Un document du Conseil pontifical de la culture et du Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux sur le Nouvel Age fait allusion à l’ennéagramme au terme d’un paragraphe consacré à la proximité entre New Age et gnose. Voici le texte : « Un exemple nous est donné par l’ennéagramme – un instrument pour l’analyse du caractère selon neuf catégories – qui, lorsqu’on l’utilise comme instrument de croissance spirituelle, introduit une ambiguïté dans la doctrine et la pratique de la foi chrétienne [1] ». Un certain nombre de personnes, lisant rapidement le texte, l’ont interprété comme une mise en garde, voire comme une critique, à l’égard de l’ennéagramme.
a) Le texte
Je ne voudrais pas me lancer dans une herméneutique détaillée du document.
Le contexte dicte l’intention du texte : l’évaluation négative du péril représenté par la pensée gnostique présente dans le New Age. Il permet donc de comprendre pourquoi l’approche est négative et ne comporte pas de considération accueillante. Doit-on aller plus loin et affirmer que cette absence d’exposé positif est aussi une disqualification ? Considérons le texte lui-même. La réponse à la question posée est clairement négative.
D’abord, deux indices textuels : 1. l’ennéagramme est défini (« un instrument pour l’analyse du caractère selon neuf catégories ») avant d’être critiqué ; 2. la proposition « lorsqu’on l’utilise » a clairement une destinée grammaticalement restrictive.
Ensuite, le contenu sémantique. 1. La définition de l’ennéagramme ne comporte rien qui fasse allusion ni à la foi chrétienne ni à la gnose ; or, la critique porte sur ces aspects ; il n’est donc pas étonnant que le texte ne se prononce pas favorablement, car telle n’est pas son intention. 2. La proposition restrictive pose une distinction très salutaire (c’est le cas de le dire !). En effet, intentionnellement, le texte répète le terme « instrument » : l’ennéagramme peut être utilisé soit comme « instrument pour l’analyse du caractère », soit comme « instrument de croissance spirituelle » ; or, seul le second usage est condamné : car il « introduit une ambiguïté dans la doctrine et la pratique de la foi chrétienne », donc est condamnable. Ce point mériterait un long développement qu’il n’y a pas lieu de faire ici. L’idée est la suivante : la croissance spirituelle est la réalisation du salut en nous ; or, la rédemption est l’œuvre de Dieu ; mais un instrument comme l’ennéagramme fait appel aux seules forces humaines (ici de connaissance de soi) ; donc, l’ennéagramme utilisé à des fins spirituelles s’oppose à la vérité du salut.
De plus, rappelons une règle de bon sens : ne pas parler en termes louangeurs n’est pas condamner ; ne pas dire du bien, ce n’est pas dire du mal : sinon, tout silence rimerait avec médisance. Il en est de même dans l’usage de l’interdit en morale : ne pas condamner n’a jamais été promouvoir. Plus encore, c’est laisser à la liberté le choix du bien à accomplir ; de même, ici, c’est laisser libre champ à l’intelligence.
Enfin, le Saint-Siège n’interdit pas ce qu’il ne condamne pas, afin de respecter les domaines de compétence : s’il ne dit rien sur l’outil qu’est l’ennéagramme, c’est qu’il relève du domaine empirique et rationnel et que le Magistère n’a pas la compétence pour en juger (comme pour la plupart des doctrines philosophiques ou scientifiques). Certains se trouveraient rassurés que l’Église s’engage sur tous ces points, mais il faut en mesurer le prix : l’autonomie de la raison et la possibilité même de la recherche.
b) L’intention
Ayant parlé de ce document avec le Secrétaire du Conseil pontifical pour la Culture, celui-ci m’a formellement affirmé que le Document, serein, dans sa forme et dans son contenu, ne visait ni une personne, ni un groupe, ni une technique quelle qu’elle soit. Cette réponse suffisait. Mais j’ai voulu avoir confirmation de l’application de cette règle générale au cas particulier de l’ennéagramme. La réponse est que celui-ci n’est nullement condamné comme méthode ; il ne l’est que s’il est présenté comme un moyen de salut [2]. Précisant encore davantage, je demandais pourquoi l’avoir alors nommé comme exemple, à l’exclusion d’autres méthodes, la réponse fut que ce choix s’explique par le contexte culturel américain : en effet, le rédacteur expert vient des Etats-Unis où la pratique de l’ennéagramme est largement plus répandue qu’en Europe.
La pratique du Saint-Siège le confirme. Je pense à l’exemple d’un professeur d’une Faculté de théologie à qui la Congrégation pour la Doctrine de la foi a demandé de rectifier sa position parce qu’il « proposait l’ennéagramme comme moyen afin que l’homme puisse atteindre sa plénitude aussi du point de vue spirituel ». Citant le document du Conseil pontifical de la culture et du Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux, Jésus-Christ, le porteur d’eau vive (1.4), ce Dicastère précisait : « L’ennéagramme, s’il est utilisé comme moyen de croissance spirituelle, introduit une ambiguïté dans la doctrine et dans la vie des chrétiens ». Il n’est donc en rien illégitime de l’employer, mais comme un outil de connaissance de soi et de développement personnel.
[1]Conseil pontifical de la culture et Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux, Jésus-Christ le porteur d’eau vive. Une réflexion chrétienne sur le Nouvel Age, Cité du Vatican, Libreria Editrice Vaticana, 2003, 1.4., p. 12.
[2]De ce point de vue, il est malheureux que, dans son ouvrage sur l’ennéagramme (d’autant plus qu’il fut publié après la parution du document du Saint-Siège cité dans la note précédente), Ephraïm ait écrit : « Là où est ta blessure, là est ta rédemption ». La blessure relève du domaine psychologique dont s’occupe l’ennéagramme et la rédemption du domaine surnaturel vis-à-vis duquel il n’a pas de parole autorisée.