Ennéagramme et transcendantaux. Quelques précisions utiles

Cette brève note fait suite à l’article qui vient de paraître : Pascal IDE, « Ennéagramme et transcendantaux. Interprétations croisées », Nouvelle revue théologique, 139 (2017) n° 3, p. 619-638. Vous pouvez retrouver cet article en ligne sur : https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-theologique-2017-4-p-619.htm

 

Le père JLD m’a adressé à l’oral de pertinentes remarques sur l’article ennéagramme et transcendantaux que sa courtoisie interdisait de présenter sous forme d’apories, mais que, par souci pédagogique, je systématise, voire transforme en deux difficultés. Qu’il soit ici remercié de ses stimulantes observations qui permettent de mieux préciser ma pensée.

 

  1. La première objection concerne l’extension. L’ennéagramme type l’homme, donc est borné à l’humanité ; or, le transcendantal est une propriété coextensive à l’être.

Je répondrai que, si l’on s’en tient à une conception proprement méta-physique, donc méta-cosmologique, de l’être, la comparaison entre ennéagramme et transcendantaux est vouée à l’échec. Elle rapprocherait deux êtres qui sont, au sens étymologique, incomparables. Mais la métaphysique sous-jacente et implicite de l’article (évoquée seulement au terme) est une métaphysique de l’amour. Or, l’amour est d’abord en propre un acte de l’homme, qui est analogiquement étendu à tout le cosmos. Donc, la métaphysique de l’article se veut d’abord une méta-anthropologie qui est analogiquement étendue à tout l’être. Pour le dire autrement, alors que la métaphysique grecque (et médiévale) s’étend de manière seulement ascendante (de bas en haut) des étants physiques, pluriels et mobiles, aux étants supérieurs, de plus en plus uns, immobiles et immatériels, la méta-anthropologie que je propose part en quelque sorte du centre, c’est-à-dire de l’homme, pour rayonner en bas vers la nature et en haut vers Dieu, selon une induction scalaire traversant les trois ordres pascaliens que résume la conviction suivante : ce que l’homme vit, la nature l’ébauche et Dieu l’achève.

 

  1. La seconde aporie concerne le contenu. L’ennéagramme naît au mieux de notre histoire (blessée) et au pire seulement de notre géographie innée, alors que les transcendantaux s’étendent à l’être créé et à Dieu même. Or, autant le premier « monde » est naturel, donc déterminé, autant le second est spirituel et donc libre.

Je répondrai en distinguant une double détermination, d’en bas et d’en haut. La première est bien connue : elle vient de la matière, mais aussi de la nature comme donné. La seconde est moins explorée. Il faudrait la comprendre comme une participation des propriétés divines par chaque être humain. Même si, de soi, tous les transcendantaux se retrouvent dans chaque être, même si nous reflétons ces différentes propriétés de Dieu, elles se réfractent diversement, avec plus ou moins d’intensité, selon des degrés variés. Cette variété se reflète par exemple, dans la diversité des Saints, mais aussi dans la diversité des vocations et des missions de chaque fidèle, voire de chaque homme. C’est ainsi que le bienheureux Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus parlait de vocations qui reflétaient davantage le Dieu lumière ou le Dieu amour. L’ennéagramme permettrait ainsi d’affiner la typologie seulement ébauchée par le fondateur de Notre-Dame de Vie. De ce fait, la détermination est différente : la détermination matérielle (par en bas) est plus nécessitante, contraignante ; la détermination spirituelle (par en haut) est beaucoup plus libre (de fait, chacun est habité par les neuf types de l’ennéagramme non pas seulement en puissance, mais plus ou moins actualisés ; de plus, le devenir de cette détermination est dynamique ; enfin, plus la personne vit pleinement sa mission, plus elle s’ouvre aux autres types, plus elle est connectée).

Faudrait-il rapprocher cette réponse d’une autre problématique, celle de l’individuation de la créature de l’étant matériel en général et de l’homme en particulier ? Deux thèses s’affrontent. La première, d’obédience aristotélicienne et thomasienne, affirme une individuation par la matière. La seconde, d’obédience plus augustinienne ou du moins plus franciscaine, affirme une individuation par la forme : on la trouve chez Duns Scot et, de manière plus surprenante, chez Edith Stein ou plutôt sainte Bénédicte de la Croix, qui, bien que grande lectrice de saint Thomas, n’est pas convaincue par la thèse de l’individuation matérielle. Faudrait-il ajouter à cette individuation par le haut qu’est la forme, une individuation encore supérieure, provenant de Dieu même ? En fait, faut-il choisir ? Ne s’agit-il pas plutôt d’articuler ces trois principes d’individuation ?

Une conséquence de cette articulation, tirée par JLD lui-même, en est que non seulement le corps (la chair) s’en trouve reconnu, mais qu’il est rapproché de l’esprit (et de la charité). Selon une intuition plus valorisée par la théologie orthodoxe, le corps est en quelque sorte pneumatisé. De plus, au lieu d’introduire une distance infinie entre les ordres pascaliens (qu’une certaine théologie ou philosophie négative aujourd’hui exaspère), il s’agirait d’en voir les étroites connivences (d’où l’intérêt d’introduire un quatrième ordre, intermédiaire entre l’ordre des corps et celui de l’esprit, l’ordre de la vie), donc au fond d’en lire l’intrinsèque analogie.

Pascal Ide

30.1.2018
 

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