Vers le changement durable (Billet du mercredi 22 avril 2020)

Si, pendant le Carême, nous faisons souvent l’expérience humiliante de tenir difficilement nos engagements, nous faisons parfois l’expérience encore plus cruelle, pendant le temps pascal, que les bons plis mis en place pendant ces quarante jours fondent comme neige au soleil de printemps. Pourquoi ?

L’une des explications est à ce point balisée que la psychologie morale lui a donné un nom : la motivation intrinsèque ou interne. Bien évidemment, elle s’oppose comme à son contraire, à la motivation extrinsèque ou externe. Imaginez que vous commenciez un nouveau travail : vous pouvez le faire pour l’argent, la reconnaissance ; ou bien pour la compétence que ce travail vous permet d’acquérir ou le service qu’il rend. Dans le premier cas, la motivation est externe, dans le second, interne.

Or, la motivation externe est beaucoup moins efficace et durable que la motivation interne. Une étude portant sur onze mille chercheurs et ingénieurs travaillant dans des entreprises américaines a mesuré leur investissement dans le labeur et calculé le nombre de brevets qu’ils déposaient [1]. Il est apparu que ceux qui étaient animés par un défi intellectuel, c’est-à-dire impliqués dans la recherche de quelque chose de nouveau, étaient ceux qui déposaient le plus de brevets ; en regard, ceux qui étaient motivés d’abord par l’argent, tout en travaillant aussi longtemps et aussi dur, étaient moins performants et moins productifs [2].

Les applications de cette distinction sont précieuses et nombreuses. Par exemple dans l’éducation. Si votre enfant apprend ses leçons de grammaire et fait ses exercices de calcul seulement pour avoir une bonne note ou parce qu’il aura droit à une vidéo récréative, ses résolutions seront de courte durée, et sa joie de faible intensité. Il appartient à l’enfant, au début avec votre aide, de trouver au plus tôt (quelques années), une motivation qui naisse de son activité : raconter une histoire, pouvoir faire les courses tout seul, etc. Une psychologue a ainsi montré que les lycéens qui travaillaient avec un objectif d’apprentissage, comme apprendre une langue (donc une motivation interne) étaient plus performants et plus persévérants que ceux qui travaillaient avec un objectif de performance comme obtenir une bonne note (donc une motivation externe) [3].

Nous pouvons prendre nos résolutions de Carême avec pour seul objectif de tenir jusqu’à Pâques. Comment alors s’étonner que, mûes par cette motivation exogène, nos pseudo-vertus s’effondrent comme château de sable au lieu de ressusciter transfigurées avec le Christ ?

Il en est de même pendant ce temps de confinement. Rappelez-vous, je vous ai donné l’exemple (le 3 avril) de ces fausses tempérances qui ne sont que des contenances : nous ne tenons notre temps de télétravail devant notre ordinateur que parce que nous nous récompensons avec un téléfilm.

Que la longue durée de ce confinement se transforme en occasion bénie de mettre en place ces motivations internes, qui sont la source de vertus authentiques. Chers amis, ce sont les motivations intrinsèques qui nous transforment et nous rendent heureux. Changeons de motivation pour changer durablement !

Pascal Ide

[1] Henry Sauermann & Wesley M. Cohen, « What Makes Them Tick ? Employee Motives and Firm Innovation », NBER Working Paper, 14443 (octobre 2018) : https://core.ac.uk/download/pdf/6645950.pdf

[2] Le sommet de la motivation intrinsèque réside dans le flow (cf. l’étude sur le site : « Le bonheur maximal. La théorie du flow »).

[3] « Avec un objectif d’apprentissage, les lycéens n’ont pas besoin de s’estimer déjà bons dans un domaine pour s’accrocher et persévérer. Leur objectif est justement d’apprendre, et non de prouver qu’ils sont intelligents » (Carol S. Dweck, Self-Theories : Their Role in Motivation, Personality, and Development, Philadelphia, Psychology Press, 1999, p. 17).

22.4.2020
 

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