Dans une note programmatique sur le site, j’énonçais, avec grande prudence, ce que j’appelle la loi des « cent milliards » (tel est le titre de la note). J’ignorais que cette question avait été explorée par quelques chercheurs italiens. En effet, un chercheur en neurochirurgie de l’Université de Vérone et un astrophysicien de l’Université de Bologne ont comparé non seulement le nombre de galaxies, mais aussi leurs connexions [1]. Assurément les réseaux du cerveau et de la nébuleuse diffèrent par leur taille – rien moins que d’un facteur 1027, soit 1 suivi de vingt-sept zéros ! Pourtant, ils partagent des analogies (de proportionnalité), c’est-à-dire des correspondances.
La première est donc la quantité des composants : cent milliards de part et d’autre. La seconde, tout aussi troublante, est la composition ou l’organisation de ces ensembles extraordinairement complexes. Nous le savons, et c’est là une propriété unique entre les deux cents tissus composant un organisme humain, les cellules neuronales se caractérisent par le fait qu’elles poussent des prolongements, les axones (centrifuges) et les dendrites (centripètes), grâce auxquels elles se connectent entre elles en et par ce que l’on appelle une synapse. En l’occurrence, on estime que le nombre, très élevé, des jonctions synaptiques est de l’ordre du million de milliards ! De plus, ces liens sont autant proches qu’éloignés, locaux que plus globaux. Une complexité de complexité qui a conduit à comparer le cerveau humain au Net [2]. Or, on le sait moins, les galaxies elles-mêmes multiples les arborescences pour entrer en relation, soit localement avec les éléments voisins, soit, par de grands faisceaux, avec les amas lointains.
Il y a davantage. Passant de cette coïncidence troublante à la cause supposée, les chercheurs émettent l’hypothèse qu’il ne s’agit pas d’une convergence aléatoire. En l’occurrence, cette structure réticulaire s’expliquerait par les processus régissant l’auto-organisation des ensembles complexes. En effet, ceux-ci répondent à deux caractéristiques : d’un côté, ils présentent une organisation locale faite d’une densité élevée de nœuds (ou hubs) ; de l’autre, ils ont besoin d’un transfert hautement efficace d’information. Et, si le rassemblement des nœuds est contingent, leur finalité qu’est la transmission informationnelle est (conditionnellement) nécessaire. Or, la jonction de ces deux logiques se fait par la mise en place de ce que les physiciens appellent small world, « petit monde » [3]. Cette composition se retrouve, en effet, dans de nombreux réseaux complexes présent dans la nature [4].
Les différents chercheurs insistent pour expliquer que l’arrangement ne renvoie pas à la présence d’un cerveau global à la taille de l’Univers ; il ne s’agit pas d’affirmer qu’existe une âme du monde platonicienne ou que le cosmos pense. À côté de la récupération théiste (par exemple, en neurothéologie ou en cosmologie), l’autre plus grande crainte des scientifiques est la récupération panthéiste (dans ce néo-bouddhisme occidentalisé qu’est en partie le New Age)…
Pour notre interprétation qui ne fait nullement appel à une instance transcendante (religieuse), mais, en revanche, ne saurait se passer d’un regard philosophique, en l’occurrence métaphysique, nous renvoyons à la note intitulée « cent milliards ».
Pascal Ide
[1] Cf. Franco Vazza & Alberto Feletti, « The quantitative comparison between the neuronal network and the cosmic web », Frontiers in Physics, 8 (2020), art. 491. Texte en accès libre.
[2] Cf., par exemple, Olaf Sporns, « The human connectome: a complex network », Annals of the New York Academy of Sciences, 1224 (2011), p. 109-125.
[3] Cf. Duncan J. Watts & Steven H. Strogatz, « Collective dynamics of ‘small-world’ networks », Nature, 393 (1998) n° 6684, p. 440–442.
[4] Cf., par exemple, Olaf Sporns & Jonathan D. Zwi, « The small world of the cerebral cortex », Neuroinformatics, 2 (2004) n° 2, p. 145-162.