Dans une notule consacrée au testament de Paul Ricœur [1], le jésuite Xavier Tilliette se permet une critique vive, mais juste : « Le philosophe de la volonté n’aura pas été le penseur ni le témoin de l’espérance [2] ». Il fonde ce jugement autant sur les propos du livre que sur sa connaissance personnelle de l’auteur. Il rappelle l’attitude de Ricœur face à la mort de son fils Olivier : après en avoir beaucoup souffert, il « en était arrivé à une résignation étrange » et « revendiquait le droit absolu du jeune homme à disposer de sa vie, à assumer la responsabilité de son acte désespéré ». La raison en est que, pour Ricœur, l’attitude face à la mort est celle de la résignation : « c’est la mort en sursis de l’existentialisme ». La raison immédiate est l’horizon irrémédiable de « la finitude qui transforme la vie en destin ». La raison plus profonde vient de la « tradition séculaire quasi schizophrène » dans laquelle veut s’inscrire Ricœur, celle de la séparation de la philosophie et de la foi. Il « s’oppose à toute contamination de la philosophie et de la foi : une dichotomie sans médiation ». Elle conduit à écarter son maître Gabriel Marcel qui affirmait cette belle espérance : « mourir, c’est retrouver les miens ». La conséquence en est le noir incognito, le Wait in unhope, « l’attente dans l’inespoir » de Thomas Hardy et un refus des représentations de la survie considérées comme imaginaires. À cette sombre attitude, le jésuite philosophe oppose la belle espérance du Gabriel Marcel, à qui le jeune Ricœur a consacré une étude remarquée [3], qui affirmait : « Mourir, c’est retrouver les miens ».
Pascal Ide
[1] Paul Ricœur, Vivant jusqu’à la mort. Suivi de fragments, préface d’Olivier Abel et Postface de Catherine Goldstein, Paris, Le Seuil, 2007.
[2] Xavier Tilliette, « L’adieu de Paul Ricœur », Communio, 32 (2007) n° 3, p. 101-102, ici p. 102.
[3] Cf. Paul Ricœur, Gabriel Marcel et Karl Jaspers. Philosophie du mystère et philosophie du paradoxe, Paris, Seuil, 1948.