La Terre, une merveille ! La structure épiphanique de notre globe terrestre

« La tec­tonique des plaques n’est que la manifestation de surface d’un phénomène plus profond et que, sans la connaissance de cette logique de l’intérieur du globe, la rigueur des règles géométriques de la surface trouve rapidement ses limites [1] ».

 

Les sciences de la Terre ne cessent de progresser dans leur connaissance précise de la structure intime de notre chère planète et de ses activités. Rappelons quelques faits scientifiquement établis (1), avant d’en proposer une relecture à la lumière de la philosophie de l’amour-don (2).

1) Quelques faits

Sans entrer dans le détail de l’histoire de leur découverte [2], notons quelques données significatives parmi bien d’autres [3].

a) Structure physique de la Terre

Hors la croûte ou écorce terrestre, nous ne pouvons avoir accès directement aux parties profondes de la Terre. Nous n’en connaissons donc sa structure qu’indirectement, notamment par les ondes recueillies par les sismographes. C’est ainsi que, en 1912, le physicien allemand Beno Gutenberg mit en évidence une zone où les ondes telluriques étaient réfractées, donc déviées : il venait de découvrir la différence entre ce que nous allons appeler manteau et noyau. De même, en 1936, la sismologue danoise Inge Lehmann, découvrit une autre discontinuité, cette fois à l’intérieur même du noyau, entre ce que nous nommerons le noyau externe et la graine. Ainsi, loin d’être homogène, notre planète Terre est constituée de trois couches lamellaires ou en oignon. Du plus extérieur au plus intérieur, on distingue :

 

  1. la croûte terrestre ou écorce terrestre (entre 30 à 65 km d’épaisseur)
  2. le manteau (2 885 km d’épaisseur)

Le manteau lui-même se subdivise en :

  1. manteau supérieur (entre 670 et 635 km d’épaisseur)
  2. manteau inférieur ou mésosphère (2 185 km d’épaisseur)
  3. le noyau (3 486 km d’épaisseur)

Le noyau lui-même se subdivise en :

  1. noyau externe (2 270 km d’épaisseur)
  2. noyau interne ou graine (1 216 km d’épaisseur)

b) Composition chimique de la Terre

L’hétérogénéité entre le manteau et le noyau n’est pas seulement topologique, donc physique, le premier étant plus superficiel et le second plus profond. Elle est chimique : le manteau est silicaté et noyau ferreux [4]. C’est d’ailleurs parce que le fer est plus lourd et le silicate (par exemple, le granite) plus léger que, sous l’effet de la gravitation, le fer se trouve au centre et compose donc (en grande majorité) le noyau. À la composition chimique disparate se joint un état différent de la matière : le magma silicaté du manteau est à l’état liquide ; le noyau externe aussi ; en revanche, le noyau interne ou graine se trouve à l’état solide, donc figé. Ce dernier état pourrait étonner. En effet, l’on sait que la chaleur est liée à la pression ; or, plus centrale, la graine est soumise à une plus forte pression ; elle est donc plus chaude et devrait ainsi être plus fluide. En réalité, et c’est l’un des paradoxes liés au jeu des forces composant notre Terre, en son centre, la pression s’oppose à la fusion, de sorte que la graine est cristallisée, donc solidifiée.

c) Géodynamique de la Terre

Enfin, le manteau et le noyau se distinguent non pas seulement en leur être, mais en leur activité. En l’occurrence, le manteau magmatique est animé par des mouvements de convection par lequel le magma mantellique (ou mantélique) se déplace notamment de manière verticale, du fait des différences thermiques entre ses parties plus froide et plus chaude. L’une des conséquences de ces déplacements locaux est le permanent renouvellement de la croûte terrestre par le mouvement des plaques lithosphériques engendré par le processus appelé tectonique des plaques. Ainsi, l’écorce terrestres n’a jamais plus de 200 millions d’années [5], alors que la Terre est « vieille » d’un peu plus de 4 milliards et demi d’années – précisément 4,55 (+ou – 0,07) giga-années, selon l’isochrone de Patterson [6], repris par Allègre [7].

La partie externe du noyau, du fait de sa liquidité, est aussi animée de mouvements de convection. Or, du fer en mouvement engendre un champ magnétique. C’est donc cette partie du globe terrestre qui est la cause des champs magnétiques qui ceinturent et gainent la Terre. Ainsi qu’on le sait, ce champ magnétique terrestre dévie les particules hautement énergétiques émises par le Soleil sous forme de vent solaire ; or, ces particules sont mortelles pour la vie ; donc, dans une vision finaliste (que je défends résolument), ce champ magnétique a pour fonction première de protéger la vie terrestre et mérite donc bien son autre nom de bouclier terrestre.

En revanche, du fait de sa solidité, la graine, elle, est figée et n’est donc pas animée de ces mouvements de circulation interne. Elle ne peut donc jouer ce rôle de dynamo auto-excitée qu’exerce le noyau externe et émettre de champ. Elle joint donc à sa dissimulation inaccessible, une immutabilité – ce qui n’est surtout pas synonyme de passivité.

2) Une interprétation « ontophanique »

Après avoir évoqué quelques présupposés métaphysiques, nous les appliquerons à la Terre et les mettrons en résonance avec deux autres applications analogiques.

a) Être et mystère

Sans entrer non plus ici dans le détail, disons que, pour la métaphysique de l’amour-don, l’être est mystère. En effet, tout étant est composé de deux pôles : l’apparition et le fond. Et ceux-ci se configurent de manière en quelque sorte lamellaire ou concentrique entre un centre et une périphérie. Ajoutons que l’apparition n’est communiquée que parce que le fond lui-même lui permet de se communiquer sans être lui-même communicable. Ce qui permet de se donner n’est pas soi-même donnable, sauf à contredire le don. Pour prendre l’exemple le plus sommital, le Père donne tout à son Fils, son existence, son essence et ses propriétés, sauf ce qu’il est, son identité personnelle, à savoir la paternité qui, justement, lui permet d’être l’Amour dans la source.

Or, cette distinction statique est dynamique : l’apparition surgit du fond qu’elle donne à voir [8]. C’est ainsi que l’animal se manifeste à travers sa forme, ainsi que le zoologiste Adolf Portman l’a si magistralement montré [9]. En retour, si l’apparition se communique, jamais elle ne peut épuiser le fond. Aussi témoigne-t-il de l’inexhaustibilité par son retrait.

Enfin, cette dynamique est, ultimement, celle même de l’amour. En effet la méta-loi de l’amour est l’auto-communication. Or, celle-ci se décline doublement, selon qu’elle est transitive (ad extra) ou immanente (ad intra). La structure ontophanique (du substantif grec on, ontos, « étant », et du verbe lui aussi grec, phanéin, « apparaître ») est donc ce qui résulte de la communication ad intra qu’est l’automanifestation [10].

b) La structure mystérique de la Terre

Appliquons ces notions trop brièvement rappelées à la Terre, en sa structure, en sa dynamique et en sa cognoscibilité.

Tout d’abord, dans son épaisseur quasi-sphérique, notre planète cache sous sa surface une profondeur. De plus, loin d’être homogène, celle-ci est structurée de manière stratifiée en différentes couches concentriques. Ces dernières sont si constitutives de son être planétaire qu’elles se sont mises en place très précocement.

Cette structure ontophanique ou épiphanique se déploie dynamiquement. Alors que la surface des autres planètes rocheuses de notre système solaire est figée, parce que le fond s’est très tôt cristallisé, la croûte terrestre, qu’elle soit continentale ou maritime, ne cesse de jaillir des profondeurs liquides du magma silicaté. Autrement dit, le manteau fond tend à remonter pour se manifester à la surface qu’est la croûte terrestre. Et, par le mouvement de convection, la superficie qui se révèle replonge aussi constamment au niveau des plaques de subduction. En d’autres termes, il retourne vers le centre et ainsi se retire dans les profondeurs.

Il y a plus. Double est le mouvement d’autocommunication du globe terrestre : la donation ad intra du manteau vers l’écorce ; la donation ad intra du noyau interne qui irradie au-delà de la Terre dans le rayonnement électromagnétique des ceintures Van Allen. De sorte que ce qui est le plus profond est ce qui s’extériorise au plus loin. Il nous faudra revenir sur ce paradoxe selon lequel le plus intime se donne de la manière la plus ultime.

Enfin, rappelons-le, le fond à partir duquel tout se communique est ce qui ne peut se communiquer. De même ici, le noyau le plus profond, qui s’appelle la graine, est ce qui, cristallisé, ne peut pas se donner, être mis en mouvement dans la connexion. Et comme seul est connu en lui-même ce qui se révèle à la surface, cette profondeur qui permet à la totalité de se révéler, demeure ce qui est irrévélable, ce qui, pudiquement, se voile pour que tout se révèle et ainsi se donne.

b) Une résonance analogique avec le vivant

Comment ne pas mettre ces caractéristiques en relation non pas métaphorique, mais analogique, avec ce que nous savons du vivant et même de l’homme ? Prenons le sommet de la création matérielle qu’est le corps humain.

Pour l’anthropologie spontanée qui est symbolique (et se trouve aussi être celle de la Bible,) le cœur de l’homme, c’est-à-dire son centre intime, se manifeste dans son visage (qui est le lieu et le symbole de l’expression) et ses mains (qui sont le lieu et le symbole de l’effectuation). En outre, l’organisme humain est structuré de manière concentrique à partir de différents tissus et organes qui s’étagent du plus extérieur au plus intérieur. Et, par le jeu complexe de différents systèmes (osseux, musculaire, nerveux, vasculaire, etc.) qui font communiquer ces différentes strates, le plus intime peut ainsi se manifester sur le plus exposé et spectaculaire qu’est la peau, singulièrement la peau du visage.

Enfin, passant de l’anatomie à la physiologie, nous savons aujourd’hui que les deux organes centraux et centralisateurs que sont le cœur et le cerveau diffusent, en émettant un rayonnement électro-magnétique. D’ailleurs, le rayonnement cardiaque, qui est l’équivalent d’une lampe de 100 watts, est quatre fois plus puissant que celui de l’encéphale, pourtant quatre fois plus lourd. Ainsi, comme la Terre, le corps humain est animé par cette loi d’une double communication, ad intra et ad extra. De même, comme la Terre, ce qui est intermédiaire se donne au plus proche à savoir la peau, alors que le plus intime, à savoir le cœur, irradie au plus loin.

c) Une résonance analogique avec l’homme

Passons, toujours analogiquement, de l’ordre des corps à celui de l’esprit et, plus encore de la charité. L’école carmélitaine, de sainte Thérèse d’Avila à Sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix, nous a appris que, dans le château de l’âme, il n’y a pas seulement un centre, mais le centre du centre, le noyau de l’âme, où demeure Dieu, « plus intime à moi-même que mon intimité » (saint Augustin). Or, s’il est plus caché, ce noyau brûlant n’est surtout pas moins puissant. Au contraire. Voilà pourquoi il irradie plus largement et plus généreusement. Dans une géniale intuition, la première proposition du De causis que saint Thomas signait et christianisait affirme que l’effet est plus causé par la Cause première que par la cause seconde. De même, l’action provenant de la source la plus intime et la plus originaire est-elle la plus diffusive et son effet le plus étendu.

3) Conclusion

Les sciences de la Terre ne font pas que confirmer de manière lumineuse la structure ontophanique, statique et dynamique, de l’étant. Elles l’enrichissent. Tout d’abord, nous venons de le dire, elles vérifient une double loi croisée et contre-intuitive de communication stratifiée. Ensuite, il n’y a pas besoin d’interpréter la Terre comme un super-organisme vivant [11] (le vivant engendrant un vivant semblable à lui selon l’espèce, qu’enfanterait donc notre planète ?), pour en contempler avec émerveillement son unité rayonnante. Enfin, plus encore qu’à la Renaissance, nous pouvons aujourd’hui continuer à affirmer que notre microcosme humain est à l’image du macrocosme ici terrestre – tout en le contenant et donc en le débordant. Comment mieux tenir, avec l’écocentrisme et les philosophies animalistes, la continuité entre l’homme et la nature, et avec l’anthropocentrisme, le primat (sans domination) de celui-ci sur celle-là ?

Pascal Ide

[1] Claude Allègre, L’écume de la Terre, coll. « Le temps des sciences », Paris, Fayard, 1983, p. 159.

[2] Vous trouverez des développements dans le cours d’histoire de philosophie de la nature sur le site : 3ème partie, chap. 6 : « Brève histoire philosophique de la géologie ».

[3] Pour une approche actualisée, cf. l’ouvrage très pédagogique d’Anne Nédelec, La Terre et la vie. Une histoire de 4 milliards d’années, Paris, Odile Jacob, 2022, notamment chap. 1 : « La formation de la Terre ».

[4] Cette constitution se retrouve aussi pour deux autres planètes rocheuses de notre système solaire : Vénus et Mars.

[5] Cf., par exemple, Anne Nédelec, La Terre et la vie, p. 59-60.

[6] La Terre ne peut pas être datée directement. Une seule solution : procéder par la voie indirecte. Le géochimiste américain Clair Patterson formula l’hypothèse puissante que les météorites qui bombardent la Terre ont été formées avec le système solaire, donc sont isochrones de la Terre. Or, il a daté cinq météorites, trois chondrites et deux sidérites à partir des isotopes radioactifs et radiogéniques qu’ils contiennent (cf. Clair Patterson, « Age of meteorites and the Earth », Geochimica Cosmochimica Acta, 10 [1956] n° 4, p. 230-237).

[7] Cf. Claude Allègre et al., « The age of Earth », Geochimica Cosmochimica Acta, 59 (1995) n° 8, p. 1445-1456.

[8] Cf. Pascal Ide, Être et mystère. La philosophie de Hans Urs von Balthasar, coll. « Présences » n° 13, Namur, Culture et vérité, 1995, notamment chap. 1, en particulier p. 26-28.

[9] Cf. Id., « La forme (animale) comme gratuite automanifestation. Adolf Portmann, Jacques Dewitte et quelques autres », Revue des questions scientifiques, 190 (2019) n° 3-4, p. 349-383.

[10] Cf. Id., « Métaphysique de l’être comme amour. Quelques propositions synthétiques », La métaphysique, numéro coordonné par Emmanuel Tourpe, Recherches philosophiques, 6 (2018), p. 29-56, ici p. 40-46.

[11] Cf. James Lovelock, La Terre est un être vivant. L’hypothèse Gaïa, trad. Paul Couturiau et Christel Rollinat, coll. « L’Esprit et la matière », Monaco, Le Rocher, 1990 : rééd. coll. « Champs », Paris, Flammarion, 1993.

17.1.2023
 

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