Se confesser ou affronter son ombre ?

« Mon Père, je ne me confesse plus. Il y avait trop d’hypocrisie dans mes confessions. En fait, je me débarrassais de ma culpabilité sans la regarder en face et je retombais régulièrement dans les mêmes fautes avec la bonne conscience d’avoir demandé pardon à Dieu. J’ai découvert avec beaucoup de profit ce que Jung appelle l’ombre. L’ombre, c’est le contraire de ce que la lumière, donc de ce qui est visible. C’est la part de soi-même que l’on ne sait pas. Aujourd’hui, j’apprends à la regarder, à inviter les parts de moi-même qui me font peur ou qui me dégoûtent. Il est bien plus difficile de se réconcilier avec soi-même qu’avec Dieu. Je me découvre beaucoup plus proche de lui depuis que j’apprends à ne plus me fuir, mais à m’accepter comme sa créature, avec ses lumières et ses ombres ».

 

Partage profond et vrai. Mais qui ne descend pas dans toute notre profondeur et ne dévoile qu’un part de notre vérité.

Je ne discuterai pas ici le symbole jungien d’ombre – dont j’ai évalué sur ce même site la réinterprétation féconde (mais ambivalente) qu’en propose le père Monbourquette. Le discernement ne portera que sur le témoignage. Pour cela, aidons-nous une nouvelle fois d’une des plus grandes découvertes de saint Augustin. Pour le converti du jardin de Milan, l’homme, à l’instar du fils prodigue (cf. Lc 15,11-32) parcourt trois étapes : extérieur-intérieur-supérieur, qui sont aussi trois instances humaines. Ces trois phases nécessaires permettent de délimiter trois visions (et pratiques) humaines amputées : le matérialisme qui nous fait vivre à l’extérieur de nous-même ; le psychologisme qui fait de l’intériorité l’horizon ultime ; le spiritualisme ou quiétisme qui demande à Dieu de nous débarrasser de notre humanité, par exemple, de notre psychologie (« Dieu, guéris-moi ! », sous-entendu : faire une session de guérison vaut bien mieux que d’aller voir un « psy ») ou de notre intelligence (« Dieu, montre-moi », sous-entendu : je fais appel à la foi et oublie ma raison qui est aussi un don de Dieu) ou de notre volonté (« Dieu, je m’abandonne à toi », sous entendu : je m’occupe de toi et, toi, tu me trouves un mari, un travail, un appartement…).

La personne qui témoigne a découvert le deuxième moment, celui de l’intériorité, et lui accorde toute sa place. Mais elle oublie le troisième : l’ombre ne se réduit pas à la blessure, aux peurs et aux culpabilités démesurées, aux limites, aux conditionnements de toutes sortes, etc. Elle s’identifie aussi au péché qui offense Dieu, offusque le prochain et me blesse moi-même ; et le péché appelle la confession sacramentelle, c’est-à-dire la contrition, le pardon et la pénitence.

Mais le témoignage révèle symétriquement un manque très réel chez un certain nombre de chrétiens : l’absence de prise en compte de la dimension psychologique du péché. Son unilatéralité psychologisante réagit à l’unilatéralité spiritualisante qui menace le fidèle. L’ombre n’est-elle pas une projection ? Le chrétien qui se confesse ne prend souvent pas en compte toute l’ombre que révèle et projette le péché dans son âme. Sans entrer dans le détail (encore une fois, je renvoie à l’étude sur le site : « L’ombre (du moi). Un discernement »), évoquons quelques composantes de cette ombre en relation avec la faute : l’interdit – Monbourquette en individualise cinq [1] – qui n’est pas la loi divine ; la culpabilité (qui peut être démesurée et d’ailleurs dénuée d’une véritable contrition) ; les causes habituelles du péché ; l’addiction (qui peut venir d’un péché, mais, devenue habituelle, appelle la guérison, donc la mise en œuvre les moyens pour en être libéré) ; les effets du péché.

Comme toujours, la vérité se tient du côté inclusif (« et… et… ») et exclut l’exclusif (« ou… ou… »). Il s’agit donc de se confesser et d’affronter son ombre. Cette alliance qui n’est pas un alliage pourrait-elle aider à réconcilier les chrétiens avec ce sacrement mal-aimé, car mal-connu et surtout mal-utilisé ?

Pascal Ide

[1] Jean Monbourquette, Apprivoiser son ombre. Le côté mal aimé de soi, Montréal, Novalis, Paris, Bayard, 22001, p. 58-59.

5.2.2025
 

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