Vouloir ce que je fais (Billet du mercredi 29 avril 2020)

Il y a deux sortes de personnes : celles qui font ce qu’elles veulent ; celles qui veulent ce qu’elles font. Les premières se croient libres ; seules les secondes le sont. Nous naissons à notre liberté, le jour où nous commençons à pleinement vouloir ce que nous faisons.

 

Vouloir ce que je fais… C’est, en période de confinement, cesser de me lever quand cela me chante, pour me lever dès que le réveil sonne et adopter le même rythme de vie qu’avant.

Vouloir ce que je fais… C’est cesser d’être wagon pour devenir locomotive.

Vouloir ce que je fais… C’est cesser d’être contenu pour devenir contenant, c’est-à-dire arrêter d’attendre que les autres ou les événements donnent contour à ma vie pour moi-même la configurer.

Vouloir ce que je fais… C’est cesser d’attendre de l’autre pour chercher, respectueusement, à répondre à l’attente de l’autre.

Vouloir ce que je fais… C’est découvrir que l’initiative est l’état habituel de la vie et la passivité l’exception.

Vouloir ce que je fais… C’est cesser de rêver ma vie, pour enfin vivre mes rêves. À partir d’aujourd’hui, peu importe mon âge et ce que j’ai fait avant, faire la liste des 50 choses qui comptent vraiment pour moi et, dorénavant, tous les jours, prendre un temps pour commencer à accomplir l’un de ces objectifs.

Vouloir ce que je fais… C’est cesser de faire de cette couette une chose informe car invue, de ce placard (de ce coin d’appartement, de cette cave, etc.) un innommable amoncellement d’affaires, bref, de mon habitation la parabole de ma vie.

Vouloir ce que je fais… C’est prendre conscience que la vie est un combat qui se gagne jour après jour, car « l’Ennemi rôde, cherchant qui dévorer » (1 P 5,8) et comment me décourager. L’un des esprits les plus malins, c’est-à-dire les plus cachés et les plus sournois, ne s’appelle-t-il pas acédie ? [1]

Vouloir ce que je fais… C’est enfin dire « oui » à la vie et entrer en synergie avec celui que le Credo appelle « le Vivifiant » ou le « Vivificateur », l’Esprit-Saint.

Vouloir ce que je fais… C’est connecter avec ce qui est vivant en moi, c’est-à-dire ce que j’éprouve (il n’y a jamais d’état affectif neutre !) et, en l’éprouvant, goûter ce qui est bon et interpréter ce qui est désagréable (quel besoin est frustré en moi ?).

Vouloir ce que je fais… C’est d’abord vouloir ce que j’ai, c’est-à-dire cesser de me comparer et de jalouser.

Vouloir ce que je fais… C’est, même si, jusqu’à maintenant, ma vie a plutôt été un vague « Bof » ou un « oui oui » plus qu’un véritable « oui », même si je n’ai pas grand chose à me reprocher, mais pas grand chose non plus dont je sois vraiment fier, décider qu’aujourd’hui est un autre jour et un jour nouveau.

Vouloir ce que je fais… maintenant. C’est donc cesser d’être dans les regrets éternels ou les vaines aspirations, confier les premiers à la miséricorde et les secondes à l’espérance, pour enfin vivre l’instant présent.

Vouloir ce que je fais… C’est donc cesser de vivre sa vie au conditionnel (« Si j’étais marié », « Si j’étais à la retraite », etc.), pour la vivre à l’inconditionnel (« Je t’aime sans condition », « Je te fais confiance sans condition », etc.).

Vouloir ce que je fais… C’est arrêter de subir les bonnes choses comme les mauvaises, afin d’entrer dans une authentique gratitude pour les premières et une authentique conversion pour les secondes.

Vouloir ce que je fais… C’est, après chaque action, goûter la joie du travail bien fait, au lieu de profiter de son énergie pour se précipiter dans la suivante.

Vouloir ce que je fais… C’est cesser de réagir pour agir, c’est-à-dire cesser d’être contraint par l’urgent, le manque de temps, le rappel de l’autre ou de l’institution, pour enfin poser un acte et prendre aujourd’hui l’initiative.

Vouloir ce que je fais… C’est cesser de s’user à ne faire que de l’urgent et toujours congédier l’important, pour décider de m’adonner, un peu chaque jour, à ce qui fait durablement sens pour moi.

Vouloir ce que je fais… C’est poser le plus petit acte avec le plus grand amour. « Ramasser une épingle par amour peut convertir une âme [2] ».

Vouloir ce que je fais… Ce n’est surtout pas vouloir appliquer tous les conseils qui précèdent, mais choisir aujourd’hui un objectif, un seul, faisable, auquel je m’attellerai tous les jours, sans lâcher. Et, après une chute, recommencer, comme Chris Gardner dans À la recherche du bonheur (à voir et revoir sans modération) (cf. la fiche à venir).

Pascal Ide

[1] Évagre le Pontique parle d’esprit et non pas de péché, car ceux-ci sont inspirés par les démons (cf. Sur les pensées, 35, 24-30, éd. et trad. Paul Géhin, Antoine et Claire Guillaumont, coll. « Sources chrétiennes », n° 438, Paris, Le Cerf, 1998, p. 276 s. Cf. aussi Id., Traité pratique ou Le Moine, 12, éd. et trad. Antoine et Claire Guillaumont, coll. « Sources chrétiennes », n° 170 et 171, Paris, Le Cerf, 1971, 2 volumes, ici tome 2, p. 521-527).

[2] Sainte Thérèse de L’enfant-Jésus et de la Sainte-Face, À sœur Thérèse-Dosithée, 22 mai 1894, LT 164, dans Œuvres complètes (Textes et dernières paroles), éd. Conrad de Meester, Paris, Le Cerf/DDB, 1992, p. 497.

29.4.2020
 

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