Notre Occident chrétien ignore encore quel trésor de sens et de pédagogie recèlent les apparitions de Notre Dame de Guadeloupe. Après avoir très brièvement rappelé quelques faits marquants (1), nous soulignerons surtout l’éducation catéchétique que notre Mère du Ciel offre non seulement aux peuples d’Amérique du Sud, mais à l’humanité entière (2).
1) Histoire
- a) Le fait
Hernán Cortés a débarqué en avril 1519, avec la réussite miraculeuse que l’on connaît : il a vaincu l’empire aztèque et ses 30 000 guerriers, alors qu’il n’avait qu’une troupe de 500 hommes… et la Croix du Christ qu’il est venu annoncer dans un don sans retour (il a fait couler les navires qui l’ont conduit en Amérique).
Mais il n’a pu convertir les Mexicains en profondeur : d’autant qu’il était étranger.
Le Ciel est alors passé par la médiation d’un petit homme simple, un Indien, Juan Diego (que Jean Paul II a béatifié). De fait, seulement 12 ans plus tard, du 9 au 12 décembre 1531, Marie lui est apparue, à Tepeyac, en lui disant : « Je suis de ta race ». Or, les 9 premières années qui suivirent, 9 millions d’Indiens se convertirent, soit environ 3 000 conversions par jour, l’équivalent d’une Pentecôte quotidienne (cf. Ac 2,41).
Après, les miracles se sont multipliés, parfois très spectaculaires. Encore aujourd’hui, il y a entre 20 et 30 millions de pèlerins par an, plus que toutes les autres apparitions mariales. De plus, nombreuses sont les paroles de papes sur cette apparition depuis Benoît XIV.
- b) Fruits immédiats
Enfin, grâce à l’arrivée de cessa la barbarie abominable des sacrifices humains. A l’époque où Hernan Cortès débarqua, l’empire aztèque sacrifiait, de surcroît de manière atroce, jusqu’à 80 000 hommes par an.
Or, en montrant son Fils, Marie a montré que la mort de Jésus sur la Croix suffisait : en effet, elle portait autour de son cou une petite épingle montrant Jésus mort sur la Croix. De plus, les Conquistadors avaient sur leur casque une Croix. D’ailleurs, signe des temps, Cortès arriva le vendredi saint 1931.
- c) La cause : la pédagogie divine
Dieu parle par images. Encore aujourd’hui. En effet, Notre Dame a laissé sa propre image sur la tilma, l’habit de Juan Diego.
Or, « la tilma parlait aux Indiens comme un pictogramme ou un hiéroglyphe [1] ». Déjà, cette image est un pur miracle. Elle ressemble à une peinture vivement colorée. Or, il n’y a aucun pigment ni coup de pinceau. De plus, le dessin est très fin ; or, le vêtement, tissé à partir de feuilles de cactus, est rugueux et donc ne se prête guère à la peinture. Surtout, enfin, il représente un certain nombre de dessins qui représentent des réalités que l’homme ne pouvait deviner : l’image sur la pupille de la Vierge ; les constellations.
2) Quelques enseignements
- a) Contenu théologique
Le récit authentique des apparitions de Guadalupe, le Nican Mopuha [2], évoque dix fois la virginité mariale [3]. Soit plus que toutes les autres apparitions mariales. Autre originalité : c’est la seule apparition reconnue par l’Église où Marie se montre enceinte [4].
- b) Contenu cosmologique
D’abord, l’image de Notre-Dame de Guadalupe est une énigme scientifique. En effet, elle fut étudiée par de nombreux scientifiques renommés et probes : par exemple, Jody Brand Smith et Philip Serna Callahan, professeurs de l’université de Floride et chercheurs à la Nasa (1979-2005) ou le professeur Richard Kuhn, prix Nobel de chimie en 1938. Or, ils ont noté que les étoiles de l’image dessinent précisément la carte du ciel à la verticale de Mexico le 12 décembre 1531, à 10 h. 40 ; or, c’est le moment précis où l’image se révèle à l’évêque de Mexico. Ces découvertes furent faites de 1981 à 2011. Cette observation a été confirmée en février 2013 par un astronome français.
De plus, les astronomes ont analysé les motifs stellaires : ils ont localisé la constellation du Lion au niveau de la matrice ; l’étoile la plus brillante est Regulus (le petit Roi) ; et celui-ci est un système triple (trois étoiles tournant entre elles).
- c) Contenu pédagogique de l’image et des correspondances
Certaines formes d’intelligence, plus concrètes, peinent à rejoindre le Mystère à travers les concepts. Elles ont besoin de trois moyens pédagogiques : des images (ou plutôt, nous allons le dire, des symboles), des récits (bibliques, des vies de saints, des témoignages) et des correspondances (ressemblances). Mais non sans les concepts. Toutefois, n’allons pas opposer image et concept. Ils se rejoignent dans les symboles qui unissent en eux le concret et l’abstrait, qui sont en quelque sorte des notions incarnées. De même, récits et tableaux de correspondances sont des médiateurs entre ce monde (concret) du quotidien et le monde des idées (universelles).
Et c’est ainsi que fait Notre-Dame à Guadalupe. S’il est facile de comprendre ce que sont les symboles et les récits, il est peut-être plus malaisé d’approcher ce que j’appelle correspondance. Les théologiens du xiie siècle, mais aussi Saint Bonaventure au siècle suivant, en étaient très friands. Les correspondances mettent en parallèle des réalités de prime abord disparates, en soulignant des ressemblances qui échappent au premier regard. Elles produisent quatre effets : elles aident la mémoire en offrant une vision synoptique souvent condensé dans un tableau ou une figure ; elles éclairent l’intelligence en mettant en relation unissant ce qui, avant, était séparé ; elles émerveillent les sens en montrant des harmonies cachées et des beautés inédites ; elles touchent et le cœur en suscitant le désir de vivre ce qu’exprime le tableau.
Donnons deux exemples de ces correspondances [5].
Ce premier exemple multiplie les correspondances les plus étonnantes entre les septénaires suivants : le manteau (la tilma) de Juan Diego, les dons du Saint-Esprit (Is 11,1-2), les paroles du Christ en Croix (qui se trouvent dans les quatre évangiles), les sept églises de l’Apocalypse (Ap 2-3), les jours de la semaine, les sacrements, les prières de la liturgie des heures et les parties de la messe :
La tilma de Juan Diego |
Nuages |
Rayons |
Manteau |
Robe |
Robe intérieure |
Corps |
Âme |
Les dons du Saint-Esprit |
Intelligence |
Sagesse |
Conseil |
Science |
Force |
Crainte |
Piété |
Les paroles du Christ en Croix |
« Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » |
« En ce jour, tu seras avec moi au Paradis » |
« Voici ta Mère. |
« J’ai soif » |
« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » |
« Père, entre tes mains je remets mon esprit » |
« Tout est consommé » |
Les églises de l’Apocalypse |
Éphèse |
Smyrne |
Pergame |
Tyatire |
Sardes |
Philadelphie |
Laodicée |
Les jours |
Jour I |
Jour II |
Jour III |
Jour IV |
Jour V |
Jour VI |
Jour VII |
Les sacrements |
Eucharistie |
Mariage |
Baptême |
Pénitence |
Ordre |
Confirmation |
Onction des malades |
Les prières de la liturgie des heures |
Matines |
Laudes |
Tierce |
Sexte |
None |
Vêpres |
Complies |
Les parties de la messe |
Introït |
Lectures |
Offertoire |
Sanctus |
Consécration |
Communion |
Envoi |
Le second exemple adopte la forme non pas d’un tableau, mais d’une figure. Béatitudes ne sont pas seulement un chemin pour aujourd’hui, mais le terme du chemin, c’est-à-dire la Patrie (céleste) : elles constituent la « structure de la nouvelle Jérusalem [6] ». C’est ce que montre un tableau [7] qui est structuré selon la cosmologie aztèque reprise par l’apparition de Guadalupe, selon les quatre points cardinaux (il n’y a donc rien de New Age là dedans !) [8].
Le Pacifique |
||||
Les pauvres en esprit |
1e béatitude |
7e béatitude La Sagesse |
3e béatitude |
La douceur |
|
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Nord Ténèbre du péché 3 dernières béatitudes |
|
|
Ouest Toute-puissance de Dieu Les persécutés pour la justice |
8e béatitude |
9e béatitude Le Cœur de Dieu |
6e béatitude |
Est Pureté de Dieu Sainteté |
|
|
Lumière de Dieu Sud |
|
|
La soif de la justice |
4e béatitude |
La Justice 5e béatitude |
2e béatitude |
Les larmes |
La Gratitude |
3) Bibliographie
– Eduardo Chavez et Carl A. Anderson, Notre Dame de Guadalupe, Mère de la civilisation de l’amour, trad. Pascale-Dominique Nau et Camille Roze, Paris, L’Emmanuel, 2016. Ce remarquable ouvrage analyse en détail toute la richesse merveilleuse et si inculturée du message symbolique, tout en image, intégrant le cosmos (ciel, fleurs, etc.).
– Fr. Miguel Guadalupe, The Seven Veils of Our Lady of Guadalupe. The « New Evangelization » in Light of the Apparition of Our Lady of Guadalupe, Goleta (California), Queenship Publishing Company, 1999. Un rapide parcours montre que l’argumentation est simpliste. Mais proposer une foi plus visuelle, en mettant en corrélation le dessein de Dieu et les dessins de l’homme, développements dogmatiques et moraux avec des images et des nombres, me paraît plus que pédagogique, mais symbolique, donc vrai.
– Daniel J. Lynch, Notre Dame de Guadeloupe et son image missionnaire, trad. Michel Chartrand, Hauteville, Éd. du Parvis, 1993.
Pascal Ide
[1] Daniel J. Lynch, Notre Dame de Guadeloupe et son image missionnaire, trad. Michel Chartrand, Hauteville, Éd. du Parvis, 1993, p. 21. C’est moi qui souligne.
[2] On notera que le pape François cite le Nican Mopuha : Exhortation apostolique Evangelii Gaudium, 24 novembre 2013, n. 286.
[3] La meilleure traduction est la suivante : David Caron Olivares et Jean-Pierre Rousselle, Notre-Dame de Guadalupe. L’image face à l’histoire et à la science, Onet-Le-Château, Rassemblement à son image, 2014.
[4] Cf. Yves Chiron, Enquête sur les apparitions de la Vierge, coll. « Tempus » n° 189, Paris, Perrin, 2007.
[5] Vous trouverez d’autres tableaux suggestifs dans Fr. Miguel Guadalupe, The Seven Veils of Our Lady of Guadalupe. The « New Evangelization » in Light of the Apparition of Our Lady of Guadalupe, Goleta (California), Queenship Publishing Company, 1999, p. 435-436. Par exemple, l’ordre du Fils (le plus riche, p. 436) est repris au terme du livre, p. 557.
[6] Ibid., p. 422. Cf. p. 422-430.
[7] Ibid., p. 426.
[8] J’ai eu du mal à rendre le tableau avec les ressources du logiciel Word. Il faudrait ne garder que le tableau intérieur : 3 colonnes sur 5 lignes ; de plus, il faudrait séparer le cœur, la 9e béatitude, en le plaçant dans un carré, ne mettant dans un carré que les quatre coins, en plus de ce cœur.