Pour très synthétiquement évaluer la psychanalyse freudienne, je ferai appel à la dynamique ternaire du don : don pour soi ou réception, don à soi ou appropriation, don de soi ou donation. Je me centrerai ici sur la vision anthropologique et non sur l’efficacité pratique. Quant à un exposé doublé d’une évaluation (théorique et pratique) beaucoup plus détaillées, je renvoie au long chapitre consacré à Sigmund Freud, chapitre d’un cours de psychologie qui fut publié l’an passé sur le site.
D’un mot, l’anthropologie (qui est aussi éthique) freudienne souffre d’une arythmie du don.
Mais honorons d’abord ce qu’elle valorise et promeut, à savoir l’autonomie de la personne donnée à elle-même. En négatif, elle dénonce les illusions transférentielles (comme la fusion, le déni du manque, la toute-puissance, l’idéalisation, les culpabilités toxiques). En positif, elle invite à la vérité sur ses fonctionnements et sa vulnérabilité fondamentale, à la responsabilité du moi et à une chaste altérité.
Ainsi, si le moment intermédiaire de la dynamique dative, l’autonomie du don à soi est pris en compte et même promu, il n’en est pas de même, du premier moment, la réception. D’abord, ainsi que John Bowlby, le fondateur de la théorie de l’attachement, l’a si bien vu, parce que la dépendance originaire à la mère n’est pas reconnue comme un besoin primaire, mais réduit à être un besoin secondaire, donc construit. Ensuite, parce que si le don trouve sa place notamment dans la systématisation lacanienne, il est aussitôt déconstruit comme la positivation d’une dette fontale et insolvable : celle de l’être reçu des parents.
De même que le don (reçu) apparent s’avère être une dette réelle, de même la donation apparent s’avère-t-il toujours consister en une fusion réelle. Le travail analytique entreprend de détecter dans les intentions qui se veulent les plus altruistes le rejeu inconscient, donc involontaire, des attentes archaïques les plus égocentrées. Et il aboutit au mieux à la mise en place d’une altérité qui suspecte toute complémentarité et a fortiori toute communion d’être une recherche cachée d’une fusion illusoire. La sortie de l’un mortifère ne peut qu’aller vers la dualité seule considérée comme vivante, mais soupçonnera toujours l’intégration uniduelle d’opiner vers le pôle régressif.
Mais osons aller plus loin. Comment un être qui ni ne se reçoit ni ne se donne pourrait-il être donné à lui-même ? Il n’a pas échappé au lecteur attentif que j’ai nommé le deuxième moment de la rythmique ternaire à partir du don à soi, mais non à partir de l’appropriation (qui est intériorisation). Or, ce substantif, plus clairement que l’autodonation, nomme la connexion dynamique du premier et du deuxième moments. De fait, la psychanalyse porte le fer plus loin : avec Freud, l’être humain demeure radicalement anarchique (la sublimation n’est pas la vertu intégratrice) ; pire, avec Lacan, il est secrètement rongé par une « chose » qui, plus qu’un mal radical, est un mal total (cf. site : « La déconstruction de l’homme chez Lacan »).
Dès lors, comment, exilé de son être d’esprit (Ricœur), la personne qui est incapable d’une transparence à elle-même (intelligence) et de maîtrise de soi (liberté), pourrait-elle s’accorder avec elle-même (amour) ? Plus encore, ne se recevant pas de l’amour gratuit de ses parents et ne pouvant accéder à une donation gratuite à l’autre, comment pourrait-elle s’estimer elle-même ?
L’amour demeure le grand mal-aimé de la psychanalyse, autant freudienne que lacanienne…
Pascal Ide