MICHEL F., Étienne Gilson. Une biographie intellectuelle et politique, Paris, Vrin, 2018. Parue dans la Nouvelle Revue Théologique (NRT) 140 (2018) n° 4, p. 649. Maître de conférence en histoire contemporaine à l’Univ. Paris 1 Panthéon Sorbonne, l’A. est un spécialiste de la pensée catholique française ou plutôt francophone, à qui l’on doit notamment un ouvrage courageux et informé sur La pensée catholique en Amérique du Nord (Paris, DDB, 2010). Dans le prolongement de ce premier livre, il nous offre la première biographie en français d’Etienne Gilson (1883-1978) ; nous ne disposions jusqu’alors que de l’ouvrage anglophone du père canadien Laurence Shock (Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 1984) qui, datant d’un tiers de siècle, se devait d’être enrichi de la prise en compte, notamment, des multiples correspondances gilsoniennes.
Si beaucoup connaissent le spécialiste d’histoire de la philosophie médiévale et le philosophe thomiste, si un moindre nombre sait son action et son influence dans le Nouveau Monde (Gilson a passé un semestre par an outre-Atlantique pendant presque un demi-siècle), très peu, en revanche, sont informés de son engagement politique défiant toute classification. Privilégiant un plan thématique original, l’A. parcourt successivement la carrière de l’universitaire (chap. 1), du chrétien en lutte contre les idéologies séculières, les nationalismes allemand et français et le communisme (chap. 2), de l’intellectuel « atlantique ››, entre Canada, États-Unis et France (chap. 3), de l’homme politique membre du Mouvement républicain populaire (chap. 4), du chrétien relisant le moment conciliaire selon le rythme lent de l’histoire (chap. 5) et de l’historien (conclusion). Suivent 80 p. de lettres encore inédites et une recension précieuse des sources.
Le lecteur, philosophe ou non, médiéviste ou non, y apprendra beaucoup non sur le fameux « impetus vehemens et concassans » (Maritain) de Gilson, mais sur bien des facettes ignorées des polémiques où il s’est engagé, p. ex., sur le débat avec Raymond Aron et bien plus largement, au sujet du traité de l’Atlantique-Nord (1949-1951). L’A. a bien pris soin de préciser qu’il laissait de côté « les enjeux d’histoire médiévale pure autant que les questions de métaphysique et d’histoire de la philosophie » (p. 33). Mais, d’une part, n’est-ce pas trahir le sous-titre de son ouvrage et, surtout, d’autre part, n’est-ce pas séparer ce que la vie unit, et donc se vouer à ne pas mieux comprendre une personne qui a si admirablement su conjuguer cette double carrière d’universitaire et d’homme politique ? Il faudra attendre qu’un philosophe de métier tente la synthèse.
Pascal Ide