Parue dans la Nouvelle Revue Théologique (NRT) 137 (2015) n° 2, p.348.
Annick Vanderlinden-Kocher, Vivre sous le regard de Dieu. Une redécouverte théologique du regard, coll. « Études de théologie et d’éthique », vol. 2, Münster, LIT Verlag, 2012.
Cet ouvrage, qui est la version corrigée d’une thèse de doctorat conjointe en théologie et en philosophie des religions soutenue aux Univ. de Neuchâtel et de Strasbourg par une femme aumônier hospitalier à Strasbourg, aborde un thème passionnant: le regard humain dans une perspective théologique. Partant de notre actuelle ambivalence à l’égard du regard (être vu à tout prix et échapper à ce voyeurisme ubiquitaire), le travail procède en trois temps. Une 1re partie analyse longuement la phénoménologie sartrienne du regard qui se partage entre le pouvoir de celui qui voit et l’aliénation de celui qui est vu – dialectique qui est poussée à l’extrême dans les relations entre l’homme et le «Dieu-regard», appréhendé comme le Voyeur par excellence (le «regardant qui ne peut jamais être-regardé»). Mais ce regard tout-puissant n’est-il pas conçu par Sartre comme trop immédiat, autrement dit, ne fait-il pas fi des médiations corporelles et langagières ? La 2e partie développe en détail la conception calvinienne du regard de Dieu, ou plutôt de la Providence comme vie sous le regard divin : parfois menaçant, mais aussi bienveillant, ce regard rompt avec la toute-puissance du visible pour renvoyer à l’invisible, par la médiation du signe. Enfin, une 3e partie applique ce propos à une éthique du regard: se fondant sur les travaux de St Augustin, C.S. Pierce et U. Eco, puis, plus encore, du dernier Merleau-Ponty, et revisitant la Cène du Christ, cette éthique, qui est aussi une symbolique, détourne le regard de l’évidence de ce qu’il voit, pour le rendre attentif à ce qui lui échappe, l’Invisible qui advient à travers le signe.
Passons sur les pointes simplistes contre l’histoire de l’Église catholique (p. 285). Comment ne pas se réjouir d’une thèse qui, dans le cadre du protestantisme calviniste, valorise les liens entre visible et invisible à travers le signe ? Le lecteur s’étonnera toutefois de ce que soit enregistré, sans autre forme de procès, l’acte de décès de toute métaphysique (p. 214-215) et pourra regretter que soient ignorées les ressources de tout un courant anglais religieux ayant finement pensé cette présence de l’Invisible dans le visible (de S.T. Coleridge et W. Wordsworth à C.S. Lewis, pour ne rien dire de J.H. Newman). Surtout, il restera interloqué par l’absence totale d’un dossier biblique, instruit pour lui-même, qui aurait pourtant été si riche d’enseignement sur le regard aimant que Dieu pose, en Jésus, sur l’homme (cf., p. ex., Mc 10,21).
Pascal Ide