La liturgie ne serait-elle pas, avec la Parole de Dieu, est un des principaux « lieux » d’intégration de l’affectivité à l’intégralité de l’humanité ? [1] En effet, la liturgie est le culte rendu à Dieu, donc l’acte par lequel je rends grâce pour le don qu’est Dieu, autrement dit s’inscrit dans le grand mouvement de retour vers l’Alpha qui est l’Oméga. Or, ce reditus à la fois suppose une intégration et en même temps l’achève, comme par surabondance, en tournant vers Dieu tout mon être, corps, sensibilité, affectivité, intelligence et liberté.
Il est passionnant de le montrer, inductivement, dans le détail de la liturgie eucharistique. Il faudra relire, dans cette perspective (mais aussi celle du don), la Constitution apostolique Missale romanum de Paul VI, le 3 avril 1969, promulguant le Missel romain demandé par le Concile Vatican II, et l’importante Institutio generalis (présentation générale) [2].
1) Les rites d’entrée ou d’introduction
- a) La paix
Dans la liturgie épiscopale tout au moins, on trouve la belle formule : « Que la paix soit avec vous » ou, plus précisément : « Paix à vous », à laquelle la réponse est toujours : « Et à (ou « avec ») ton esprit », sémitisme qui signifie « Et aussi avec toi », mais dont il est heureux que la traduction n’ait pas perdu la pointe concrète. Les commentaires patristiques ont même souligné la convenance de ce terme : « Il appelle ‘esprit’ non pas l’âme qui est dans le prêtre, mais l’Esprit qu’il a reçu par l’imposition des mains [3] ».
C’est donc que la messe commence en demandant et en établissant le célébrant ainsi que le fidèle dans la paix et une paix intérieure, spirituelle. On sait qu’elle s’achèvera aussi par la paix : « Allez dans la paix du Christ ». Est-ce redondance ? On en reparlera.
- b) La collecte
La première oraison ne se résume pas à la seule prière récitée par le célébrant comme on croit, mais se déroule en quatre temps. Si je vous disais qu’il y a quatre temps, je pense que vous seriez étonnés, mais cela vous permettrait de découvrir qu’à travers un geste simple et que l’habitude a bien banalisé, il se dit une richesse inattendue.
- Le président invite l’assemblée à prier : « Prions le Seigneur ».
- La liturgie prévoit qu’après cet « Oremus », il y ait un temps de silence. Cela permet ainsi de joindre l’attitude intérieure à l’injonction extérieure. Or, le silence favorise le recueillement et celui-ci prédispose à la paix.
- Suit l’oraison lue par le prêtre. Celle-ci est toujours adressée au Père, non sans l’unir aux autres Personnes de la Sainte Trinité. Après avoir rappelé tel attribut ou telle action divine, donc avoir tourné le cœur vers le Père, le célébrant ose, dans cette lumière et au nom de l’assemblée, lui adresser une demande. Cette manière de s’aboucher au don de l’origine suscite la confiance éperdue (qui suscite l’espoir) et, de là, l’audace, pour tout demander.
- Les fidèles de l’assemblée répondent : « Amen ». Cet acte signifie que chacun fait sien la prière que le prêtre adresse au Père. Cette libre réponse est à la fois une adhésion personnelle et un acte communautaire qui soude chaque
Par conséquent, le fidèle participe de la confiance du prêtre ou plutôt est appelé à entrer dans la confiance et l’audace de la demande.
Pour le prêtre, on notera quelle joie est la sienne d’exercer ainsi sa fonction de médiateur : il lui appartient à lui et à lui seul d’ainsi présenter cette prière du peuple de Dieu à celui-ci. A cette médiation ascendante, se joindra, tout à l’heure, la médiation descendante par laquelle advient aux fidèles le don du Corps et du Sang du Christ.
- c) Le Kyrie eleison
Le Kyrie eleison et, plus généralement, le rite pénitentiel invite au regret de ses péchés, afin de purifier le cœur pour qu’il puisse écouter Dieu en sa Parole et le recevoir dans son Corps. Or, le regret du péché est une tristesse intérieure, mais une tristesse salutaire, selon le mot de saint Paul. On se souvient que saint Ignace de Loyola conseillait à l’exercitant, en première semaine, de ressentir douleur et honte pour son péché. Cela devrait être vrai à chaque contrition. Ainsi le Kyrie s’accompagne non seulement d’une attitude spirituelle de contrition mais d’un retentissement affectif.
- d) Le Gloria in excelsis Deo
Le Gloria remonte aux tout premiers temps de la liturgie de l’Église. Ce psaume non-biblique est la prière de louange par excellence. Or, la louange suscite la joie. Je dis bien suscite, car il peut s’agir d’un sentiment conséquent et non pas antécédent. C’est particulièrement le cas de cette parole du Gloria qui plongeait Charles de Foucauld dans des abîmes de contemplation : « Nous te rendons grâce pour ton immense gloire ». Mais c’est tout le Gloria qui nous tourne vers la Gloire de Dieu et qu’est Dieu, pur rayonnement : il contemple le Fils en tant qu’il est assis à la droite du Père. Or, le propre du bien, comme du beau, est de rayonner. Mais la présence du bien est cause de joie. Cette louange contemplative de la Gloire trinitaire éveille donc la joie dans le cœur.
2) La liturgie de la parole
- a) La présence de la Parole de Dieu
Si la transsubstantiation demande l’adoration, la présence de la Parole de Dieu invite à la vénération. C’est ce que signifie l’ambon qui n’est pas qu’une visibilisation commode, mais est comme l’équivalent d’une élévation ; or, le haut est symbole d’honneur. D’ailleurs, à cette situation en hauteur est jointe une situation horizontale qui fait aussi sens : l’ambon est la table de la Parole, symétrique de celle de l’autel. Trois autres signes soulignent la vénération portée au livre où est écrite la Parole de Dieu : il s’agit d’un livre liturgique ; il est parfois encensé ; il est embrassé par le célébrant après la lecture de l’Évangile. Mais le signifié est bien la Parole et non pas la matérialité du livre : en effet, ce sont des personnes bien différentes qui peuvent le lire durant l’acte liturgique : si des laïcs peuvent faire les lectures non-évangéliques, c’est en revanche toujours un ministre qui proclame l’Évangile ; or, celui-ci est la partie principale de la Bible.
Or, la vénération, l’hommage suscitent la crainte, mais la crainte sacrée qui naît du sens de la transcendance de Dieu se donnant à l’homme.
La crainte est à son comble au moment de l’écoute de l’Évangile. Quatre gestes le soulignent : nous avons déjà parlé de l’encens (et des ciroféraires peuvent accompagner le thuriféraire), du ministre. Il faut ajouter que les fidèles sont préparés à écouter l’Évangile par une demande solennelle du ministre qui le proclame : « Le Seigneur soit avec vous ». Certaines liturgies sont encore plus explicites : « Silentium facite ! », « Faites silence ! » Or, on sait que la crainte paralyse la parole. Enfin, si pendant les autres lectures, le peuple reste assis, il lui est ici demandé de se lever. Certaines liturgies l’explicitent dans une parole strictement performative : « Orthoi ! », « Debout ! »
- b) L’ordre des lectures
Les lectures s’achèvent toujours par l’Évangile mais ne commencent jamais par lui. En effet, comme l’affirme la constitution Dei Verbum, l’Évangile est le cœur de la Révélation biblique. L’esprit et le cœur sont ainsi comme progressivement disposés à l’accueillir. Soit qu’ils épousent le mouvement attente-accomplissement, soit qu’ils soient invités à déchiffrer le sens anagogique
Précisément, chacun des sens de l’Écriture suscite un affect, ainsi que nous l’avons vu : espérance, joie, etc.
- c) Le contenu de l’Écriture
La Parole de Dieu est apte à susciter tous les sentiments possibles, puisque l’Écriture est révélation non seulement de Dieu mais aussi de l’homme par Dieu : Dieu parle à l’homme de lui-même, Dieu, mais aussi de l’homme, on l’oublie trop. C’est ainsi que l’Écriture suscite à tour de rôle l’étonnement, l’amour, l’angoisse, la joie, la colère (que l’on songe au péché de David et à la mise en scène du prophète Nathan pour lui révéler sa faute), la folle espérance, etc. Voire qui n’a pas ressenti de la haine pour les bourreaux qui martyrisent Jésus ? Les enfants, là-dessus, ont à nous apprendre.
Mais quelle différence y a-t-il entre le sentiment éprouvé lorsqu’on fait lectio divina et celui qui advient pendant la messe ?
De plus, la langue hébraïque peut-être plus encore que le grec, est une langue concrète, synthétique. Plus encore, elle dit ce qu’elle fait.
- d) L’ordo liturgique de l’année
L’année liturgique introduit un rythme qui n’est pas sans résonance affective : l’attente de l’Avent n’est pas la paix discrète de la Nativité du Prince de la paix ; la tristesse pénitente du Carême n’est pas l’exultation victorieuse de Pâques.
- e) L’homélie
A minima, l’homélie suscite aussi une gamme très variée de sentiments. En effet, elle est un commentaire de l’Écriture. Elle devrait donc être comme une caisse de résonance.
Je dirais plus encore que l’homélie devrait ne pas oublier de s’adresser aux affects, selon la règle de Cicéron, et non pas seulement parler à la tête ou à la volonté. Cet entretien est souvent trop solennellisé. « Augustin – explique Roland Cabié – n’hésite pas à employer des mots du dialecte berbère (punici) ou à provoquer les réactions du peuple auquel il s’adresse [4] ». C’est donc que le rhéteur hors pair qu’il est toujours resté, s’adressait aussi aux passions de ses auditeurs.
Parmi ces sentiments, n’en oublions pas un qui peut aussi être une vertu : l’humour. Trop d’homélies oublie de séduire ou même simplement de capter l’attention. Or, l’humour, avec l’image et le récit, en est l’un des principaux moyens.
- f) La prière universelle
Celle-ci se fait en l’absence des catéchumènes. Les paroles qui les renvoient sont fortes : « Caticumeni recedant ! Si quis caticuminus est, recedat ! Omnes caticumeni exeant foras [5] ! » Or, un renvoi, même justifié, peut, chez une personne psychologiquement fragile, réveiller une blessure de rejet. Chez l’autre, il suscite un désir jaloux de posséder ce que les fidèles et les néophytes peuvent partager.
Justin lui-même atteste la présence d’une prière universelle. Or, toute demande suscite en nous un espoir, celui d’être exaucé : en effet, nous ne demandons que ce que nous ne pouvons pas obtenir par nos propres forces. Présenter à Dieu sa demande, acte par lequel le fidèle exerce son sacerdoce commun, baptismal.
3) La liturgie sacrificielle
- a) L’offertoire
L’offertoire est l’acte préparatoire au sacrifice par lequel sont offerts les oblats. Or, déjà, les oblats étaient, dans leur matérialité, offerts par les fidèles participant à la célébration. Mais acheter, offrir suppose de donner quelque chose de ce que l’on possède, de l’argent. Donc, l’offertoire s’accompagne d’un double affect : la joie d’offrir, la tristesse de lâcher son propre bien. Ici, la tristesse est celle du dépouillement des biens terrestres (qui est l’un des sens de la Béatitude des larmes) et non pas celle, parfois abyssale, du péché. Et si nous n’offrons plus les oblats, la quête permet de donner quelque chose de soi. On se souvient comment saint Cyprien invective une femme qui a l’audace de se présenter à l’Eucharistie les mains vides : « Tu es riche et nantie, et tu crois célébrer le ‘repas du Seigneur’, toi qui […] y viens sans l’offrande (sacrificium) et qui reçois une part de l’offrande apportée par un pauvre. Considère la veuve de l’Évangile [6] ». En positif : « les fidèles de toutes les religions, d’une manière spontanée, accomplissent un acte cultuel en donnant quelque chose de ce qui leur appartient [7] ».
De plus, le sens de l’Eucharistie est spirituel. Il s’agit donc ici de sacrifice spirituel, intérieur, autrement dit d’un abandon de notre personne entre les mains de Dieu (Rm 12,1).
Enfin, le désir croît de la venue du Bien-Aimé, d’abord sous les Saintes espèces et ensuite dans la communion.
- b) Le sacrifice proprement dit ou la prière eucharistique
Le dialogue d’introduction entre le président et l’assemblée précède toutes les prières eucharistiques. Il invite à une triple attitude spirituelle : d’accueil du Seigneur ; d’élévation intérieure (Sursum corda, formule des liturgies latines qui est sans doute la plus ancienne et qui est traduite diversement selon les langues, tout en conservant son sens d’ascension) ; action de grâces ou eucharistie. Or, chacune de ces attitudes présente un retentissement affectif qui va se trouver comme déployé, confirmé par la suite de la prière eucharistique : amour, désir et joie. Il s’agit des trois temps affectifs conduisant à l’union au Bien. D’ailleurs, l’élévation est confirmée par le terme oriental désignant le Canon : anaphore qui, étymologiquement, signifie mouvement ascendant.
Le Sanctus fait naître une sainte crainte qui ne fera que s’accroître dans l’adoration aimante de la présence du pain et du vin transsubstantiés. En même temps, la préface fait lever les yeux, pour ne plus les redescendre, vers le Père et vers le Père considéré comme plénitude fontale et surabondante qui se déverse sur la création entière : « Le ciel et la terre sont remplis de ta gloire ». Dans la tradition alexandrine il est même ajouté : « Remplis aussi ce sacrifice », ce qui souligne bien que tout don parfait, en particulier l’Eucharistie, vient du Père.
Le sacrifice est d’abord vécu pour nous, pour notre salut et notre sainteté. Or, la paix est l’affect de l’unité. Donc la réconciliation de notre être causée par le sacrifice s’accompagne de paix. C’est ce à quoi fait allusion l’hymne des Chérubins, même s’il accompagne l’acte de procession des oblats : « Nous qui, en ce mystère, représentons les Chérubins et qui à la vivifiante Trinité chantons l’hymne trois fois saint, déposons tout souci du monde, pour accueillir le Roi du ciel et de la terre, qu’invisiblement accompagnent des légions d’anges [8] ».
Enfin, la présence du Christ est cause de notre joie. Eucharistie ne signifie-t-il pas action de grâces ? Toute l’anaphore, depuis la Préface jusqu’à la doxologie finale, est cette joyeuse exultation. La mort de Jésus ici rappelée ne cause pas notre tristesse, parce que nous savons le Christ désormais dans la gloire du Ciel et qu’ici s’actualise l’événement de notre salut.
D’ailleurs, le Père qui est la source de tout bien, ainsi que le célébrait le Canon, en est aussi le terme : celui que prie la Préface et aussi celui vers qui remonte la doxologie. L’exitus boucle avec le reditus. La liturgie gallicano-hispanique l’exprime en plein canon : « retournant au Ciel, il [le Fils] nous a ouvert le chemin pour monter au Ciel [9] ».
- c) La communion
Le Notre Père est la prière de l’espérance par excellence.
Le baiser de paix transmet la paix même qui vient de Jésus, réellement présent, Lui qui est « Pax nostra » (Ep 2). Mais désormais cette paix n’est plus seulement intérieure, elle est à transmettre. Ainsi la paix, comme tout don, suit-elle un circuit inverse de celui de la conversion selon Augustin : du supérieur à l’intérieur et de l’intérieur à l’extérieur. Les Constitutions apostoliques soulignent bien la signification spirituelle de ce baiser :
« Que l’évêque salue l’assemblée en disant : ‘Que la paix du Christ soit avec vous tous’. Et que tout le peuple réponde : ‘Et avec ton esprit’. Que le diacre dise à tous : ‘Saluez-vous dans un saint baiser’ et que les clercs embrassent l’évêque, les laïcs hommes les laïcs hommes et les femmes les femmes [10] ».
La communion est le sommet de la présence, donc de la joie. De fait, il y a comme deux degrés dans le frui de la présence : à distance et en proximité. Car le délai temporel qui nous fait passer du désir à la joie se double aussi d’une distance géographique qui nous rend proche la présence vue pour qu’elle soit touchée, étreinte et, ici, consommée.
A Dieu qui se donne sans retour, sans retard et sans restriction, le fidèle répond par une ouverture sans réserve, immédiate et totale. La communion sans réserve est celle de l’amour qui veut l’étreinte : c’est ainsi que certains fidèles touchent le corps du Christ avec les yeux [11]. La communion requiert l’ouverture de l’âme (par la liberté qui fait dire : « Amen ») et du corps (ouverture de la main, de la bouche). De même, le fidèle veille à « ne pas perdre une miette [12] ». Or cette ouverture est la condition de la joie de la présence. Et celle-ci est signifiée par le chant de communion. « Que ma bouche soit remplie de ta louange, Seigneur, afin que nous célébrions ta gloire pour avoir daigné nous admettre à tes saints mystères. Garde-nous dans ta sainteté toute la journée, méditant ta justice sainte [13] ».
Mais cette présence se voile aussi d’une sorte de pudeur. C’est ce que signifie le geste de grand respect de la communion ; des femmes, parfois recouvrent le corps du Christ, d’un voile [14].
4) L’envoi
- a) La paix
Nous avons vu que la messe commence par la paix. Cette inclusion ne rime-t-elle pas avec répétition ?
Toute répétition n’est pas inutile. L’Écriture en fait foi qui ne cesse de se répéter. Il existerait une deutérose liturgique.
Je songe au fait que les Confessions de saint Augustin commence et s’achève aussi par la mention de la paix. En effet, la paix, nous dit saint Thomas commentant la salutation presque constante de saint Paul au début de ses épîtres, est l’achèvement de tous les biens ; mais ce qui est dernier dans l’exécution ou l’obtention est premier dans l’intention. Voilà pourquoi ce qui est demandé, désiré au début est accompli à la fin. On pourrait aussi ajouter qu’à la fin, le fidèle est appelé à ne pas seulement vivre de paix mais à la propager, ce qui, là encore, est un sommet de la vie spirituelle : la béatitude des pacifiques n’est-elle pas la dernière et rattachée, par saint Thomas comme par saint Augustin, au don de sagesse et à la vertu de charité ?
- b) L’arrachement
Rappelons-nous l’Ascension. Il n’est pas si facile de quitter le lieu de notre bénédiction. Il y a là une décision et une tristesse assumée.
5) Conclusions
- a) Anthropologique
Si elle est cohérente et pertinente, plus, si elle demeure la base de toute classification ultérieure, la répartition des onze affects proposée par saint Thomas peine à rendre compte de la diversité et de la nuance des sentiments qui traversent le fidèle. Elle ne fait pas mention d’impressions affectives importantes comme la paix ; elle ne rend pas compte de la diversité de nuance dans les joies et les paix ressenties ; elle réduit le remords à une tristesse ; etc.
- b) Sacramentelle
L’ordre de la messe suit-il celui des trois voies : purgative, illuminative, unitive ? Plus encore, n’est-ce pas celui du don : recevoir Dieu, approprier le don qu’il nous fait et partir pour se donner ?
De plus, ce don de la présence se fait selon toute une gradation. Dans la présence physique, on trouve au moins quatre degrés : la distance, la proximité, la contiguïté et la continuité ou fusion (qui n’existe que dans l’assimilation, la nutrition). Or, la présence du Christ dans l’Eucharistie passe par ces quatre stades. Il faudrait ajouter la distance ontologique introduite par la sacramentalité.
Mais il y a une difficulté. La communion sacramentelle est fusion physiologique ; or, la communion spirituelle respecte les distances, identités au plan individuel. N’y a-t-il pas là une contradiction ? Tout au contraire. La véritable communion est intérieure et non pas extérieure : l’amour veut et accomplit une inhésion mutuelle des amants, des amis ; or, dans la consommation eucharistique (la communion), les Saintes espèces deviennent, quant aux accidents du pain, ma propre chair. Ainsi se trouve signifiée au mieux la transformation spirituelle qui vient de s’accomplir.
Pascal Ide
[1] Cette note date d’il y a un quart de siècle…
[2] Constitution apostolique Missale romanum, AAS 61 (1969), p. 217-222. Décret du nouvel Ordo missæ, le 6 avril 1969.
[3] Narsai de Nisibe, Hom. 17, cité par Roland Cabié, Aimé Georges Martimort, L’Église en prière. Introduction à la Liturgie. II. L’Eucharistie, Paris, Desclée, 1983, p. 67.
[4] L’Eucharistie, p. 84. Cite en note 35, Saint Augustin, Enar. in Ps. 123, 8.
[5] Ordo romanus, 11, 29, cité par Roland Cabié, L’Eucharistie, p. 87.
[6] Liber de opere et eleemosinis, 15, PL 4, 612-613, cité par Roland Cabié, L’Eucharistie, p. 94.
[7] Roland Cabié, L’Eucharistie, p. 101.
[8] S. Athanase, œuvre perdue citée par Eutychus de Constantinople, De Paschate et S. Eucharistia, 8, PG 86, 2401.
[9] Liber Mozarabicus sacramentorum, 4ème dimanche de l’Avent, n. 34, cité par Roland Cabié, L’Eucharistie, p. 117.
[10] Constitutions apostoliques, VIII, 11, 8-9, éd. F. X. Funk, tome 1, p. 494.
[11] Cf. S. Jean Chrysostome, In diem Natalem, 7, PG 49, 361-362 ; Aphrrate, Hom. VII, 8 ; Isaac d’Antioche, Carmen, XVII ; Jean de Damas, De fide orthodoxa, IV, 13, PG 94, 1149 ; cités par Roland Cabié, L’Eucharistie, p. 138.
[12] S. Cyrille de Jérusalem, Catéchèses mystagogiques, V, 27, p. 173.
[13] Serge de Constantinople, Chronicon paschale, PG 92, 1001.
[14] Cf. S. Césaire d’Arles, Sermon, 229, 4. Concile d’Auxerre (fin vie siècle), can. 42.