On le sait, devise des Jeux Olympiques : « Plus vite, plus haut, plus fort » – mieux, en ce beau latin qui rime : « Citius, altius, fortius » –, on la doit à ce personnage haut en couleurs que fut le père Henri Didon (1840-1900) [1]. Certes, on ne la trouve ni dans ses nombreux discours, ni dans sa volumineuse correspondance. Mais le baron Pierre de Coubertin l’a rapporté dans les jours où celui qu’il appelait « un Bayard moral [2] » l’a inventée [3].
Quoi qu’il en soit, ce qui, pour le père dominicain, est le plus important dans cette devise ne réside pas dans les adjectifs, mais dans la proposition comparative « plus ». Non point pour écraser l’autre, mais pour pleinement déployer ses énergies, ainsi qu’il l’affirme en commentant la parabole des talents : « Vouloir renverser son adversaire coûte que coûte n’est certes pas chrétien ; mais vouloir atteindre au plus haut par le déploiement de toutes les facultés, voilà la pure morale évangélique [4] ». Et cet idéal représente aussi pour cette âme virile, voire martiale, un remède face à la déliquescence qu’elle diagnostique au sein de la société de son époque (le diagnostic est-il devenu obsolète ?). C’est ainsi que, devenu prieur d’Arcueil, il exhortait ainsi les élèves qui lui sont confiés : « Vous êtes intelligents, et vous comprenez tout aisément ; mais quelque chose vous manque : la volonté. Là est le défaut de toute la génération de la fin du dix-neuvième siècle [5] ».
Or, ce mouvement immanent est animé du dedans par un mouvement transcendant. Cet adepte des courses en montagnes, ce contemplatif des massif alpins, ce voyant qui discerne dans les hauteurs sommitales le sacrement de l’Infini n’a cessé de convoquer les « pèlerins des ‘basses vallées’ » qui, commente l’abbé Henri Brémond à propos du père Didon, ont « besoin d’entendre ces brusques appels d’en haut qui nous forcent à relever la tête et nous redisent que certaines âmes, parties de notre univers, vivent pourtant d’idéal et ne quittent pas les sommets [6] ».
C’est ce dont témoignent les lettres à ses grandes amies, Caroline Commanville et Thérèse. Florilège :
« Si vous voulez que votre âme me soit chère, montez, montez plus haut. La plaine où vous tourbillonnez n’est pas votre patrie ; vous n’êtes point faite pour ces bas-fonds [7] ».
« Suivez-moi sur les hauteurs ; laissons la terre, elle est triste. Faisons l’apprentissage du ciel et de l’éternité, le ciel seul est digne de nous [8] ».
« Élevez-vous jusqu’à ces hauteurs où l’ai semble nous manquer mais où l’on entrevoit le Christ transfiguré [9] ».
« Donc, en avant et en haut ! Voilà la formule. […] Ouvrez-vous donc à l’Infini. Habitez une tour qui ne soit éclairée que par le ciel [10] ».
« En avant donc et en haut toujours [11] ».
« Marchons au plus haut, sans nous arrêter jamais. C’est le mot des braves, des fidèles, des disciples du Christ. S’arrêter à mi-route, c’est trahir [12] ».
« Regardez en avant et en haut, suivant la formule de saint Paul, oubliant ce qui est en arrière, et vous efforçant vers ce qui est en avant [13] ».
Et la source ultime de cette énergie ascensionnelle qui anime la devise olympique n’est pas dominicaine, elle n’est même pas seulement paulinienne. C’est le Christ lui-même, ainsi qu’il affirme avec des accents teilhardiens avant la lettre (et l’Esprit en plus) :
« Plus je vais en avant, plus je me sens christique. D’invincibles attraits m’enchaînent à cet être qui m’a enveloppé dès le sein de ma mère ; devenu homme je me vois et je me veux son apôtre. En dehors de lui, c’est la terre et l’humanité terriene ; avec lui, c’est l’Esprit et l’Humanité devenant Dieu [14] ».
Pascal Ide
[1] Cf. Yvon Tranvouez, Plus vite, plus haut, plus fort. Le père Didon 1840-1900, inspirateur des Jeux Olympiques, Paris, Le Cerf, 2024. Les citations sont extraites de cette biographie.
[2] Pierre de Coubertin, « L’âme d’un moine », Le Figaro, 9 mars 1903.
[3] Id., « L’athlétisme. Son rôle et son histoire », La Revue Athlétique, 2 (25 avril 1891), p. 193-207, ici p. 194. Cf. Id., Sport Athlétique, 14 mars 1891.
[4] P. Didon, « Les énergies humaines », discours prononcé à l’École de Sorèze (Tarn), novembre 1896, Id., L’éducation présente. Discours à la jeunesse, Paris, Plon, 1898, p. 275.
[5] Id., « La culture de la volonté », discours prononcé à la distribution des prix de l’École Albert-le-Grand, Arcueil, 1891, L’éducation présente, p. 6.
[6] Henri Brémond, « Les lettres spirituelles du P. Didon », Études, 5 décembre 1900, p. 665-676, ici p. 674-675. Repris dans Id., L’inquiétude religieuse. Deuxième série, Paris, Perrin, 1933, p. 182-200, ici p. 199.
[7] P. Didon, À Thérèse Vianzone, 19 novembre 1875, Lettres à Melle Th. V., Paris, Plon, 1900, p. 14.
[8] Id., À Caroline Commanville, 1er juillet 1877, Lettres du R.P. Didon à madame Caroline Commanville, Paris, Plon, 1930, 2 tomes, vol. 1. 1874-1883, p. 25.
[9] À Thérèse Vianzone, 2 juillet 1878, Lettres à Melle Th. V., p. 79.
[10] À Thérèse Vianzone, 28 octobre 1880, Lettres à Melle Th. V., p. 252.
[11] À Thérèse Vianzone, 3 mars 1881, Lettres à Melle Th. V., p. 297.
[12] À Caroline Commanville, 4 décembre 1887, Lettres du R.P. Didon à madame Caroline Commanville, vol. 2. 1884-1895, p. 140.
[13] À Caroline Commanville, 25 janvier 1889, Lettres du R.P. Didon à madame Caroline Commanville, vol. 2, p. 200.
[14] À Caroline Commanville, 1er avril 1881, Lettres du R.P. Didon à madame Caroline Commanville, vol. 1, p. 206.