Pascal Ide, Art. « Near Death Experience », Dictionnaire des miracles et de l’extraordinaire chrétiens, sous la dir. de Patrick Sbalchiero, Paris, Fayard, 2002, p. 566-568.
Near Death Experience
Les Near Death Experience (NDE) sont, littéralement, des expériences proches de la mort, vécues par certaines personnes lors d’une altération profonde mais réversible de la conscience.
1) Les faits
Le Dr. Moody, qui a largement contribué à populariser le phénomène, a reconstitué une sorte de récit type de NDE, à partir de cent cinquante témoignages dont aucun ne reprend en entier l’épure :
« Voici donc un homme qui meurt, et, tandis qu’il atteint le paroxysme de la détresse physique, il entend le médecin constater son décès. […] Il se sent transporté avec une grande rapidité à travers un obscur et long tunnel. Après quoi il se retrouve soudain hors de son corps physique, sans toutefois quitter son environnement physique immédiat ; il aperçoit son propre corps à distance, comme en spectateur. […] Au bout de quelques instants, il se reprend et s’accoutume peu à peu à l’étrangeté de sa nouvelle condition. Il s’aperçoit qu’il continue à posséder un «corps», mais ce corps est d’une nature très particulière et jouit de facultés très différentes de celles dont faisait preuve la dépouille qu’il vient d’abandonner. Bientôt, […] d’autres êtres s’avancent à sa rencontre, paraissant vouloir lui venir en aide ; il entrevoit les «esprits» de parents et d’amis décédés avant lui. Et soudain une entité spirituelle, d’une espèce inconnue, un esprit de chaude tendresse, tout vibrant d’amour – un «être de lumière» – se montre à lui. Cet «être» fait surgir en lui une interrogation, qui n’est pas verbalement prononcée, et qui le porte à effectuer le bilan de sa vie passée. […] Le moment vient ensuite où le défunt semble rencontrer devant lui une sorte de barrière, ou de frontière, symbolisant apparemment l’ultime limite entre la vie terrestre et la vie à venir. Mais il constate alors qu’il lui faut revenir en arrière, que le temps de mourir n’est pas encore venu pour lui. […] Par la suite, lorsqu’il tente d’expliquer à son entourage ce qu’il a éprouvé entre-temps, il se heurte à différents obstacles » à type d’incompréhension (Moody, 1977, p. 15 à 17).
Depuis que le Dr. Moody a aidé à briser le mur du silence, beaucoup de témoignages ont confirmé l’existence universelle du phénomène de NDE qu’ « il n’y a pas à nier, mais à interpréter » (Küng, p. 29). Voire, en 1990, la très sérieuse revue The Lancet décrivaient 28 cas de NDE chez des personnes qui, toutes, avaient subi un arrêt transitoire des fonctions cérébrales supérieures. On considérera seulement la décorporation et les rencontres (pour le reste, notamment la revue de la vie passée, cf. Rochcau).
2) La décorporation
a) L’explication spirite
Certains détails font penser à la théorie spirite du corps astral. Le Dr. Moody s’inscrit dans cette tradition (Ladous, p. 103-104). Cependant, contrairement à E. Kübler-Ross, dont le comportement est nettement médiumnique et qui, « à titre personnel » « parle tranquillement des vies antérieures » (Ibid., p. 119), Moody ne cautionne pas la théorie de la réincarnation (Moody, 1978, p. 161). Sur l’évaluation de la théorie spirite, cf. OBE*.
b) L’explication psychologique
D’inspiration surtout analytique, elle fut popularisée par le film de Joël Schumacher, L’expérience interdite (1990) : les NDE, au lieu d’être une expérience de l’au-delà par transgression de la barrière de la mort, s’avèrent être un révélateur d’événements de la petite enfance qui, traumatisants, furent enfouis dans l’inconscient. Mais cette explication est loin de rendre compte de la nouveauté, nullement archéologique, de ces phénomènes.
c) Une décorporation réelle ?
Certaines explications font appel à une séparation véritable du corps et de l’âme. Cette hypothèse est irrecevable (cf. Moody, 1977, p. 158)
Tout d’abord, il existe une différence ontologique et un délai chronologique entre mort clinique (arrêt cardio-respiratoire, électroencéphalogramme plat, etc.) et mort réelle (cessation de l’animation) : les NDE se produisent souvent entre ces deux moments, mais aussi dans certains cas de comas profonds sans signes cliniques de mort. Aussi le titre anglais autant que français, La vie après la vie, est-il trompeur. Autre conséquence : ces expériences qui se déroulent ante mortem ne sauraient prouver l’existence d’un au-delà.
Ensuite, la décorporation relatée par ces expériences ne peut être réelle. Il est impossible que l’âme quitte le corps et l’informe à nouveau car la séparation est irréversible (cf. OBE*). Les trois exemples de retour à la vie rapportés par l’Évangile (Jn 11, etc.), ne sont pas des NDE (ni d’ailleurs des résurrections), mais des réanimations au sens propre du terme (nouvelle saisie du corps par le principe spirituel) ; or, ils sont dus à une intervention miraculeuse du Christ. Tel n’est pas le cas des NDE qui n’outrepassent point les capacités de la nature.
D’ailleurs, tout indique dans le témoignage-type, que la personne, quoiqu’à distance de son corps, garde un lien privilégié avec lui : il est dit qu’elle ne quitte pas « son environnement physique immédiat » et qu’elle « continue à posséder un «corps» », même si celui-ci est vécu comme étant doué d’autres propriétés. Or, l’âme séparée n’est plus liée à un corps et un lieu donnés (Ange*).
Enfin, Ronald K. Siegel, psychologue californien spécialiste des hallucinations, a remarqué que les NDE présentent une similitude frappante avec certains états psychiques comme les expériences psychédéliques lors de grands stress : l’incommunicabilité, la lumière brillante, la séparation du corps, le tunnel, le degré suprême de training autogène, etc. (Siegel et West) Or, ces expériences n’impliquent nulle décorporation.
d) Une décorporation subjective
Si la décorporation décrite par les NDE ne peut être objective, c’est qu’elle est subjective : elle est ressentie psychologiquement par la personne mais non pas effectuée ontologiquement.
Le Nouveau Testament rapporte un exemple célèbre, le rapt de Paul lors de la vision de Damas : « Je connais un homme dans le Christ [il parle de lui] qui, voici quatorze ans – était-ce en son corps ? je ne sais ; était-ce hors de son corps ? je ne sais ; Dieu le sait – … cet homme-là fut ravi jusqu’au troisième ciel. » (2 Co 12,2 ; cf. aussi v. 3). Suivant l’interprétation de Thomas d’Aquin (Somme de théologie, IIa-IIae, q. 175, a. 4-6), lui-même à l’écoute de S. Augustin (Lettre 147, 13, PL 33,610), l’expérience de l’Apôtre montre deux choses :
- Il n’y eut pas de séparation de l’âme et du corps, car il suffit, pour l’expliquer, que l’intellect soit abstrait de toute image. Or, l’extase de Paul fut la plus haute qui se puisse concevoir : il fut conduit jusqu’à voir l’essence divine. Quelle que soit la valeur exégétique de cette interprétation, elle permet de conclure que la raison de la non-décorporation ontologique « vaut a fortiori pour tout autre cas possible de «décorporation». » (Cottier, p. 154)
- Paul dit ne pas avoir su si son corps était ou non encore lié à son âme. C’est donc que l’ignorance subjective, voire l’affirmation d’une mise à distance du corps par le sujet, ne constituent pas un argument suffisant pour conclure à une perte réelle de l’animation. Là encore, l’unicité de l’expérience de Paul est un argument a fortiori contre les prétendus témoignages de séparation du corps.
3) Les rencontres
Qui sont les êtres rencontrés par la personne vivant la NDE, êtres dont l’autonomie d’action semble exclure l’hallucination ? Le Dr. Moody distingue les rencontres des proches défunts de celles de l’ « être de lumière ».
Les premiers types de rencontre posent des problèmes de modalité et de finalité. L’âme défunte, étant dénuée de corps, n’erre pas ; elle n’a pas non plus le moyen d’apparaître (c’est pour cela que le spiritisme ne met pas en relation directe avec les défunts). Mais les anges peuvent réactiver les souvenirs des défunts, voire, par permission divine, porter un message de ceux-ci. L’expérience décrite est d’autant plus continue et organisée que le cerveau en coma est plus disponible à leur action qu’à l’état de veille et même de sommeil (Ange*). Quant à la finalité, elle dépend des expériences : défunts et anges semblent aider la personne à accomplir un progrès dans leur vie intérieure, voire théologale. Les faits et les fruits ne semblent pas compatibles avec une influence démoniaque. Notamment, on ne peut qu’être frappé, de ce que la NDE est souvent une véritable expérience de liberté : respect de celle-ci par les personnages rencontrés ; décision de revenir ou continuer.
La rencontre avec l’ « être de lumière » pose, elle, un problème d’identité. La description (Moody, 1977, p. 78-79) parle d’un être personnel d’un amour rayonnant. Sa description et les fruits ultérieurs de la rencontre, notamment l’humilité, s’opposent à une apparition démoniaque. Les témoins y discernent un ange, voire le Christ. Nous touchons ici le mystère du vis-à-vis de deux libertés.
Bibliographie
Etudes et récits : Raymond A. Moody, La Vie après la vie. Enquête à propos d’un phénomène : la survie de la conscience après la mort du corps, trad. P. Misraki, Paris, Robert Laffont, 1977, p. 15 à 17. Lumières nouvelles sur «la Vie après la vie», trad. P. Misraki, Paris, Ed. J’ai lu, 1978. Elisabeth Kübler-Ross, Les Derniers Instants de la vie, trad. C. Jubert et E. de Peyer, Genève, Labor et Fides, 1975 ; chez le même éditeur, Questions et Réponses sur Les Derniers Instants de la vie, trad. R. Monjardet, 1977. J. E. Owens et al., « Feature of NDE », The Lancet, 336 (1990), p. 1175-1177.
Interprétations variées : S. Grof et J. Halifax, La rencontre de l’homme avec la mort, Paris, Ed. du Rocher, 1982. Ch. Hardy, L’après-vie, Monaco, Ed. du Rocher, 1986. G. Niquet, La mort-espoir, Paris, Nouvelle Cité, 1988 ; N. O’Jacobson, La vie après la mort ?, Paris, Presses de la Cité, 1973. K. Ring, Sur la frontière de la vie, Paris, Robert Laffont, 1982. Ronald K. Siegel et L. West, Hallucinations : Behaviour, Theory and Experience, New York, 1975.
Discernement chrétien : Régis Ladous, Le spiritisme, coll. « bref », Paris, Le Cerf-Fides, 1989. Georges Cottier, « Note sur la décorporation », Nova et Vetera, 55/2 (1980), p. 153-154. Hans Küng, Vie éternelle ?, trad. Henri Rochais, Paris, Le Seuil, 1985, p. 20 à 37. Jean Vernette, Le nouvel âge, Paris, Téqui, 1990, p. 122 à 135. Vsevolod Rochcau, « Essai d’une lecture chrétienne de «La vie après la vie» », Nova et Vetera, 55/2 (1980), p. 134-152.