Puissance de la gratitude : analyse de film chapitre 14

Chapitre 14 : La vie est belle

La vie est belle, drame américain de Frank Capra, 1946. Avec James Stewart et Donna Reed.

La vie est belle, drame italien de Roberto Benigni, 1998. Avec Roberto Benigni et Nicoletta Braschi.

 

Dans La vità è bella, Roberto Benigni raconte l’histoire d’amour entre Guido et Dora qui tourne au tragique lorsque, cinq ans plus tard, le père, juif, est déporté dans un camp d’extermination avec son fils, Giosué, et sa femme, qui, bien que non-juive, a tenu à les accompagner. Dans le film homonyme It’s a wonderful life, Frank Capra narre comment Georges, un homme qui, renonçant à ses grands idéaux, a toute sa vie essayé de faire le bonheur de sa famille et de sa petite ville, paraît échouer, se retrouve au bord du suicide et doit son salut à l’intervention providentielle de son ange gardien, Clarence.

La ressemblance est intentionnellement plus que nominale. Ces deux – grands – films, séparés de plus d’un demi-siècle (1946-1998), parlent du même sujet : la conquête de l’espérance à travers le tragique de l’existence. Tous deux sont de formidables leçons de vie, de cette vie indéfectiblement belle. Le film de Benigni nous apprend que le bonheur est une question de regard. On s’est parfois interrogé sur le réalisme, voire sur la moralité de l’attitude du père qui multiplie les mystifications pour dissimuler à son fils l’horreur du camp. C’est se tromper de point de vue : la perspective est ici symbolique, la leçon n’est pas morale. Benigni veut seulement montrer que, selon ses propres mots, « le germe de l’espoir se niche jusque dans l’horreur ; il y a quelque chose qui résiste à tout » ; il s’agit de « voir l’autre côté des choses ». Il dépend donc de nous de découvrir que la vie n’est pas qu’une vallée de larmes. S’il est possible de cueillir une fleur sur le fumier d’un camp de concentration nazi, combien plus dans notre vie quotidienne ? Le bonheur est une question de regard, donc de reconnaissance. Au fond, le film de Capra ne dit pas autre chose. Georges veut se suicider, parce qu’il est convaincu que sa vie n’est qu’une suite d’échecs, qu’il n’a jamais rien apporté à personne et que le monde serait aussi heureux sans lui qu’il est malheureux avec lui. Or, Clarence le détournera de son suicide en lui montrant ce que serait réellement cette ville sans ce que sa générosité y a semé : un chaos de haine et d’égoïsme. Obnubilé par la souffrance de l’idéal manqué, Georges a fini par oublier le bonheur du bien accompli. La gratitude de l’ange le sauve.

Mais le rapprochement proposé n’est-il pas outré ? Le film de Capra se déroule dans le cadre de l’Amérique libérale, où un capitaliste véreux, Potter, exploite toute la petite ville, celui de Benigni dans le cadre du double totalitarisme raciste, fasciste puis nazi. Le chemin de l’espérance diffère aussi : alors que Guido s’appuie sur ses propres ressources de créativité, George expérimente son impuissance. Le salut qui vient d’en haut – du cœur compatissant de l’ange gardien – chez Capra, surgit de l’homme – du cœur aimant d’un père – chez Benigni.

Néanmoins, je pense que ces divergences masquent des convergences de fond. Le mal est identique : la violence que l’homme fait à l’autre homme. De même, le chemin de rédemption : le secret croisement des interventions divine et humaine. La multiplication des coïncidences, qui ne sont pas toutes contrôlées et font naître l’amour entre Guido et Dora, ne constitue-t-elle pas ce qu’Anatole France appelait un « anonymat divin » ? De son côté, le salut offert par Clarence trouve sa confirmation dans l’extraordinaire mouvement final de générosité et de solidarité. Enfin, dans un humour qui est le sourire de Dieu parmi les hommes, ces deux films nous apprennent que, loin d’être passif et de se réduire à un état affectif, le bonheur naît, à chaque fois, de l’amour. D’un amour partagé, ici avec le conjoint : George, comme Guido, puisent leur énergie et leur générosité dans l’amour de leur épouse. D’un amour qui est don de soi et oubli de soi : c’est au prix de sa santé que George sauve son frère ; c’est au prix de sa vie que Guido protège Giosué. La vie n’est belle que parce qu’elle est bonne ; elle n’est bonne que parce qu’elle est donnée et don de soi.

Pascal Ide

5.11.2020
 

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