La théosophie selon Antoine Faivre

Dans la perspective historique qui le caractérise, Antoine Faivre, spécialiste de l’hermétisme, propose une mise au point très pédagogique sur ce qu’est la théosophie dans sa différence d’avec différents courants comme l’occultisme [1].

1) Quelques traits définitoires

a) Exposé

Lors de son apparition chez son génial inventeur, le Silésien luthérien Jacob Boehme, et chez ses successeurs, la théosophie se caractérise par trois traits communs :

  1. une « spéculation illuminée » qui porte, uniment, sur le « ‘triangle’ Dieu-homme-nature » ;
  2. « la primauté du mythique l’imagination créatrice du théosophe est censée prendre appui sur la révélation, mais en privilégiant ses aspects les plus mythiques ». D’où l’appel à des thèmes et des personnages comme la Sophia, l’androgyne primitif, les chutes de Lucifer et d’Adam.
  3. « L’accès direct aux mondes supérieurs », divin ou angélique, le monde imaginal dont parle Henry Corbin ; et cela s’opère, du côté du sujet, grâce à une faculté déposée dans l’homme de se mettre en relation avec ce monde, en vue d’une seconde naissance.

b) Commentaire

La question de l’imaginaire est au centre de la théosophie, sous deux aspects décisifs. 1. Le premier est d’ordre spéculatif : l’imaginaire est le lieu même d’élaboration des principales notions. On notera d’ailleurs que celles-ci présentent différentes formes des personnages, des thèmes ou plutôt des événements. Au fond, ils sont peu nombreux et concernent beaucoup l’origine. 2. Le second est d’ordre pratique : l’imaginaire n’est pas que réceptif ou même créatif, il est un lieu de transformation qui permet d’entrer en contact avec le monde supérieur. Autrement dit, loin de se limiter à la théorie ou à la technique, il possède une valeur éthique.

2) Quelques causes subjectives

a) Exposé

La théosophie est né à la faveur de six facteurs qui sont autant de causes historiquement et intellectuellement favorisantes. On pourrait les systématiser en les cristallisant autour de trois grandes aspirations :

  1. l’aspiration à la liberté ; or, le luthéranisme se fonde sur le libre examen versus le principe d’autorité et le magistère (facteurs 1 et 4) ;
  2. l’aspiration à l’expérience et l’expérience intérieure dans une époque marquée par la sécheresse spirituelle de la théologie (facteurs 2 et 3) ;
  3. l’aspiration à l’unité, à la vision globale dans une époque qui valorise la distinction des disciplines et la séparation mécaniste (facteurs 5 et 6).

Or, la théosophie va répondre à ces différentes requêtes : 1. l’importance de l’inspiration prophétique ; 2. le mélange de mystique et de rationalisme ; 3. la visée globalisante de la théosophie et l’idée de correspondance universelle.

Incontestablement, ces aspirations existent encore aujourd’hui, non seulement dans l’occultisme, le New Age, mais aussi dans bon nombre de quêtes imaginaires.

b) Commentaire

La théosophie oppose deux approches cosmologiques : la vision mécaniste et la vision analogique qui, procédant par correspondance, insère le microcosme dans le macrocosme par la médiation de l’homme comme résumé de l’univers. Faut-il le préciser, l’approche analogique, qui est synthétique, réagit contre la fragmentation induite par l’approche mécaniste. Ne retrouve-t-on pas ici les deux logiques du tout intégral et du tout subjectif ? À moins que, plus profondément, il s’agisse des deux approches abstractives, formelle et totale. En effet, la première conserve la totalité (elle abstrait seulement l’individu, mais garde intacte la composition de l’essence universelle) et pas la seconde (elle abstrait la matière elle-même) ; or, l’on sait combien la mathesis universalis est la matrice de la modernité scientifique, mais aussi philosophique.

Pascal Ide

[1] Antoine Faivre, « Théosophie », Jean-Yves Lacoste (éd.), Dictionnaire critique de théologie, Paris, p.u.f., 1998, p. 1135-1137.

18.1.2023
 

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