Wind River
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Thème (s):
Amour, Guérison
Date de sortie:
30 août 2017
Durée:
1 heures 47 minutes
Directeur:
Taylor Sheridan
Acteurs:
Elizabeth Olsen, Jeremy Renner, Kelsey Asbille

 

 

Wind River, thriler américain de Taylor Sheridan, 2017. Avec Jeremy Renner, Elizabeth Olsen, Julia Jones. Prix « Un certain regard » pour la mise en scène au festival de Cannes 2017.

Thèmes

Amour, amitié, guérison.

Dans ce Wyoming glacé où une scène glaçante s’est déroulée, tout semble figé ou ralenti à l’extrême, le bien comme le mal, le Blanc comme l’Amérindien – jusqu’à la narration qui en a épousé le rythme –. Tout, sauf le cœur d’un homme qui, après un grave trauma, va se remettre à battre.

 

Les deux premières scènes mettent l’essentiel en place. La première montre une jeune femme qui court longtemps, longtemps, avec l’énergie d’une guerrière autant que d’une amoureuse, avant de s’écrouler dans les étendues sauvages et enneigées qui seraient belles jusqu’à la douleur, si elles n’étaient si disproportionnées pour l’homme. Cette Amérindienne, la dernière image nous l’apprendra, est la véritable héroïne : en effet, annonce un message, le FBI ne tient pas de statistiques sur les disparitions de femmes indigènes.

La seconde scène, celle des agneaux, des loups et du chasseur, triangule les personnages : les bons qui, vulnérables, tombent sous les coups des méchants quand un chasseur ne les en protège. Un sauveur qui n’est pas un vengeur, car il tue uniquement pour dissuader les ennemis et protéger les innocents. Cette métaphore est aussi métonymie (la partie pour le tout) – sauf que, dans l’histoire, la brebis est unique et les loups nombreux, et le chasseur guérit le mal au lieu de le prévenir.

Nous découvrirons tôt que Cory est un homme blessé, plus, traumatisé : la disparition et la mort de sa fille a touché en plein cœur sa famille et donc son cœur. Toutefois, il a refusé de se fermer. À l’amertume de Wilma, il répond par l’humour (« Qui fut la victime du jour ?, l’agresse sa compagne en voyant le sang du loup sur sa chemise. – Moi, apparemment ! ») et, plus encore, par l’attention, la prévenant contre la tempête qui vient. De même, loin de prendre son fils en otage ou de le délaisser, il l’élève avec exigence (affronter le pur sang au lieu de le fuir), sagesse (« Il est plus grand que moi ! – Qui est le plus grand maintenant ? », rétorque son père en le plaçant sur la selle), patience et amour (belle scène où, Casey étant réveillé en pleine nuit par un cauchemar, Cory ne le juge pas, le place sur ses genoux et lui explique ce qu’il en est en train de faire).

Comment le pisteur blessé a-t-il conjuré la tentation de la rancœur ? Il l’explique à Martin Hanson (Gil Birmingham), le père de Natalie, dans une tirade qui serait insupportablement moralisatrice s’il ne parlait de son expérience : « Le seul réconfort, c’est que l’on s’habitue à la souffrance. Je suis détruit pour toujours. J’ai le choix. Si j’accepte la souffrance, je me rappellerai tout l’amour donné. Sinon, tu te prives de tous tes souvenirs d’elle ». Néanmoins ces vérités qu’il partage humblement sont plus un mécanisme de survie qu’un dynamisme de vie. Certes, Cory refuse l’excuse facile des foreurs criminels qui travaillent aux puits de pétrole : fuyant dans l’alcool, la jalousie et la violence, ils prétextent l’ennui, le froid et la solitude de ce pays inhumain ; mais le chasseur leur oppose l’exemple de sa famille qui y vit depuis un siècle et de ces femmes amérindiennes, ces « battantes » qui, telle Natalie, « vont au-delà de leur limite ». Certes, il lutte contre lui-même et refuse à son tour de sombrer dans la fermeture (Wilma, fière et protégée, le laisse sur le seuil de sa maison, dans le froid, et lui prophétise que, si semblable à la disparition de leur fille soit celle de Natalie, il ne trouvera pas la réponse à ses questions en poursuivant l’assassin), la violence vengeresse (il libérera l’assassin qui avoue la vérité) ou autodestructrice (celle que s’inflige la mère de Natalie). Toutefois, comme le gel qui cristallise le sang dans les poumons, Cory laisse l’épreuve frigorifier son cœur de désespoir et assassiner sa puissance de vie : « Je suis détruit pour toujours ».

Mais, malgré les apparences, l’histoire ne se répète jamais. Une nouveauté survient, aussi inattendue qu’un rayon de soleil en pleine tempête, dans la venue de Jane, l’agent du FBI. Trop jeune pour que Cory en tombe réellement amoureux, mais encore assez pour qu’elle lui rappelle sa fille. Assez vulnérable pour reconnaître avoir besoin de son aide, mais assez guerrière pour se battre, et résister au mépris des Indiens de la réserve. Assez forte pour non seulement demeurer impavide face à l’affrontement des ouvriers foreurs, des shériffs et des agents de sécurité du site lorsque la situation dégénère dangereusement, mais aussi rengainer la première alors que la menace mortelle continue à planer, mais aussi assez sensible pour que l’histoire de Cory l’émeuve jusqu’aux entrailles et lui fasse exprimer délicatement sa compassion à Cory.

Dans ce monde extrêmement, voire excessivement viril (hors la tendre Natalie qui s’évade dans les bras de Matt, les femmes amérindiennes ont surdéveloppé leur animus au point de se rendre inaccessibles), l’agent du FBI apporte une douceur et une compassion féminines, sans rien perdre de sa ténacité. Ici, la nature se fait parabole, voire médiation. À l’instar de cette tempête qui alterne rafales et éclaircies, le ciel intérieur de Cory se dégage par moments et par endroits. Comme ces paysages superbes, mais dangereux qu’il faut parcourir avec la vélocité du motoneige pour éviter les traîtres pièges, Cory peut enfin entamer l’exode hors de ce deuil mortifère. À l’image de ce désert neigeux où se croisent fragiles araignées et cougars, eux-mêmes à la fois redoutables agresseurs et vulnérables agressés (qui se terrent dans leur tannière), la gangue blessée qui ceinture et protège son cœur se desserre et lui permet de contacter sa fragilité.

Remué par cette femme hors norme qui l’oblige à sortir de cadres simplistes (l’urbaine indifférente leur sort versus le rural en survie), nous retrouvons au terme un Cory transformé. Avec pudeur et non sans poésie, le chasseur avoue indirectement à la jeune femme hospitalisée un sentiment naissant. S’ébauche-t-il une idylle amoureuse ? Peut-être. Mais je crois que l’essentiel est ailleurs : cette scène atteste que son cœur est de nouveau capable de battre. Donc de retrouver Wilma. Ainsi, tombant par hasard dans la maison des Hanson sur les photos de Natalie avec sa fille Emily attestant leur amicale proximité et leur probable sort commun, son cœur à battre se remet. Sa vulnérabilité l’ouvre à celle de Martin, voire la suscite : le père de Natalie reconnaît avoir été tenté de se suicider et fut réconforté par l’appel de son fils Chip, le premier depuis un an. Profondément apaisé, il trouve les gestes pour le rejoindre en s’asseyant à ses côtés, les mots pour le conseiller en lui rappelant que la nouvelle génération est moins endurante à la souffrance, et le silence pour toucher son cœur sans offenser sa fierté (« Tu peux rester avec moi, assis ? – Je ne vais nulle part »).

Dès lors – et ce n’est pas le moindre mérite de ce film attachant que cette suggestive inclusion –, la scène finale éclaire la scène initiale. Natalie a trouvé la force de tenir pas moins de 10 km, dans le froid humainement destructeur (alors que l’assassin s’écroule après 200 mètres), non seulement parce qu’elle était amoureuse, mais aussi parce qu’elle a appris par cœur le poème de sa grande amie de cœur, Emily. De même, Cory revivra non pas seulement en se laissant émouvoir par la présence de Jane, mais en vibrant à l’amitié de Martin et en partageant humblement sa peine. Dès lors, à une joie épisodique puisée à quelque souvenir des merveilleux moments partagés avec l’être cher, se substitue un possible bonheur présent, tissé de moments de communion. Plus encore, Martin trouve la force d’abandonner son masque mortuaire grâce à la douleur partagée par l’ami compatissant (le latin cum-patiri signifie étymologiquement « souffrir-avec »).

 

Ainsi, loin de figer-fixer le cœur des hommes dans la malice (comme dans les Huit salopards http://pascalide.fr/critique/les-8-salopards/ : cf. la fiche d’humeur) ou le manichéisme (Fargo http://pascalide.fr/critique/fargo/ : cf. la fiche), le film se refuse au déterminisme facile et fataliste pour ouvrir avec sobriété à l’espérance d’une renaissance. Si le scénariste de Sicario de Denis Villeneuve et Commancheria de David Mackenzie (qui signe ici son premier film) aurait pu nous épargner le début du viol sordide, il a su montrer avec discrétion et vérité que la violence de la nature ne saurait excuser la sauvagerie des hommes. En ce sens, au-delà du manifeste pour la femme indigène injustement méprisée, Wind River est une hymne à la capacité de métamorphose présente en tout cœur, même le plus meurtri.

Pascal Ide

En pleine nuit, une jeune fille amérindienne court éperdument, pieds nus, en récitant un poème d’amour, dans l’immensité gelée du Wyoming. Scène suivante, des moutons bêlants de frayeur s’agitent à la vue que des loups les guettent, cherchant qui dévorer ; soudain, un coup de fusil claque ; un carnassier s’abat et les autres s’enfuient. Cory Lambert (Jeremy Renner), chasseur travaillant pour le United States Fish and Wildlife Service, ramène le loup mort et, sur le chemin, rend visite à sa compagne d’origine amérindienne Wilma (Julia Jones), accusatrice et fermée. On apprendra, en effet, que, trois ans auparavant, leur fille Emily, alors âgée de 16 ans, a été retrouvée morte de froid après que ses parents l’ont laissée seule à la maison pour garder son petit frère Casey, âgé de 6 ans (Teo Briones). Loin de rapprocher le couple, le traumatisme l’a brisé.

Récupérant son fils pour passer une journée avec lui, Cory part pour la réserve indienne de Wind River, perdue dans les étendues sauvages et enneigées du Wyoming, sur les traces de pumas signalés par son beau-père. Mais, alors que la tempête de neige approche, menaçant d’effacer les indices, Cory découvre des taches de sang menant au cadavre de Natalie Hanson (Kelsey Chow), qui s’avère être la jeune fille sur laquelle s’ouvrait le film. Puisque tout invite à soupçonner un crime, le chef indigène de la police locale, Ben (Graham Greene), doit prévenir le FBI. Méprisant les amérindiens, l’agence fédérale envoie un jeune agent encore en formation, Jane Banner (Elizabeth Olsen), qui arrive à peine vêtue dans cette région glaciale. Lorsque le médecin légiste lui apprend que Natalie fut victime d’une agression et d’un viol probablement collectif, avant de s’enfuir en courant dans la neige, la jeune femme, révoltée, décide de s’impliquer pleinement dans l’enquête et engage Cory comme pisteur pour l’aider. Mais un agent inexpérimenté peut-il s’affronter à un milieu dont l’hostilité naturelle n’a rien à envier à la sauvagerie humaine ? Surtout, à quel adversaire s’affronte-t-elle ?

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