Anges

Pascal Ide, Art. « Anges », Dictionnaire des miracles et de l’extraordinaire chrétiens, sous la dir. de Patrick Sbalchiero, Paris, Fayard, 2002, p. 25-27.

Bien qu’ayant presque totalement déserté le champ de la rationalité depuis quatre siècles, les anges s’y sont maintenus de manière cachée. Les philosophes ont constamment lorgné vers leurs caractéristiques pour les attribuer à l’esprit humain : tel est le cas de l’intuition, de la transparence immédiate à soi-même, des idées innées, etc. (Chrétien) ; Aujourd’hui ce sont les utopies sous-tendant les techniques de la communication et du virtuel (Serres) qui jalousent leurs propriétés (détachement à l’égard de l’espace, immortalité, etc.). Sans parler des courants hermétistes, théosophiques qui n’ont jamais cessé de spéculer sur ces entités médiatrices entre l’homme et le divin. Il serait temps que la réflexion officielle mais aussi l’art (d’Alverny, Ponnau) redonnent à nos frères aînés dans l’ordre de l’esprit la place qui leur revient.

Après avoir rappelé très brièvement ce que la foi catholique dit des anges, on considérera trois points touchant leur relation avec les phénomènes extraordinaires.

1) Qu’est-ce que les anges ?

L’existence des anges, attestée par l’Ecriture et l’unanimité de la Tradition, est une vérité de foi pour le fidèle catholique. En leur nature, ce sont des êtres purement spirituels : en négatif, ils sont dénués de corps et en positif, « ils ont intelligence et volonté », « créatures personnelles (cf. DS 3801) et immortelles (cf. Lc 20,36). » Mais l’Ecriture nous parle plutôt de leur fonction : ange, en grec, signifie envoyé : « De tout leur être, les anges sont serviteurs et messagers de Dieu. Parce qu’ils contemplent «constamment la face de mon Père qui est aux cieux» (Mt 18,10), ils sont «les ouvriers de sa parole, attentifs au son de sa parole» (Ps 103,20). » (CEC, n. 329-330) Enfin, les anges bons se distinguent des anges mauvais ou démons qui, affirme le Concile de Latran IV, en 1215, « bien que créés par Dieu naturellement bons », par le choix de leur liberté, « se sont rendus mauvais. » (DS 800)

2) Rôles des anges dans le monde matériel

Bien que pur esprit, l’ange est en relation étroite avec l’univers matériel et humain. Pourquoi ? Dieu n’a pas créé deux mondes, le ciel (c’est-à-dire les anges) d’un côté et la terre (c’est-à-dire les hommes et les réalités purement corporelles) de l’autre. Unique est la création, comme unique est son Créateur.

Comment ? A l’instar de l’âme humaine, l’ange est une réalité spirituelle et immortelle. Mais, à la différence de l’esprit de l’homme qui est forme (c’est-à-dire principe d’être) d’un corps organique, l’ange est dénué de toute corporéité. Or, les purs esprits sont ontologiquement supérieurs à l’homme : ils « dépassent en perfection toutes les créatures visibles. L’éclat de leur gloire en témoigne (cf. Dn 10,9-12). » (CEC, n. 329) Donc, tandis que l’âme humaine ne meut que le corps qu’elle informe (et, par lui, indirectement, les autres corps), le pur esprit peut étendre son action immédiatement à tout corps. De ce fait, il n’est pas contraint par les limites de l’espace et viole les lois de la physique relativiste, alors que l’âme est circonscrite par le corps qu’elle anime.

L’action angélique est néanmoins doublement limitée. « Par le haut », l’ange doit être là où il agit, alors que Dieu est partout par sa puissance créatrice (ST, Ia, q. 52, a. 2). « Par le bas », la créature spirituelle est d’une nature radicalement hétérogène à celle de la matière. Aussi son pouvoir sur les corps est-il commandé par un double principe de similitude et de proximité. Or, des différents types de changement, le déplacement local, qui n’implique pas de modification qualitative du corps déplacé, est le plus semblable à et le plus proche de la nature spirituelle de l’ange. L’ange est donc par nature capable de mouvoir localement les objets : son activité est proprement télékinésique (ST, Ia, q. 110, a. 2 et 3). Mais les changements chimiques, voire biologiques, sont liés à des déplacements atomiques et moléculaires. Par conséquent, le pur esprit peut indirectement et dans certaines limites, transformer les choses.

Voire, comme les états psychiques, notamment les images et les affects, sont connectés à des modifications cérébrales subtiles, l’ange peut interférer sur l’imagination et l’affectivité : au sens propre du terme, son action est, là, télépathique. C’est ce que Thomas d’Aquin affirmait avec la biologie rudimentaire des esprits animaux qui était la sienne (ST, Ia, q. 111, a. 3). Cependant, limité par les capacités du sujet humain, l’ange agit mieux lorsque celui-ci est disponible : voilà pourquoi il intervient volontiers lorsque la personne est en repos ou physiquement plus vulnérable (cf. NDE*, OBE*).

3) Anges et miracles

L’ange ne peut accomplir de miracle. Par définition, le miracle est un événement dépassant non seulement les capacités de telle ou telle créature mais l’ordre de tout le créé (ST, Ia, q. 105, a. 6-7). Autrement dit, Dieu seul peut accomplir un miracle, non les anges ou les démons (ST, Ia, q. 110, a. 4 ; q. 114, a. 4).

Toutefois le pur esprit est capable d’accomplir des choses extraordinaires, qui peuvent passer pour un miracle, au sens étymologique du terme : ce qui provoque l’admiration (mirabilia). En effet, nous admirons et nous nous étonnons des événements dont la cause nous est cachée. Or, les lois naturelles sont, sinon manifestes, du moins proportionnées à l’intelligence humaine. Et l’ange peut transcender ces lois, sans toutefois s’égaler à Dieu. Notamment de deux manières : en ce qu’il connaît mieux que nous les phénomènes naturels et peut donc les utiliser à ses propres fins ; en ce qu’il a un pouvoir d’action sur les corps qui est supérieur au nôtre : en effet, il utilise les choses naturelles « comme des instruments » et il tire de cet instrument « un effet qui dépasse ses capacités propres » (CG, L. III, ch. 103). Ce pouvoir explique les performances physiques et intellectuelles stupéfiantes de certains possédés. Voilà pourquoi « les anges bons ou mauvais peuvent par leur puissance naturelle produire non pas des miracles, mais certains effets admirables » (Q.D. De pot., q. 6, a. 3).

4) Limites de l’action angélique

L’action angélique (et démoniaque) présente des limites intrinsèques (constituant une sorte de principe de limitation interne) : l’ange ne peut, de manière directe, modifier qualitativement la matière ; il ne saurait non plus engendrer un nouvel être, a fortiori créer, ce qui est réservé à Dieu seul (cf. ST, Ia, q. 65, a. 5). Ce qui est vrai au plan cosmique l’est aussi au plan humain :

  1. a) La créature spirituelle n’a pas accès à l’intelligence de l’homme ; elle ignore les pensées du cœur. « Qui donc entre les hommes sait ce qui concerne l’homme, sinon l’esprit de l’homme qui est en lui ? » (1 Co 2,11). Saint Thomas explique : « Les idées de notre esprit se trouvent enfermées en nous par une double barrière. » La plus évidente est la matérialité du corps : c’est pourquoi il faut passer par des signes sensibles (mots, gestes). Mais il y a aussi et d’abord la volonté qui garde les idées en soi et décide ou non de le communiquer à autrui. Voilà pourquoi « nul ne peut voir la pensée de l’homme si ce n’est Dieu seul » (ST, Ia, q. 107, a. 1). « Conséquemment, en déduit saint Jean de la Croix, plus la communication est spirituelle, intérieure, éloignée du sens, moins le démon en a connaissance », au point même que celui-ci (et c’est la même chose pour le bon ange) « ne connaît les intimes et secrètes communications qui ont lieu entre Dieu et l’âme. » (La Nuit Obscure, L. 2, ch. 23, n. 2 et 11, p. 1051)
  2. b) Pas plus qu’il ne peut entrer par effraction dans notre esprit, l’ange n’est ontologiquement capable de contraindre la volonté au bien ou au mal. C’est une conviction biblique constante (cf. Pr 21,1 ; Ph 2,13). En effet, « celui-là seul peut changer l’inclination volontaire, qui donne à la créature la faculté de vouloir. » Or, ce pouvoir est propre à Dieu et non pas à l’ange (ST, Ia, q. 106, a. 2 ; cf. CG, L. III, ch. 88). L’intimité de la volonté humaine est donc inviolable.

Cependant, le pur esprit peut conjecturer ce qui habite nos pensées par des signes extérieurs et influencer notre volonté en agissant sur notre imagination, notre affectivité ou les réalités extérieures. Il demeure que cette connaissance est conjecture, non pas certitude et cette action conditionnement, non pas déterminisme. Enfin, pour conjurer toute crainte à l’égard d’une extension indue de l’action démoniaque, il est bon de méditer cette remarque d’une spécialiste en matière de combat spirituel, sainte Thérèse d’Avila : « je suis convaincue que jamais sa Majesté ne lui [le démon] donnera la permission ni le pouvoir de tromper une âme par ces fausses représentations, à moins que cette âme ne s’y prête par sa faute. Ce sera lui, au contraire, qui se trouvera pris. Je veux dire qu’une âme ne sera pas séduite si elle a de l’humilité. » (Les Fondations, 8, 2, tome 1, p. 485-486)

Bibliographie

Introduction : Catéchisme de l’Eglise catholique [CEC ], 8 décembre 1992, n. 328-336. Anne Bernet, Enquête sur les anges, Paris, Perrin, 1997.

Théologie : S. Thomas d’Aquin, Somme de théologie [ST ], Ia, q. 50-65 et 106-114 ; Somme contre les Gentils [CG], L. II, ch. 46-55, 91-101. M. Seeman et D. Zähringer, « Le monde des anges et des démons », in Mysterium Salutis, tome 8. L’homme pécheur appelé au Salut, trad., Paris, Le Cerf, 1970, p. 139-230 (pour la parapsychologie : cf. p. 223). Pascal Ide, « Les anges dans la nature », Carmel. Les anges, nos invisibles frères, n° 99, mars 2001, p. 33-50.

Spiritualité et psychologie : S. Jean de La Croix, Œuvres complètes, trad. Mère Marie du Saint-Sacrement, éd. Dominique Poirot, Paris, Le Cerf, 1990. S. Thérèse d’Avila, Œuvres complètes, trad. Mère Marie du Saint-Sa­crement, Paris, Le Cerf, 1995, 2 volumes. Anselm Grün, Petit traité de spiritualité au quotidien, trad. Claude Maillard, Paris, Albin Michel, 1998. Chacun cherche son ange, même trad. et éd., 2000.

Art : Marie-Thérèse d’Alverny, « Les anges et les jours », Cahiers Archéologiques, IX (1957), p. 271-300. Dominique Ponnau, Dieu en ses anges, photographie d’Erich Lessing, Paris, Le Cerf, 2000.

Philosophie : Jean-Louis Chrétien, « La connaissance angélique », Le regard de l’amour, Paris, DDB, 2000, p. 125-139. Michel Serres, La légende des Anges, Paris, Flammarion, 1993.

 

* NDE : Near Death Experience

* OBE : Out of Body Experience

14.7.2017
 

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