Le texte imprimé, analogie de l’Eucharistie

Il y a dans l’écrit imprimé quelque chose d’eucharistique, ainsi que l’agnostique Marcel Proust l’a pressenti et même explicité dans un passage surprenant de La recherche [1]. Le passage entier mériterait un long commentaire [2]. Limitons-nous aux principales articulations de l’analogie qui est un mixte de même et d’autre.

 

Le texte imprimé est semblable à l’Eucharistie d’abord, dans l’écrit s’attarde quelque chose de l’origine, ici matérielle : « encore chaud et humide de la presse récente et du brouillard du matin ». Mais, plus encore, il se dit quelque chose de l’origine unique, du monde présent dans l’esprit de l’auteur.

Ensuite, il l’est dans sa nature même, puisque Proust compare le journal au « pain spirituel qu’est un journal ». En effet, il est apporté avec le petit déjeuner et se trouve sur le même plateau que le café au lait et les croissants.

Il l’est également dans sa destination qui est la communication : « le miracle de la multiplication de ma pensée [3] » ; « pain miraculeux, multipliable, qui est à la fois un et dix mille et reste le même pour chacun ».

Il l’est enfin dans la finalité qui est la communion. En effet le journal est voué à être touché. C’est ainsi que Marcel envoie Françoise chercher d’autres exemplaires « pour toucher du doigt le miracle de la multiplication de ma pensée [4] ».

 

Après avoir montré la similitude présente au cœur de l’analogie, soulignons maintenant la dissemblance qu’il ne faudrait pas naïvement oublier. Le journal n’est pas la présence réelle de la pensée, en l’occurrence de l’esprit de Proust : les images qu’il a voulu retranscrire ne sont pas dans les mots, « elles n’y sont pas [5] ». Dans la première version des pages de La fugitive, Proust va jusqu’à souligner l’absence, le vide. Mais une telle description est unilatérale et excessive. En effet, le signifié dort bien dans le signifiant (même si l’on s’acharne à dire le contraire) ; toutefois il n’y est pas présent sous mode substantiel. De fait, ce qui est ici donné dans la lettre ne sera jamais totalement adéquat à ce que l’esprit de Proust a voulu offrir.

 

Les observations si perspicaces de Proust méritent d’être actualisées et étendues. Ce qui est vrai du journal l’est encore davantage de l’image transmise par la télévision : chaque écran donne à voir le même et unique spectacle qui se déroule, voire a été enregistré, à tous les spectateurs de tous les lieux et de tous les temps. Et, plus généralement encore, les TIC (technologies de l’information et de la communication) participent à cette logique eucharistique et sacramentelle qui est une théo-logique. En nous souvenant qu’analogie et participation offrent une similitude dans une dissimilitude encore plus grande (major dissimilitudo) [6]

Pascal Ide

[1] Marcel Proust, La fugitive, dans À la rercherche du temps perdu, éd. Jean-Yves Tadié, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 4 vol., tome 3, 1988, p. 568 s.

[2] Par exemple, cette description retrouve également la distinction des trois mondes du texte opérée par Ricœur, donc la dynamique de la donation présente dans l’écrit.

[3] Ibid., p. 571.

[4] Ibid., p. 571.

[5] Marcel Proust, Contre Sainte-Beuve, Paris, Gallimard, 1971, p. 96.

[6] Concile de Latran IV, 1215, DS 806.

24.5.2025
 

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