Mauriac, un romancier catholique

En ses romans, en ses essais comme en son journal, François Mauriac a toujours cherché à connaître le cœur de l’homme : « Ce secret des cœurs, […] un romancier d’aujourd’hui ne doute pas que sa vocation la plus impérieuse soit justement de le violer [1] ». Or, loin de s’identifier au cœur psychologique, ce cœur doit s’entendre au sens le plus profond, qui est spirituel : « Il est certain qu’au-delà des conflits traditionnellement étudié par nos maîtres […], au-delà de la vie sociale, familiale d’un homme, au-delà des gestes qui lui imposent son milieu, son métier, ses idées, ses croyances, existe une vie plus secrète : c’est souvent au fond de cette boue cachée à tous les yeux, que gît la clef qui nous le livre tout entier [2] ». On le voit, ce centre secret est à la fois ce qui est plus profond et ce qui unifie. Or, si l’inconscient freudien, ce que Maritain appelait « l’inconscient automatique », « l’inconscient de la chair et du sang », est enfoui, il demeure archaïque et régressif. Il est donc impuissant à unifier l’homme. Tout au contraire, pour être secret, le cœur spirituel est tourné non plus vers l’origine, mais vers notre fin ; or, seule notre finalité, qui est aussi notre mission, nous harmonise et nous pacifie.

Or, cette présence surnaturelle ne se découvre souvent qu’en traversant le mal, la souffrance, voire le péché : « Au-delà du mal intime, le chrétien est sûr qu’une autre lumière, pure celle-là, apparaîtra aux regards inquiets du romancier, à laquelle il devra rendre témoignage [3] ». Et c’est par ce biais, plus encore que par l’importance accordée à ce noyau spirituel, que Mauriac est véritablement un romancier chrétien. En effet, le Christ nous l’a révélé : l’homme n’accède à la pleine lumière de la Résurrection qu’en traversant les ténèbres de la Passion. « Per Crucem ad lucem », disait Paul VI. « Tout romancier qui jette des torches dans nos abîmes collabore avec la grâce [4] ». Symétriquement à « ce Dieu à l’affût [5] », dont il parle dans sa Vie de Jésus, Mauriac est aussi, dans ses héros et ses récits, à l’affût de Dieu. Mais qu’il est difficile d’être un romancier catholique : « Je crois qu’il est heureux pour un romancier d’être catholique, mais je suis sûr aussi qu’il est très dangereux pour un catholique d’être romancier [6] »…

Pascal Ide

[1] François Mauriac, Le roman, Paris, L’Artisan du livre, 1928, p. 65.

[2] Id., Les paroles restent, Paris, Grasset, 1985, p. 65-66.

[3] Ibid., p. 66.

[4] Id., Vie et mort d’un poète, Paris, Grasset, 1930, p. 129.

[5] Id., Vie de Jésus, coll. « L’Histoire », Paris, Flammarion, 1936, p. 282.

[6] Id., Les paroles restent, p. 64.

19.12.2022
 

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