« Savoir aimer » (Florent Pagny), une hymne à l’amour-agapè ?

Comment ne pas se réjouir que « Savoir aimer », la chanson de Florent Pagny, sur des paroles de Pascal Obispo, ait été récompensée par les plus hauts prix en 1998 ? En doublant les paroles par le langage des signes (pour mal-entendants), le clip se fraie un passage vers le cœur de l’auditeur-spectateur. Toutefois le succès ne tient pas d’abord au medium (il y a d’ailleurs au moins un précédent), ni à la seule mélopée attachante, lancinante, mais au contenu. Quelle chanson n’est pas romance ? L’amour ici chanté, certes, s’éprouve comme un sentiment, puisqu’il permet de « goûter » au « plein bonheur » et ne va pas sans le « plaisir » de la « trace » d’avoir aimé. Mais il consiste d’abord dans un acte de l’esprit qui engage l’intelligence (« apprendre à aimer ») et la volonté (« vouloir »). Il passe donc de l’affectif à l’effectif, en se visibilisant dans un humble geste (« savoir sourire »). Mais, plus encore, l’amour ainsi célébré est le véritable don de soi gratuit : sans retour (« sans rien attendre en retour / ni égard ni grand amour / pas même l’espoir d’être aimé »), sans retard (« aimer sans attendre ») et sans restriction (« donner sans rature / ni demi-mesure »), c’est-à-dire sans se protéger, aujourd’hui (« ni défense ni armure ») ou demain (« apprendre à rester / vouloir jusqu’au bout »). Ce don de soi n’ignore ni la réception qui advient dans la confiance (« se voir y croire »), ni l’appropriation (« apprendre à vivre »), même si elles ne sont qu’allusivement nommées. Enfin, ce don qui rime avec pardon, c’est-à-dire recréation (« se relever / comme on renaît d’incessant / avec tant d’amour à revendre / qu’on tire un trait sur le passé ») et imagination (« apprendre à rêver »), mais sans illusion (« savoir souffrir ») ou fusion (« savoir attendre » et se réjouir « quand on ne l’attendait plus »), peut s’inscrire dans la patience du temps (« on tire un trait sur le passé »), sans craindre le « temps de rides », car il est prêt à grandir (« ne rien faire qu’apprendre »), jusqu’à l’infini (« se lever / comme on renaît d’incessant ») ?

On s’interrogera seulement sur l’unilatéralité d’un don qui, sitôt posé, est suivi d’un « s’en aller », d’un don « rien que pour le geste » où le visage de l’autre pourrait à la limite s’effacer, puisqu’un seul doit toujours « rêver pour deux » ? Cette concession au romantisme un tantinet pessimiste oublie – ou ne croit plus – que le don s’achève dans la communion. Quoi qu’il en soit, ne boudons pas notre joie : ces paroles qu’Eschyle n’aurait pas pu écrire attestent d’une compréhension de l’amour qui est plus que l’éros et pas moins exigeant que l’agapè – mais sans la philia.

Pascal Ide

9.2.2021
 

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