L’expérience interdite
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Thème (s):
EMI
Date de sortie:
22 novembre 2011
Durée:
1 heures 49 minutes
Directeur:
Niels Arden Oplev
Acteurs:
Ellen Page, Diego Luna, Nina Dobrev
Age minimum:
adultes

 

 

L’Expérience interdite (Flatliners), drame de science-fiction américain de Niels Arden Oplev, 2017. Remake du film éponyme de Joel Schumacher, 1990. Avec Ellen Page

Thèmes

Expérience de mort imminente (EMI).

Le film est méprisé par la critique et boudé par le public. Non sans raisons, mais non sans gâchis et surtout non sans une motivation secrète discutable.

 

Non sans raisons. Assurément, les acteurs – Ellen Page, l’héroïne d’Inception, exceptée – manquent de talent ou du moins de direction, l’histoire de suspense (même à qui ignore la première version, bien des scènes sont prévisibles) et le film de raison d’être (cette manie hollywoodienne des remakes n’est pas qu’un signe de paresse et de déficit en créativité, c’est un symptôme de fins de civilisation : celles-ci se caractérisent souvent par une prolifération d’œuvres fades et répétitives qui dissimulent leur indigence derrière leur multiplication, qui s’imaginent que la quantité peut se substituer à la qualité).

 

Mais surtout non sans gâchis. En effet, Flatliners pose nombre de bonnes questions, même s’il n’y répond pas de manière satisfaisante. Il surfe sur une problématique qui a surgi dans les années 70 à la suite des travaux révolutionnaires du docteur Raymond Moody (Life after life, 1975) et qui est loin d’être surannée (pour le détail, je me permets de renvoyer aux quatre articles suivants en ligne : NDE, OBE, Les critères de mort clinique, Liberté et cerveau). Relevons-en sept, sans prétendre clore la liste.

  1. S’agit-il réellement d’une expérience de vie après la mort, ainsi que les protagonistes du film ne cessent de le répéter ? Si la raison de la réponse nous réjouit, la réponse elle-même, qui est donc affirmative, est erronée. Cette réponse est fausse parce que la mort, considérée ontologiquement, se définit comme une séparation de l’âme et du corps ou, plus précisément, comme une corruption du composé humain par cessation de l’information spirituelle (entraînant instantanément la transformation du corps humain en cadavre) ; or, toutes les modifications substantielles (ici, répétons-le, une corruption) sont des processus irréversibles.

Mais la raison est digne d’intérêt, parce qu’elle fait appel à l’arrêt cardio-respiratoire. En effet, la majorité des médecins identifient la mort clinique à l’arrêt cérébral. Toutefois, cette réponse me paraît insuffisante, ainsi que le développe l’article en ligne sur les critères de mort clinique. Par ailleurs, le cerveau étant l’un des organes les plus vulnérables du corps humain, il est difficilement envisageable qu’il continue à fonctionner alors que le reste de l’organisme serait mort.

  1. On objectera que la décorporation jouissive qui est vécue par les héros est une conséquence de la séparation de l’âme et du corps. Voire, on ajoutera que l’un d’entre eux fait l’expérience d’une vue du toit de l’hôpital où il n’était jamais allé auparavant.

D’abord, affirmer cette connaissance pose une question encore plus embarrassante qu’en affirmer la véracité. En effet, tout savoir provient des sens ; or, ceux-ci s’exercent par les organes ; donc, une âme séparée ne peut accéder à des informations sensibles. Par conséquent, si le fait est validé, il convient d’envisager d’autres médiations cognitives : un souvenir refoulé, une reconstruction, les anges.

Ensuite, la décorporation subjective (vécue) n’est pas la décorporation objective (ontologique). C’est ainsi que, dans un exemple célèbre, saint Paul parle, lors d’une extase, d’une expérience de séparation de son corps alors que jamais il n’a été mort – cf. 2 Co 12,2-3. Cf. les interprétations qu’en donnent saint Augustin (Lettre 147, 13, PL 33,610) et saint Thomas d’Aquin (Somme de théologie, IIa-IIæ, q. 175, a. 4-6).

  1. Le film convoque une hyperactivité cérébrale pour expliquer ces manifestations d’EMI. N’est-ce pas une interprétation unilatéralement matérialiste ?

De fait, certaines expérimentations (sur les rats) montreraient que, mis en état de mort prochaine, le cerveau présente une suractivité transitoire inattendue. Ensuite, l’explication à partir des seuls processus neuronaux ne suffit pas : les phénomènes mentaux en ont besoin ; cela ne signifie surtout pas qu’ils s’y réduisent. « Mon cerveau ne pense pas, mais tandis que je pense, il se passe toujours quelque chose dans mon cerveau » (Paul Ricœur, dans Jean-Pierre Changeux et Paul Ricœur, La nature et la règle. Ce qui nous fait penser, Paris, Odile Jacob, 1998, p. 49). Enfin, demeure une autre énigme : pourquoi le cerveau présente-t-il, au terme de la vie, un rebond d’activité ? L’article déjà évoqué propose quelques hypothèses explicatives.

  1. Lors de l’EMI, les personnages du film posent des décisions. En particulier, Marlo pose deux choix : la demande de pardon à sa victime, Cyrus, l’homme à la morsure de méduse, et la réconciliation avec elle-même, condition de son retour à la vie terrestre. Or, l’anthropologie philosophique montre que l’exercice de la liberté suppose celui de la conscience. Un signe juridique éloquent en est qu’une personne qui commet un acte délictueux alors qu’il est établi qu’elle n’était pas dans un état conscient (par exemple, lors d’un épisode somnambulique ou dissociatif), sera innocentée de l’acte.

La réponse maintient ce principe capital selon lequel la liberté se fonde sur la conscience, qui est lui-même l’application du principe universel selon lequel l’appétit suit la connaissance. Une nouvelle fois, nous observons que les questions éthiques requièrent de solides présupposés anthropologiques. Mais, à la suite d’observations toutes récentes sur personnes présentant des troubles de la conscience (comme les états pauci-relationnels), elle ajoute qu’il faut distinguer différents régimes dans la capacité d’expression. Notamment deux : soit la conscience est sinon plénière, du moins extériorisable ; soit elle est restreinte, voire minimaliste, et donc incapable de produire un signe extérieur. Or, l’on a pu observer que, même si le corps était incapable de réagir au dehors, il pouvait encore réagir au dedans (par exemple en excitant de manière différenciée telle ou telle zone de son cerveau en fonction de stimuli extérieurs). Donc, une personne, dans l’incapacité de produire des signes, peut néanmoins, dans certaines conditions (en l’occurrence, la proximité de la mort qui s’accompagne comme d’un retrait de la pleine actuation par l’âme) s’avèrer être consciente et donc poser des décisions.

  1. Le contenu des EMI présentées dans le film pose au moins deux questions. La première est l’absence d’une rencontre d’un être de lumière, dans ce qui nous est donné de voir et d’entendre.Une réponse de cette carence est évoquée en passant : trop jeunes, les participants ne sont pas encore concernés…
  2. La seconde interrogation touche le caractère sombre et même terrifiant de l’EMI. On l’ignore encore parfois, 10 % de ces expériences sont négatives. En revanche, cette question est si présente dans le film qu’elle constitue même l’une des préoccupations majeures de l’intrigue, ainsi que le développera le troisième point.
  3. Attardons-nous enfin à la question morale posée par le film : une telle expérimentation est-elle éthiquement recevable ? Flatliners y répond jusque dans ses titres anglais et français ; il offre même des critères qui valent la peine d’être explicités.
  4. Les premiers concernent la motivation. Celle de Courtney est ambivalente : au point de départ, elle dit vouloir expérimenter, donc chercher des vérités encore inédites ; mais il s’avère que la quête de gloire ne lui semble pas indifférente, et surtout que son intention est surdéterminée par une sourde et angoissante culpabilité liée au décès de sa jeune sœur. Celle des trois suivants est désordonnée : la subordination de la vérité scientifique à leur quête narcissique et même toute-puissante (« C’était l’éclate totale. J’étais tout-puissant »).
  5. Un autre critère concerne les moyens. Les moyens techniques d’abord : leur utilisation est interdite et leur détournement malhonnête. Les moyens psychologiques ensuite : Courtney instrumentalise ses collègues en ne leur révélant pas ses intentions et manipule notamment Jamie, en excitant plus que son instinct de chasseur-séducteur.
  6. Un autre critère touche l’acte même de « mort » volontaire momentanée. Poser un tel acte requiert d’en peser les risques que, justement, les héros ignorent : le pourcentage de retour à la vie ; les conséquences, notamment à titre de séquelles cérébrales. À ce critère prudentiel se joint un critère de justice : si une expérimentation s’achève par un état de vie végétative chronique, le chercheur deviendra une lourde charge pour la société.

Appliquons ces critères à la question essentielle : la seule recherche de la vérité peut-elle légitimer que l’on court le risque de mettre sa vie en danger ? Le film répond assurément non, puisque, au terme, tous les résultats sont intentionnellement détruits, dans un acte qui fait inclusion: l’ordinateur porteur des données s’engloutit dans l’eau qui, au tout début, a causé la mort de Tessa. Mais de nombreux chercheurs n’ont-ils pas eux aussi risqué leur vie pour trouver des traitements qui aujourd’hui en sauvent beaucoup ? Assurément, la vie est faite pour être non pas gardée, mais donnée ; assurément, le bien de la vérité peut se subordonner celui de la vie. Encore faut-il : que cette mise en jeu de la vie ne soit jamais voulue pour elle-même ; qu’elle soit risquée pour des raisons mesurées prenant en compte les circonstances (qu’il s’agisse ici de célibataires est une circonstance capitale) ; et qu’elle le soit pour un bien supérieur.

 

Enfin, ces critiques aussi unilatérales ne seraient-elles pas animées par une motivation cachée, à savoir un secret ressentiment à l’égard de la perspective ouvertement morale du film. En effet, l’histoire opte clairement pour une problématique éthique, fermant la porte des possibilités scénaristiques déjà explorées : par exemple, jusqu’à un excès difficilement supportable dans Lucy (Besson, 2014), les capacités (physiques, intellectuelles et émotionnelles) multipliées par l’EMI. En réalité, celle-ci ne crée pas les compétences, mais les révèle en levant les inhibitions, donnant par exemple accès à toutes les informations engrammées dans le cerveau. Or, cette levée est ici mise au service de la problématique morale qu’est le déni de culpabilité présent chez tous les héros. Tel est l’aspect le plus intéressant et le plus dérangeant du film.

Il montre d’abord en creux que, même jeune, chaque protagoniste traite spontanément sa responsabilité fautive en la refoulant. Dès lors, l’EMI joue non seulement ni d’abord comme une levée du refoulement, mais comme une preuve de la conscience morale. Que le point de vue soit éthique et non pas psychologique, c’est ce qu’établit un fait constant : à chaque fois, l’action commise est objectivement répréhensible, même si elle est parfois majorée (Jamie croit être responsable de l’avortement de son amie Alicia).

Ensuite et par conséquent, le retour à la vie équivaut à une seconde chance, plus encore, à une juste réparation : « S’excuser ne suffit pas. Il faut assumer ses actes et se pardonner ». Cela vaut aussi indirectement pour Courtney qui, même si elle ne revient pas à la vie, vient à la rencontre de Marlo et prononce la parole qui la délivre du gouffre d’ombre : « Pardonne-toi ». D’ailleurs, si Courtney a manipulé, elle ne saurait se réduire à ce trait égoïste : dans une belle scène initiale, alors qu’elle veille tard dans la bibiothèque, nous la trouvons si émue par les larmes de Sophia, qu’elle lui propose compassion et sollicitude. Or, c’est cet optimisme, ce refus d’une fatalité répétitive du mal, qui dérange le plus nos modernes censeurs et contempteurs, affirmant orgueilleusement et faussement que la liberté ne se conquiert que dans la désespérance.

 

Certes, l’on pourra regretter que le film manque d’audace, propose un salut seulement moral et se soit refusé à évoquer la dimension religieuse des EMI. Mais c’est d’abord oublier que celles-ci ne sont pas par nature surnaturelles (en ce sens, l’interprétation rationaliste de Ray se défend). Ensuite, la prise de conscience de la faute par autodévoilement de la boîte noire que permettent les EMI est comme un équivalent du jugement particulier. Par ailleurs, le volontarimse des héros est mesuré non seulement par l’aide absolument nécessaire de l’autre, mais par l’appel à une autre dimension que, aujourd’hui, on qualifie imprécisément de surnaturelle. Enfin, le film ne se dérobe pas à toute référence religieuse, depuis Jamie qui se prend pour Jésus (« Tous ceux que j’ai touché guérissent ») à la prière spontanée de Marlo (« Seigneur, aide-nous »), en passant par le nom riche de sens de l’établissement hospitalier : Trinity Emmanuel Hopital.

Pascal Ide

Courtney (Ellen Page) conduit sa voiture tout en consultant les messages de son téléphone portable lorsque la passagère, sa jeune sœur Tessa (Madison Brydges), l’avertit que la route est bloquée. Suit un accident dramatique. Neuf ans plus tard, après un générique où résonnent des verbatim d’expériences de mort imminente (EMI ou NDE : Near Death Experience), nous la retrouvons au Trinity Emmanuel Hopital, en train de traiter des patients, puis en bibliothèque consoler Sophia (Kiersey Clemons) qui peine avec la spécialité en neurologie. Le lendemain, elles se retrouvent avec trois autres jeunes internes, un beau gosse dragueur, Jamie (Diego Luna), une battante compétitive, Marlo (Nina Dobrev), et un débrouillard décalé, Ray (James Norton), dans une réunion de staff avec une version américaine de Dr House – la canne y compris –, le Dr. Barry Wolfson (Kiefer Sutherland) qui prend plaisir à étaler leur ignorance tout en les motivant à se déplacer et faire avancer la science. C’est ce que Courtney propose à Sophia et Jamie, en les invitant après minuit au niveau C dans un hôpital opérationnel jamais utilisé : afin d’être les pionniers de l’exploration d’une vie après la mort, elle leur demande de provoquer son arrêt cardiaque pendant deux minutes, lui faire passer une IRM, puis la réanimer… Alors que Sophia résiste, Jamie accepte sans trop d’objections. N’arrivant pas à la faire revenir, ils font appel à Jamie que Marlo suit de près et qui tous deux s’écrient à la folie suicidaire.

Mais, lorsque, le lendemain, Courtney montrera des capacités physiques, mnésiques et intellectuelles décuplées, les autres membres du groupe, de résistants ou d’hésitants, voudront à leur tour tenter l’expérience interdite. Toutefois, dans leur récit de l’EMI, les trois autres qui vont la vivre cachent un épisode ténébreux ; voire, une progressive invasion de leur quotidien par des phénomènes effrayants entre dissociation et paranormalité. D’où proviennent-ils ? Quelle extension vont-ils prendre ? Surtout, ces expériences s’avèrent addictives alors que leurs participants ne sont en rien assurés de revenir à la vie…

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