B) La théorie de la tectonique des plaques
Après avoir parcouru l’histoire des théories qui s’achève par le triomphe de la théorie plaquiste, exposons-la.
1) La cinématique globale
La cinématique est l’étude des mouvements. Ici appliquée à la Terre considérée en son unité globale et dynamique.
a) Triple fondement observationnel
1’) Les séismes
Un article capital de trois sismologues, Jack Oliver et ses deux élèves, Isaaks et Sykes, du Lamont Geological Observatory, publié en 1968, par le Journal of Geophysical Research, va proposer une synthèse cohérente et extrêmement homogène. Or, on se rappelle combien jusqu’à ce jour, les chercheurs sont perdus dans l’analyse et manquent cruellement de théorie unificatrice. Cet article va donc jouer le rôle de détonateur dans la communauté scientifique que la moisson des faits autant que la frustration du naturel quoiqu’implicite désir d’unité et de compréhension a longuement préparés.
L’article convoque et unifie la quasi-totalité des données disponibles en sismologie.
a’) Premier groupe de faits
La répartition des foyers de tremblement de terre n’est pas aléatoire ou ubiquitaire comme le pense souvent le grand public, mais très ordonnée. Précisément, ils se localisent au niveau des dorsales océaniques, des failles transformantes et dans les zones de subduction, ie. les fosses. Précisons non plus en surface, mais en profondeur : dans les deux premiers cas, les séismes ont des foyers superficiels (inférieurs à 100 kilomètres) et dans le troisième, les foyers peuvent se situer jusqu’à 700 kilomètres, maximum. On ne trouve jamais de séismes plus profonds. Comment rendre compte de ces faits ?
Un séisme (autrement dit, un tremblement de terre) est la manifestation énergétique spectaculaire de la rupture (superficielle ou plus profonde) brutale d’un milieu solide rigide. Or, la partie rigide de l’écorce terrestre qui s’appelle lithosphère fait environ 100 kilomètres d’épaisseur. Nous avons vu plus haut que cette lithosphère était chimiquement hétérogène, constituée de la croûte et de la portion supérieure du manteau, mais physiquement ou mécaniquement homogène, à savoir rigide, réagissant de manière rigide aux sollicitations mécaniques. Mais la théorie de la tectonique des plaques explique que les seules zones géologiquement actives où les plaques interagissent sont les dorsales et les fosses, ainsi que les failles transformantes. Par ailleurs, cette théorie du sea floor spreading explique que les plaques s’enfoncent profondément et disparaissent dans le manteau. Ainsi s’explique l’existence là et là seulement de séismes profonds.
b’) Second groupe de faits
On peut préciser les données, en faisant intervenir l’intensité des séismes. Les dorsales sont le siège de tremblements de terre d’intensité relativement modeste. En revanche, les failles transformantes sont le siège de séismes beaucoup plus puissants (et cela vaut pour les trois types de failles : dorsale-dorsale, dorsale-fosse et fosse-fosse). Tel est par exemple le cas pour la plus célèbre des failles transformantes, celle de San Andreas qui joint le golfe de Californie à la ride Juan de Fuca où se localisent les grands séismes californiens dont celui qui endommagea San Francisco en 1906.
Or, les séismes sont des émetteurs d’ondes acoustiques ; mais les milieux transmettent différemment les ondes sismiques : les milieux rigides les transmettent bien et les milieux plus visqueux moins bien. Or, on peut définir un paramètre physique qui est le facteur de qualité du milieu ou facteur Q, mesurant cette capacité d’absorption des ondes sismiques : un milieu rigide est à Q élevé et un milieu visqueux est à Q faible. Que donnent les résultats ? Sur la presque totalité du globe, les 70 à 100 premiers kilomètres sont à Q élevé : on l’appelle lithosphère ; et la zone immédiatement sous-jacente est à Q faible : on l’appelle asthénosphère. Or, la tectonique des plaques prévoit une telle différence de structure qui permet justement le déplacement des plaques rigides sur un fond plus liquide.
Mais il faut aller plus loin. Au voisinage des failles transformantes, la répartition de Q est homogène de part et d’autre ; mais le séisme se propage plus aisément si le milieu est homogène ; voilà pourquoi les tremblements de terre y sont plus puissants. En revanche, la répartition de Q est différente de part et d’autre des dorsales et des fosses ; or, la tectonique des plaques prévoit que le manteau monte plus haut, vers la surface pour créer de la plaque : voilà pourquoi la lithosphère sera plus importante d’un côté que de l’autre. De même, au niveau de la fosse, la plaque (la lithosphère à Q élevé) s’enfonce dans une asthénosphère à Q faible : donc, la répartition des Q est hétérogène, selon les prévisions de la théorie plaquiste. On peut donc dire que la subduction est « séismologiquement ‘démontrée’ [1] ».
C’est ainsi que nos trois auteurs vont prononcer pour la première fois le terme désormais célèbre de tectonique des plaques. En fait, pour être rigoureux, cet emploi est inadéquat et trop large, car la prestigieuse tectonique des plaques, au sens précis, ne concerne que la genèse des montagnes. Mais l’usage va bientôt se fixer pour désigner cette nouvelle théorie de la dérive des continents par les termes de tectonique des plaques.
Mais deux autres groupes de faits établissent cette théorie.
2’) Les volcans
Au-delà de son aspect spectaculaire (sans doute le plus fascinant qui soit avec les séismes et les tsunami), les volcans constituent, objectivement, un transport double de masse (un matériau silicaté fondu appelé magma) et d’énergie thermique de la profondeur du globe à sa surface, à l’occasion d’une faille. Or, comme les séismes, ces phénomènes n’apparaissent qu’en des zones étroites et bien définies : les dorsales océaniques (où le volcanisme est le plus actif : par exemple l’Islande située sur la dorsale médio-atlantique), les zones de subduction, mais pas les failles transformantes qui sont volcaniquement inactifs alors qu’ils sont séismologiquement très actifs. D’où la question absolue et relative ou comparative : pourquoi cette répartition ? pourquoi la carte des séismes ne se superpose-t-elle pas à celle des tremblements de terre (les zones volcaniques sont sismiquement actives, mais pas l’inverse) ?
La tectonique des plaques apporte une réponse aussi simple que claire : l’existence de volcans suppose l’apport ascendant de matière magmatique ; or, selon la théorie dériviste, les failles transformantes ne sont animées que de mouvements horizontaux de matériau, mais au niveau les dorsales, le manteau fabrique de nouvelles surfaces par apport vertical et au niveau des fosses où ce matériau plonge dans les profondeurs ; voilà pourquoi ces failles transformantes sont avolcaniques, mais pas les dorsales ni les fosses.
3’) L’orogénèse
Partons là encore des faits : les chaînes de montagnes sont les zones déformées par rétrécissement local de la surface du globe, ie. des continents ou des océans. Or, double est la répartition de ces plissements : soit à la limite océan-continent (comme les Cordillières américaines qui vont de l’Alaska jusqu’à la Terre de Feu), soit intracontinentales (on qualifie d’alpines ces chaînes car elles regroupent les Alpes, mais aussi les chaînes de la Grêce, de l’Himalaya, de la Birmanie, etc.).
Comment expliquer ces localisations bien différentes ? Justement, la tectonique des plaques en donne une vision unifiée magistrale : les Cordillières naissent à une zone de subduction (l’intervalle californien s’explique par la présence de la faille transformante de San Andreas, nous l’avons vu) ; les chaînes alpines, quant à elles, se situent à la rencontre de deux blocs continentaux, par collision de continents, lors de la dérive de continents, notamment entre Laurasia et morceaux du Gondwana : l’Himalaya naît de la rencontre de l’Asie et de l’Inde et les Alpes de celle de l’Afrique et de l’Europe. Or, zones de subductions et continents marquent les frontières des plaques. La topologie des chaînes des montagnes confirme donc le modèle plaquiste.
b) Énoncé rigoureux de la théorie
Elle peut se systématiser en huit lois que l’on peut répartir de la manière suivante :
1’) Lois relatives aux plaques
[1] En leur nature : « La surface du globe est subdivisée en plaques rigides. Ces calottes sphériques ont une centaine de kilomètres d’épaisseur : c’est à cette unité structurale que l’on donne le nom de lithosphère. on parle de plaques lithosphériques ».
En leur dynamique, les plaques obéissent à trois sortes de mouvement :
[2] La génération de plaques : « Les plaques naissent au niveau des dorsales océaniques. Cs structurers sont appelése zones d’accrétion ».
[3] La translation : « Les plaques s’écartent sans se déformer. Elles glissent sur un substratum visqueux que l’on appelle asthénosphère ».
[4] La corruption : « Les plaques sont détruites au niveau des fosses océaniques, zones dites de subduction, par enfoncement dans le manteau ; mais, dans ce processus, seules les parties océaniques des plaques sont englouties ».
2’) Lois relatives aux continents
[5] « Les continents légers se déplacent avec les plaques qui les portent, mais sont insubmersibles ».
3’) Les frontières, les marges au sein des plaques et continents
[6] Nature : « Les frontières des plaques sont constituées des dorsales, des zones de subduction et d’une série de nouvelles failles dites transformantes. Elles ne coïncident pas, en général, avec les limites océan-continent. L’étude de la sémiscité permet de les cartographier ».
[7] Par accident : « L’énergie interne du globe se dissipe aux frontières des plaques, soit de manière mécanique (séismes, formation des montagnes), soit de manière thermique (plutons, volcans) ».
4’) Globalement formalisation des mouvements de plaques
[8] « Les mouvements relatifs des plaques rigides sont régis par les lois mathématiques de la cinématique sur la sphère. Ainsi le mouvement relatif de deux calottes sphériques rigides est complètement décrit si l’on en connaît le pôle de rotation, dit pôle eulérien, et la vitesse angulaire relative [2] ».
c) Valeur de la théorie
1’) D’une part, sa fécondité
Nous le redirons plus bas, la fécondité de la théorie plaquiste est immense. Nous avons vu ci-dessus le phénomène de la « peau de zèbre » des basaltes magnétisés tenait à la genèse du fond océanique à partir des dorsales ; nous avons aussi vu que cette peau pouvait se froisser, du fait des failles transformantes. Or, dorsales et failles transformantes permettent, avec les zones de subduction lithosphériques, de décrire les histoires géologiques des océans. Donc, le déchiffrage précis des peaux de zèbres froissées correctement interprétées fait mémoire de l’histoire des océans. C’est ce qu’a fait à un niveau global Xavier Le Pichon ; c’est ce que vont faire, à un niveau plus régional et plus complexe, d’une part John Sclater, Dan McKenzie (déjà rencontré) et Roland Schich pour l’océan Indien (découvrant ainsi que le déplacement de l’Inde vers l’Asie fut mouvementé, en plusieurs temps, de directions et de vitesses différentes, laissant encore beaucoup de questions en suspens), d’autre part, Walter Pittman et Jim Hayes, du Lamont, pour le golfe de l’Alaska, ou Bill Menard et Tanya Atwater, de la Scripps pour le Pacifique-Est (Tanya, a ainsi émis l’hypothèse de l’existence d’une plaque nouvelle, dite Furallon, aujourd’hui presque disparue, expliquant l’apparition de la faille de San Andreas).
2’) D’autre part, ses limites
Comme toute théorie, la tectonique des plaques ne livre pas la réalité, mais un modèle approché de celle-ci. Cela est d’autant plus évident que l’on ignore ce qui passe dans les entrailles de la Terre et qu’a priori, sa structure solide et compacte nous la rend à jamais impénétrable, au moins en sa totalité.
Ne nous cachons donc pas les limites, voire les échecs de la théorie qui est loin de tout expliquer.
« Après des succès aussi éclatants, on pouvait penser que la tectonique des plaques allait rapidement expliquer la géologie des chaînes de montagnes, l’orientation de leurs structures et la chronologie des épisodes de compression et de distention. Pour ce faire, il suffit en principe de déterminer les limites de plaques, puis les pôles de rotation qui gouvernent leurs mouvements relatifs, pour déduire les périodes de collisions, les époques de coulissages, les modifications d’orientation de l’expansion permettant de déterminer les modifications dans la géométrie des structures, etc ».
On a ainsi voulu reconstituer enfin l’histoire de la méditerranée, qui doit résulter de la collision des deux plaques Europe et Asie. Or, des plaquistes aussi convaincus et compétents que Dan McKenzie ou Wavier Le Pichon, utilisant autant les ressources de la théorie que les données de la sismologie ou du paléomagnétisme des océans, n’ont pas réussi à « faire avancer notablement le problème ». S’ajoute la complexification des données : « La logique des chaînes périméditerranéennes semble plus complexe que tous les modèles plaquistes proposés. Certes, toutes ces tentatives remportent localement des succès, mais aucune ne donne une vision synthétique convaincante de la géologie méditerranéenne [3] ».
d) Vie de la théorie
1’) Premier temps : la réception
Tout d’abord, la réception de la théorie de la tectonique des plaques a pris son temps. Elle a connu de vives résistances. Pour ne donner que l’exemple de la France, en 1971, soit dix ans après l’article de Hess, on ne trouve aucun « grand patron » de la géologie, à l’exception de Maurice Mattauer, qui accepte, même à titre d’hypothèse, la dérive des continents.
« En 1978, au Congrès national réuni à Orsay, soit dix ans après les articles de McKenzie et Parker, de Morgan et Le Pichon, on verra encore plus de la moitié des géologues français hostiles à la théorie des plaques ! Les conflits prendront partout des formes aiguës, violentes et la communauté scientifique se scindera en plaquistes et antiplaquistes. Pendant plus de dix ans, la page scientifique du journal Le Monde sera une source d’informations sur la tectonique des plaques plus riche que les manuels scolaires et universitaires, voire même que beaucoup de cours professoraux [4] ! »
Mais la championne toute catégorie en matirèe de conservatisme demeure l’Union Soviétique et son Académie des Sciences : l’Académicien Beloussov, grand responsable de la géologie soviétique fut un adversaire acharné du mobilisme géologique, jusque dans les annéees 1980.
Heureusement, les oppositions au plaquisme et au mobilisme ont été rapidement dépassées. « La dérive des continents est aujourd’hui un fait scientifique aussi bien admis que la structure de l’atome ou la formule chimique de l’ADN. Le cadre mobilsite est le cadre obligatoire dans lequel doit se replacer toute recherche géologique, et cela n’est plus contesté par personne [5] ».
2’) Second temps : progrès et précisions
Une fois acceptée, la théorie dériviste bénéficia de progressives précisions. Dans un premier temps, Xavier le Pichon a découpé le globe terrestre en sept plaques, comme on l’a vu. Aujourd’hui, ie. en 1983, on retient l’existence d’une quinzaine de plaques. Le progrès a consisté aussi en une plus grande formalisation de la cinématique du globe.
2) La cinématique précise
Allègre détaille ensuite deux types précis de mouvements : les mouvements aux frontières [6] et l’orogénèse ou genèse des montagnes [7].
Ces développements, plus techniques, sont scientifiquement intéressants, mais philosophiquement (tant au plan épistémologique qu’au plan de la cosmologie philosophique) moins importants et moins riches. J’y renvoie donc.
3) La cause du mécanisme [8]
Ayant étudié le mouvement, il convient maintenant d’en analyser les causes, c’est-à-dire les causes efficientes.
a) Exposé du mécanisme
Nous avons vu que la théorie de Wegener avait, notamment, échoué, faute d’explication causale suffisante. Pour autant, aujourd’hui et paradoxalement, les explications pullulent mais aucune ne peut prétendre détenir la totalité de la solution.
La réponse usuellement acceptée par les chercheurs est la théorie de la convection mantellique, c’est-à-dire un mouvement intérieur au manteau de la Terre, dû à la chaleur et qui serait source du tapis roulant des océans. Un simple dessin permettra de comprendre.
Encore faut-il préciser quelques points. D’abord, une expérience toute simple de chauffage d’une casserole nous met en présence de mouvements de convection : l’eau chaude est moins dense que l’eau froide ; or, du fait de la pesanteur, ce qui est plus lourd demeure en bas et ce qui est plus léger monte ; une eau qui est chauffée par le bas va donc présenter un mouvement ascendant ; mais une fois refroidie, l’eau montée pesant plus lourd tend à redescendre, d’autant que « pousse » l’eau plus chaude. Ainsi naissent des mouvements de va-et-vient ou de convection. D’ailleurs, ces processus auto-organisateurs ne sont possibles qu’à certaines températures : sinon un chauffage trop important crée un régime turbulent qui désorganise et rend chaotique cette structuration spontanée. Or, il existe des sources de chaleur interne à la Terre : la désintégration des éléments radio-actifs, comme l’a montré Joly ; la chaleur dégagée par le noyau terrestre (notamment du fait de l’application de la loi de Mariotte : la température est proportionnelle à la pression qui est elle-même fonction de la profondeur ; or, le noyau qui est le plus profond supporte les plus grandes pressions ; il est donc la partie la plus chaude du globe) ; la chaleur résiduelle des premiers temps de la Terre. Voilà pourquoi le manteau est source de mouvements de caractère convectif ; précisément, les dorsales sont le lieu d’apparition du courant mantellique ascendant et les zones de subduction sont les zones de courant mantellique descendant. Mais nous avons vu que ces mouvements convectifs sont instables et dépendent de la température, donc peuvent varier dans le temps. On concevra donc aisément que « la distribution des courants de convection est variable au cours du temps [9] », précisément est non-linéaire, ce que l’expérience confirme abondamment.
Par ailleurs, cette théorie présuppose une relative séparation entre le mouvement de convection et la plaque rigide qui s’en trouve mue ; or, c’est ce que permet l’athénosphère, dont nous avons vu qu’elle est plutôt molle et peut servir de lubrifiant au déplacement des plaques.
Mais une fois ces points adoptés, beaucoup d’autres demeurent obscurs.
b) Les questions en suspens. Les différentes théories
1’) Première théorie explicative la théorie des panaches chauds ou hot spots
Partons d’une difficulté. Selon la théorie classique de la tectonique des plaques, seules les dorsales et les zones de subduction sont des zones d’activité volcanique. Or, nombreux sont les chaînes volcaniques intra-océaniques : l’exemple type en est l’archipel des îles Hawaii. La réponse immédiate est que les volcans seraient soumis au sea floor spreading et devraient donc migrer à une distance proportionnelle à leur ancienneté. Mais, là encore les fait déçoivent : l’île de Hawaii porte un volcanisme actuel ; or, elle se trouve éloignée de plus de 6 000 kilomètres de la dorsale Est-Pacifique !
On doit à Tuzo Wilson l’hypothèse d’un point chaud présent sous la plaque océanique Pacifique qui, elle, dérive continuellement vers l’ouest ; or, il émettrait régulièrement des panaches (hotspots en anglais) de magma donnant lieu à des volcans en surface ; ce qui expliquerait donc que les volcans puissent apparaître indépendamment des zones de dorsales et de subduction. Et Wilson généralise sa théorie à toutes les chaînes de volcans océaniques. Pour en donner une image parlante, la plaque serait donc comme un ruban d’imprimerie qui circulerait au-dessus du point chaud et que celui-ci impressionnerait ou poinçonnerait régulièrement, lors de la montée d’une bulle magmatique. Confirmation de cette théorie est apportée par l’indépendance des chaînes volcaniques vis-à-vis de la distinction et de la transition océan-continent, que respecte, on l’a vu, le mouvement des plaques (ne concernant que le fond des océans).
Or, cette explication intéressante va acquérir une importance considérable grâce aux travaux de Jason Morgan, le fondateur de la tectonique des plaques, qui va en faire le moteur même des plaques. En effet, pour lui, ces panaches chauds ne sont pas juste sous la plaque comme le pensait Wilson, mais dans le manteau profond ; de plus, ces panaches semblent fixes depuis 50 millions d’années : ils constituent en quelque sorte un repère mantellique fixe, ce qui permet de servir de repères de mouvements absolus. Or, la dorsale a besoin d’être maintenue fixe en recevant des injections de matière venant des profondeurs. Aussi, ces hotspots constituent, pour Morgan, « des moteurs pour la convection mantellique, et donc les moteurs de la tectonique des plaques [10] ».
Une preuve est apportée par la différence de composition chimique et isotopique des basaltes des îles océaniques et de ceux des dorsales : leur origine est donc différente, ce que prévoit la théorie ci-dessus. Les hotspots vont acquérir une notoriété peut-être surfaite. Ce qui est en tout cas assuré, c’est que Morgan lui-même contredit un des dogmes de la tectonique des plaques qu’il a fondée : les frontières ne sont désormais plus les seules régions géologiquement actives. Il s’oppose aussi à un autre présuppposé de l’orthodoxie plaquiste qui demande que la source des mouvements des plaques se situent près de la surface.
2’) Seconde théorie explicative
Là encore, partons d’un problème : une chose est de décrire les mouvements, l’autre de comprendre comment ils se déroulent. Mais trois mécanismes sont possibles : les plaques sont soit poussées, ce qui signifie que la cause motrice est située au niveau des dorsales ; soit entraînées, ce qui veut dire que le moteur concerne la plaque entière et tient aux mouvements du plateau lui-même ; soit tirées, ce qui signifie que l’origine est dans la zone d’enfoncement ou de subduction. Or, les séismes seront différents dans les trois cas : de compression dans le premier, d’extension dans le second et alternés dans le troisième.
Or, l’observation des mécanismes aux foyers des séismes réalisées par Zykes, confirmée par d’autres auteurs, semble aller dans le sens de l’extension. À cette expérience se joint une explication nouvelle et autre que celle qui fait appel au mouvement qualitatif : les plaques s’enfonceraient sous l’effet du mouvement local de gravitation, donc de leur poids. Louis Liboutry, glaciologue grenoblois, montrera le rôle capitale de la gravité : en effet, une fois refroidie, la plaque devient rigide et plus lourde qu’auparavant ; or, ce qui est plus lourd et rigide tend à davantage tomber, s’abîmer. Néanmoins, cette école adopte une vision intégratrice qui conjugue les deux mouvements : thermique pour la convection mantellique profonde et gravifique pour le cycle convectif superficiel intéressant la subduction.
c) Conclusion
L’unité n’est en tout cas pas encore acquise ni sur le mécanisme de convection mantellique, ni sur sa nature. La géodynamique du manteau est en pleine mutation. [11]
Pascal Ide
[1] L’écume, p. 146. L’article fait aussi appel à un troisième type d’argument qu’Allègre évoque plus abstraitement : il est relatif à la forme et aux mécanismes des foyers des séismes qui sont de différents types (compression, étirement et décrochement). Or, cette diversité de mécanismes « montre des caractères tout à fait compatibles avec le modèle plaquiste ». (L’écume, p. 147)
[2] L’écume, p. 155.
[3] Cf. L’écume, p. 164 à 166. Décidément, cette Méditerranée demeure un mystère non seulement quant à l’esprit qui y est né, mais aussi quant au cadre même qu’elle constitue, en son apparition : miracle ?
[4] L’écume, p. 169 et 170.
[5] L’écume, p. 170.
[6] Cf. L’écume, chap. 5.
[7] Cf. L’écume, chap. 6.
[8] Allègre le développe au chap. 7 : « Qu’est-ce qui fait bouger les plaques ? » (p. 263 à 295)
[9] L’écume, p. 268.
[10] L’écume, p. 274.
[11] Les chap. 4 à 7 étaient consacrés aux plaques, donc à ce qui était mobile ; dans un dernier chapitre (8), Allègre étudie ce qui est immobile, le « non-plaque », à savoir les continents qui constituent ce qui a donné son titre à l’ouvrage : l’écume de la terre. Comme les chap. 5 et 6, l’intérêt est moins grand au plan philosophique et je renvoie au texte.