Introduction
« Je pense que parmi les réponses que le Christ donnerait aux hommes de notre temps et à leurs interrogations, souvent si impatientes, la réponse fondamentale serait encore celle qu’il a donnée aux pharisiens. […] Il le ferait peut-être d’une manière d’autant plus décisive et essentielle ». (23, 2 ; p. 216. Souligné dans le texte)
Entre 1980 et 1984, furent publiées en français les catéchèses que saint Jean-Paul II a prononcées sur la théologie du corps [1]. Je les ai lues avec passion – et non sans difficulté – à de nombreuses reprises, ainsi que l’atteste mon édition en quatre volumes qui est annotée avec des stylos de quatre couleurs différentes. J’ai longtemps attendu que paraisse un commentaire de ce texte aussi capital qu’ardu et, au fond, peu connu. Puis, ne voyant rien venir, au début des années 1990, je me suis lancé à en proposer une lecture – plus qu’un commentaire –, qui pourrait accompagner et aider ces enseignements du pape polonais, ce que les Anglo-saxons appellent volontiers un « companion » [2]. Les éditeurs à qui j’en ai parlé à l’époque m’ont fait comprendre qu’il n’y aurait pas de public pour un tel travail : si déjà le texte original était peu lu, a fortiori un guide de lecture. J’ai remisé ce texte dans un « tiroir » informatique.
Aujourd’hui, quarante ans après le lancement de ces catéchèses, nous ne jouissons toujours pas d’un tel commentaire – en français, assurément, mais aussi dans d’autres langues, jusqu’à plus ample informé. En revanche, nous disposons, grâce au beau travail d’Yves Semen, d’une nouvelle traduction directement opérée sur le texte qui fait autorité, c’est-à-dire la version italienne, corrigée par les soins de l’Institut Jean-Paul II pour les sciences du mariage et de la famille [3].
La lecture que je propose de délivrer à doses assimilables ne prétend toujours pas à la dignité du commentaire, puisqu’il ne fait que reprendre l’étude de 1992 sans la modifier [4]. En revanche, les citations ont été intégralement reprises à la traduction d’Yves Semen et les références (qui sont faites, en marge, dans le texte) y renvoient. Que Jeannette Lebrun qui est l’orfèvre de ce patient travail de substitution reçoive ici toute ma gratitude.
1) De quoi traitent ces catéchèses ?
L’intention de cette longue série d’articles, clairement exprimée par son titre, est d’exposer la théologie du corps, telle qu’on la trouve dans les 133 catéchèses que le pape Jean-Paul II a prononcées ou du moins rédigées.
a) Propos de Jean-Paul II
Ces catéchèses sont un « genre littéraire », et d’abord une pratique pastorale, introduit par Paul VI. Jean-Paul II les évoque parfois comme une « conversation » (6, 1 ; p. 155), une « rencontre » (19, 1 ; p. 200) ou un entretien. Il lui arrive, mais très rarement, de faire allusion aux circonstances dans lesquelles ces catéchèses sont effectuées (par exemple, attentif au temps liturgique, il rappelle que le 23 est le mercredi saint, introduction ; I, p. 188). La longueur des catéchèses est variable : 4 à 10 paragraphes. Mais la longueur n’est pas proportionnelle au nombre de numéros. En fait, seule la durée est à peu près constante : environ vingt minutes, de sorte que les catéchèses font entre 4 et 6 pages maximum.
Mais, tandis que Paul VI abordait un thème différent chaque mercredi, Jean-Paul II va parler d’un seul sujet et cela, pendant plus de cinq années, du 5 septembre 1979 au 28 novembre 1984 : selon ses propres mots, il s’agit d’une « théologie du corps », et, peut-être plus encore, toujours selon son expression, une « pédagogie du corps ». C’est dire si son propos n’est pas abstrait ni déconnecté du réel.
Plus précisément, l’objectif de Jean-Paul II est triple, quoique centré sur ce qu’il appelle « la théologie du corps » :
- « édifier une anthropologie ‘théologique’ »,
- « dans son contexte, une ‘théologie du corps’,
d’où [3.] la vision pleinement chrétienne du mariage et de la famille tire également son origine ». (23, 3 ; p. 216)
Le Saint-Père parlera donc de l’homme en général, mais il centrera son intérêt sur le corps, et traitant du corps, de la sexualité. De là il sera possible de comprendre ce qu’est le sacrement de mariage.
En général, les catéchèses vont en se suivant, chaque mercredi. Mais il peut arriver qu’il y ait des ‘trous’, liés par exemple aux voyages du Saint-Père, ou à l’attentat du 13 mai 1981. Ainsi ce dernier a occasionné une « pause plutôt longue », selon les mots du pape (64, 1 ; p. 359) entre le 6 mai et le 11 novembre 1981. En fait, par un heureux concours de circonstances, cette interruption correspond à la transition entre le troisième et le quatrième cycles de catéchèses ! De même, l’Année Sainte (en 1983) a occasionné une longue interruption de plus de 16 mois, entre le 9 février 1983 et le 23 mai 1984, et a, de ce fait, quelque peu modifié l’organisation du développement général).
b) Perspective de Jean-Paul II
Le projet du pape est d’écrire une « anthropologie adéquate » du corps et de la sexualité. Pour être de Jean-Paul II, l’expression d’‘anthropologie adéquate’ reprend l’intuition de Paul VI qui, dans son encyclique Humanæ Vitæ, faisait appel à une « vision intégrale de l’homme [5] ». Mais, plus encore, elle s’enracine dans la parole de Jésus qui a répondu à la question des pharisiens sur le mariage (Mt 19) en donnant « cette ‘vision intégrale de l’homme’, sans laquelle il serait impossible de donner une réponse appropriée aux interrogations relatives au mariage et à la procréation ». (23, 3 ; p. 216)
Est adéquat ce qui est conforme, égal à ce qui est mesuré. Or, en anthropologie, la mesure est la personne. Une anthropologie adéquate sera donc une vision de l’homme conforme à ce qu’est l’homme, à ce qui en lui est essentiel : elle est « compréhension et interprétation de l’homme en ce qui est essentiellement humain » (13, 2 et note 23 ; p. 180). Inversement, l’anthropologie sera inadéquate si elle l’ampute d’un aspect structurant. Par exemple parler de sexualité seulement en termes de biologie, d’instinct serait réduire sa vérité au corps et en voiler non seulement la relation à la personne, mais l’essentiel : « Si, en effet, nous traitions du sexe sans la personne, cela détruirait tout le caractère ‘adéquat’ [de] l’anthropologie que nous trouvons dans le livre de la Genèse ». (14, 3 ; p. 184) [6] L’anthropologie adéquate s’oppose principalement au réductionnisme matérialiste, par exemple au réductionnisme « de type ‘naturaliste’ qui va souvent de pair avec la théorie de l’évolution au sujet des origines de l’homme ». [7]
Remarquons enfin que si l’objectif premier de ces audiences générales est de faire œuvre théologique, il est aussi « nous suivrons ainsi de loin le grand travail qu’entreprennent sur ce thème les participants au prochain Synode des évêques » (1, 5 ; p. 141) sur les fonctions de la famille chrétienne d’où sortira le document capital Familiaris Consortio. Ces catéchèses sont donc aussi une œuvre de circonstance. Bien des chefs d’œuvre de la musique et de l’art en général sont des œuvres de commande…
c) Objet de cette série d’articles
De l’aveu des éditeurs français, ces audiences du mercredi sont « d’un haut niveau philosophique et théologique ». (Avertissement à l’édition de 1981 ; I, p. 8)
Notre intention sera de les rendre lisibles et de ce fait même de permettre à un large public d’y accéder. Pour cela, nous avons choisi de serrer au plus près le texte de Jean-Paul II. Cette option présente le double avantage d’une part de permettre une étude suivie du texte (le genre littéraire de ce livre tenant alors du commentaire) et, d’autre part, de perdre le moins possible de substance des fines études dont fourmillent les catéchèses. Par contre, cette option a l’inconvénient de préférer l’analyse à la vision unitive et pourra parfois donner l’impression que l’on se perd dans le détail. Mais des synthèses régulières venant ponctuer l’exposé, sans compter les conclusions-résumés et le dernier chapitre, tenteront de pallier cette limite. L’avantage a paru nettement supérieur à l’inconvénient ainsi compensé.
2) Pourquoi ces catéchèses ?
Le cardinal Angelo Scola qualifie les catéchèses sur le corps de « magistère génial de Jean-Paul II sur la théologie du corps [8] » et Son Excellence Carlo Caffarra les compare à la grande tradition catéchétique des Pères de l’Église comme saint Ambroise, saint Augustin ou saint Jean Chrysostome, du fait de leur profondeur qui joint le plus ancien au plus nouveau [9].
a) Intérêt des catéchèses de Jean-Paul II
Le pape fait lui-même l’apologue de son propos. On peut, me semble-t-il, à sa suite, avancer quatre raisons en faveur de leur importance.
1’) La vision actuelle de l’homme
« Nous sommes les fils » de notre « époque », remarque Jean-Paul II, toujours passionné pour son temps. Mais celui-ci se caractérise « par de multiples conceptions partielles » (23, 3 ; p. 217) de l’homme, conceptions qui ont perdu la vision totale, intégrale de l’homme. C’est pour cela que celui qui a donné à sa première encyclique le titre Le Rédempteur de l’homme, veut corriger cette vision tronquée et mettre la vérité sur l’homme (surtout sur son corps et sa sexualité) en pleine lumière.
2’) Les techniques actuelles
« Différentes tendances culturelles […], qui sont basées sur ces vérités partielles et formulent sur cette base leurs propositions et leurs indications pratiques sur le comportement humain et, plus souvent encore, sur la manière de se comporter avec l’‘homme’. L’homme devient alors plus un objet de techniques déterminées qu’un sujet responsable de sa propre action ». (23, 3 ; p. 217) Notre monde a donc un besoin urgent d’une vision « adéquate » de la personne, et, pour reprendre une distinction qu’affectionne Jean-Paul II, d’un homme sujet et non pas d’un homme objet.
En voici une illustration vécue par le pape particulièrement éclairante.
On se le rappelle, Jean-Paul II fut victime d’une tentative d’assassinat le 13 mai 1981, à Rome. Ayant reçu deux balles, il fut transporté d’urgence à la clinique Gemelli où il devait rester 1 mois. Là, il a fallu lui faire une colostomie excluante qui nécessite par la suite une seconde opération afin de rétablir la continuité de l’intestin. Or, une infection à un virus du groupe herpès (le CMV, bien connu des médecins) a obligé à le réhospitaliser. Le Professeur Tresalti, directeur des services médicaux de la clinique Gemelli, a opéré le Saint-Père. Il explique : « le jour où les analyses ont prouvé qu’il [le pape] était cliniquement guéri, nous avons décidé de pratiquer l’opération qui le rendrait à la vie normale. Mais quand ? Fallait-il l’opérer tout de suite, malgré la récente infection de cytomégalovirus dont il était tout juste remis ? Sachant que le malade dans cet état n’est pas dans les meilleures conditions, et que le risque était grand de voir réapparaître l’infection, je lui avais dit, pensant, je l’avoue gagner du temps : ‘Votre Sainteté peut rentrer dès maintenant au Vatican.’ Car il était évident que le danger irait diminuant. Mais il ne l’entendait nullement ainsi. Il ne voulait sortir de l’hôpital que redevenu ce qu’il était auparavant. Il ne voulait pas nous quitter avant la seconde opération. Aussi, le jour où nous nous sommes réunis pour fixer la date, est-il intervenu inopinément pour nous dire en substance : ‘N’oubliez pas que, si vous êtes les médecins, je suis le malade, et que j’ai à vous faire part de mes problèmes de malade, surtout de celui-ci : je ne voulais retourner au Vatican que complètement guéri ; je ne sais ce que vous en pensez, mais pour ma part je me sens très bien, même à supposer que les analyses disent le contraire. Je me sens tout à fait en état de supporter une nouvelle opération.’ En fin de compte, il cherchait à nous bien convaincre que dans la relation entre le malade et le médecin, celui-ci ne doit pas être l’oracle qui laisse tomber ses décisions de haut. Celles-ci doivent être prises d’un commun accord, car s’il y a d’un côté le savoir et les connaissances de la médecine [autrement dit le savoir objectif], il y a de l’autre ce que la personne sait et connaît d’elle-même [la connaissance subjective]. Nous savons cela, mais nous l’oublions quelquefois. Le rappel a été utile [10] ».
C’est aussi ce qu’a affirmé le Professeur Manni qui faisait partie du « staff » des médecins qui s’occupaient du Saint-Père. Il estimait que le pape ne pouvait bénéficier d’emblée du rétablissement de la continuité de l’intestin. Mais Jean-Paul II « répondait : ‘Ou bien le pape va mal et il ne peut pas sortir, ou il va bien et il doit s’en aller complètement guéri, sans handicap.’ […] Il a été tenace ! Il nous plaisantait : ‘Qu’a dit aujourd’hui le sanhédrin ? Qu’a décidé le sanhédrin à ma place ?’ C’est ainsi qu’il est venu à la réunion où nous devions fixer la date de la deuxième opération. Il a pris la parole, et il l’a gardée pendant une demie-heure ou trois quarts d’heure. Il a traité à fond le sujet des rapports entre malades et médecins. Il doit y avoir un dialogue continu entre eux. La leçon a été très belle. Il nous a convaincus. Si l’on m’avait dit avant que je cèderai, je ne l’aurais pas cru [11] ». En un mot, avant d’être l’objet des activités diagnostiques et thérapeutiques du médecin, le malade est le sujet de sa maladie.
3’) L’actualité du message biblique
Une objection pourrait pointer : comment la Bible peut-elle répondre aux questions que se pose l’homme d’aujourd’hui ? Et la question s’acutise quand on prend conscience que les premiers chapitres de la Genèse auxquels Jean-Paul II fait si longuement appel ont été écrits entre le dixième et le cinquième siècles avant Jésus-Christ. Ces textes ne sont-ils pas démodés, trop « antiques » ? Que peut-il sortir de bon de la Bible aujourd’hui ?
Jean-Paul II répond à cette objection implicite en proposant une distinction. En effet, le corps humain peut être analysé à un double point de vue : quant à sa nature biologique et quant à son être personnel, âme et corps ; les deux perspectives s’opposent comme nature et personne, comme vision partielle, inadéquate (quoique légitime) et adéquate (complète). Ne parlons même pas de la relation à Dieu nécessaire à une connaissance adéquate de l’homme, image de Dieu (cf. Gn 1,26) Or, la vision actuelle, scientifique, adopte la première perspective, tandis que Gn 1-3 révèle « la vision intégrale de l’homme […] de manière simple et concrète ».
Par ailleurs, on doit « nécessairement mettre » une vision adéquate « à la base de toute la science contemporaine sur la sexualité humaine au sens bio-psychologique », car « il faut toujours […] arriver à ce qui est fondamental et essentiellement personnel ». Voilà pourquoi, « tenant compte des divers éléments de la science contemporaine » – et les notes référencées, bien documentées montrent que Jean-Paul II le fait –, ce que révèle la Bible, quoique simple et de forme parfois « archaïque » (nous parlons surtout de Gn 2), demeure toujours fondamental. (23, 4 ; p. 217-218).
4’) Intérêt immédiatement pratique
« Tant d’êtres humains et tant de chrétiens cherchent dans le mariage l’accomplissement de leur vocation. Et tant veulent trouver en lui la voie du salut et de la sainteté ». Or, une saine conception du mariage demande « d’avoir une conscience approfondie de la signification du corps, dans sa masculinité et dans sa féminité », etc. bref, requiert une véritable « théologie du corps » et elle est exposée en Gn 1 à 3. Aussi, « ceux qui cherchent dans le mariage l’accomplissement de leur vocation » y trouveront « la substance même de leur vie et de leur comportement ».
Et ceci est d’autant plus vrai « que règne une civilisation conditionnée par une manière de penser et de juger nettement matérialiste et utilitaire ». Or, cette conception est inadéquate, au sens défini ci-dessus. Plus encore, notre monde est tellement érotisé que la pratique de la maîtrise de soi et de ses pulsions paraît utopique et impossible, sinon même frustrante et « névrogène ». L’Écriture Sainte devient le seul lieu où d’une part l’intelligence peut guérir de son aveuglement et de son soupçon en redécouvrant la véritable signification du corps et de la sexualité, d’autre part la volonté retrouver force et confiance en apprenant combien le Christ veut non pas nous accuser, mais nous sauver. Autrement dit, l’être humain est appelé à redécouvrir le bonheur que Dieu voulait pour l’homme et la femme à l’origine, dans le mystère de la création : c’est pour cela que le Christ renvoie aussi explicitement à Gn 1-3. (23, 5 ; p. 218-219) Ces catéchèses sont un formidable souffle d’espérance sur la sexualité humaine.
b) Intérêt de cette série d’articles
Pourquoi doubler les volumes de Jean-Paul II d’un volume qui va en reprendre la « substantifique moelle » ? Si notre ouvrage n’était que résumé, il n’aurait en effet, aucune raison d’être. Mais son objet est autre.
Nous le disions en introduction, les encycliques du pape ne sont malheureusement pas lues, la première sinon la seule raison étant leur arduité. Les raisons de cette difficulté sont connues ; elles sont loin d’être injustifiées : lourdeur du style, technicité et abstraction du vocabulaire, rareté des exemples. À ces griefs superficiels s’ajoutent l’apparente maladresse des phrases, la progression déroutante de la pensée qui annonce peu son plan, qui ne définit que par hasard, au détour d’une phrase, qui paraît plus affirmer que démontrer, qui ne cesse de revenir sur ses pas. Ce n’est pas tout ! Jean-Paul II associe rarement les concepts : comme on dirait en logique, il énonce ou il juge peu ; il introduit beaucoup de notions, mais il laisse au lecteur le soin de les unir, ce qui donne des phrases abstraites et lourdes ; on perçoit donc la nouveauté de telle ou telle affirmation, mais on reste démuni pour l’exprimer avec précision ; on peut même être saisi par un phrase ciselée, belle et profonde comme un diamant, mais l’impression n’est que passagère et on ne l’admire qu’en la dessertissant de son écrin.
Bref, comme nous avons tenté de le dire ailleurs, sa pensée suit l’ordre du cœur – ce qui ne signifie surtout pas qu’elle vient de l’affectivité et qu’elle ne s’adresse pas à la raison –, elle est « circulaire », et c’est pour cela que certains la chérissent tant. Jean-Paul II nous dit d’ailleurs quelque chose de sa méthode lorsqu’il remarque, au sujet d’Ep 5 qui est le couronnement des développements relatifs à la théologie du corps dans les quatre états de l’humanité : ce texte de saint Paul doit être vu « comme le ‘couronnement’ des thèmes et des vérités qui fluent et refluent comme de longues vagues à travers la Parole de Dieu révélée dans l’Ecriture Sainte ». (87, 3 ; III, p. 438-439. C’est nous qui soulignons) Or, ce flux et ce reflux évoque le retour régulier du même, la circularité d’une pensée qui revient aux thèmes les plus chers, car les plus importants et, au sens propre, les plus centraux. L’ordre du cœur ne quitte jamais des yeux ce centre admirable et parfois adorable qu’elle montre, chérit et veut faire chérir.
Parfois Jean-Paul II use d’un style plus linéaire (par exemple dans la catéchèse 121), mais ne nous y trompons pas : il retrouve vite la circularité de son exposé. Peut-être aussi la part d’un rédacteur étranger a-t-elle affecté la forme ; mais, de manière générale, les catéchèses semblent de première main. [12]
Certes, ces catéchèses sont loin d’être ignorées ; les théologiens, les fidèles ont bien vu l’originalité, la profondeur et l’amplitude de la réflexion entamée par le Saint-Père sur le corps. Mais ces entretiens du mercredi sont le plus souvent cités ponctuellement ; ils ne sont que rarement étudiés en toute leur extension. Or, la circularité même de la pensée de Jean-Paul II ne se livre pas au lecteur occasionnel ; pudique, elle ne se dévoile qu’à celui qui manifeste son amour par la fréquentation répétée.
Pascal Ide
[1] Jean-Paul II, À l’image de Dieu homme et femme. Une lecture de Genèse 1-3, 1981, nouvelle éd., 1985. Regroupe le premier cycle de catéchèses (5-IX-1979 au 2-IV-1980) ; Le corps, le cœur et l’esprit. Pour une spiritualité du corps, 1984. Regroupe les deuxième et troisième cycles de catéchèses (16-IV-1980 au 6-V-1981) ; Résurrection, mariage et célibat. L’évangile de la rédemption du corps, 1985. Regroupe les quatrième, cinquième et début de sixième cycles de catéchèses (11-XI-1981 au 9-II-1983) ; L’amour humain dans le plan divin. De la Bible à Humanæ Vitæ, nouvelle éd., 1985. Regroupe la fin du sixième et le septième cycles de catéchèses (23-V-1984 au 28-XI-1984).
[2] À l’époque, le texte français – qui reprenait la traduction utilisée par l’Osservatore romano en langue française – était accessible sous trois formes : L’Osservatore Romano, éd. française, qui paraît chaque semaine, est l’édition qui donne accès au plus tôt aux textes du Saint-Père ; La documentation catholique (Paris, Bayard-Presse) offre le texte des audiences toujours avec quelque retard et regroupées par ensemble de 2 ou 3 (à côté de la version papier, La documentation catholique propose aujourd’hui une version CD-ROM d’une bonne partie de l’enseignement de Jean-Paul II) ; enfin, les éditions du Cerf qui ont rassemblé ces catéchèses en un seul volume.
[3] Cf. Giovanni-Paolo II, Uomo e donna lo creo, Roma, Città Nuova Editrice, Libreria Editrice Vaticana, 1995.
[4] Je ne désespère pas d’offrir un jour un commentaire digne de ce nom, que je vais commencer, pas à pas, en des articles édités par la revue Ecce corpus ‘Voici le corps’ qui est la revue universitaire de recherche publiée par l’Institut de Théologie du Corps, fondée à Lyon, par Yves Semen.
[5] 1968, n. 7.
[6] « La sexualité, par laquelle l’homme et la femme se donnent l’un à l’autre par les actes propres et exclusifs des époux, n’est pas quelque chose de purement biologique, mais concerne la personne humaine dans ce qu’elle a de plus intime. Elle ne se réalise de façon véritablement humaine que si elle est partie intégrante de l’amour dans lequel l’homme et la femme s’engagent entièrement l’un vis-à-vis de l’autre jusqu’à la mort ». (Jean-Paul II, Exhortation apostolique postsynodale sur les tâches de la famille chrétienne, Familiaris Consortio, n. 11)
[7] Jean-Paul II ne s’oppose pas à la théorie de l’évolution en général, mais à la théorie idéologique (matérialiste) de l’évolution qui prétend que la seule évolution matérielle suffit à expliquer l’apparition de l’homme (Jean-Paul II, Discours à l’Assemblée plénière de l’Académie pontificale des Sciences, 22 octobre 1996, L’Osservatore Romano, éd. en langue française, n° 44, du 29 octobre 1996, p. 4).
[8] Carlo Caffara, Identidad y diferencia. La relacion hombre y mujer, Madrid, Ed. Encuentro, 1989, p. 34.
[9] Cf. Introduzione generale, Giovanni-Paolo II, Uomo et donna lo creo, p. 24.
[10] André Frossard, « N’ayez pas peur ! » André Frossard dialogue avec Jean-Paul II, Paris, Robert Laffont, 1982, Paris, p. 355 et 356.
[11] Ibid., p. 365.
[12] À ce sujet, permettons-nous une hypothèse. La présence de notes abondantes et référencées dans les premières catéchèses (on n’en trouve quasiment plus dans le dernier volume) est le signe de la « patte » particulière de Jean-Paul II, du soin qu’il a mis à leur rédaction et du caractère profondément personnel de la pensée qui s’y développe.