de la journée et l’abandon.
Ajoutons deux autres acquis des études en hypnologie. Primo, les heures (ou les minutes) avant minuit ne comptent pas double ; tous les moments soustraits à la tension de la veille sont de valeur égale – restant sauve la qualité du sommeil. Secundo, tout ce qui est retiré au sommeil l’est aussi à la santé, la sanction ponctuelle étant immédiate et, chronique, à long terme. Une toute récente étude montre que le jeune – qui dort en moyenne une heure de moins – le paie par une rétractation de son cerveau (1) et des années d’études en moins…
Il y a donc un miracle evening, comme il y a un miracle morning.
Pascal Ide
(1) Une étude de Jean-Luc Marinot de l’unité INSERM montre que le manque de sommeil rétrécit le cerveau des adolescents. Précisons. Aujourd’hui, un adolescent dort environ une heure de moins : déprivation pendant le sommeil et lever tardif le week-end (l’après-midi). Les conséquences sont : difficultés scolaires accrues ; et objectivation sur la diminution du volume de substance grise dans le cortex préfrontal médian (responsable de la flexibilité mentale et la mémoire) et le cortex cingulaire antérieur (essentiel dans la prise de conscience des émotions) ; et aussi le cortex frontal latéral supérieur et moyen (impliqué dans l’attention). Cf. Anna S. Urrila, Eric Artiges, Jessica Massicotte, Ruben Miranda, Hélène Vulser, Pauline Bézivin-Frere, Winok Lapidaire, Hervé Lemaître, Jani Penttilä, Patricia J. Conrod, Hugh Garavan, Marie-Laure Paillère Martinot & Jean-Luc Martinot, « Sleep habits, academic performance, and the adolescent brain structure », Scientific Reports, 7, en ligne le 8 mars 2017.