Les 4 sens de la nature Chapitre 1 Annexe 3 : Pourquoi Dieu veut-il que certains événements en préfigurent d’autres ?

Dieu est l’auteur de l’histoire et de l’Écriture qui la narre. Mais pourquoi a-t-il voulu cet emboîtement des événements, et donc la stratification des sens qui les signifie ?

D’un mot : seul l’enracinement dans une histoire et une longue histoire empêche le christianisme d’être un mythe d’origine de plus (cf. 2 Tm 4,4). Cette réponse étonnera. D’abord, n’avons-nous pas vu que seule la foi biblique se fonde dans une histoire, factuelle, réelle ? Ensuite et surtout, la foi chrétienne la Résurrection du Christ n’est-elle pas l’événement réel par excellence – bien entendu, toujours avec les yeux de la foi ? Pourquoi la faire précéder par une longue histoire, celle de l’Ancien Testament ?

Partons de l’épisode fameux des pèlerins d’Emmaüs (cf. Lc 24,13-35). Pourquoi Jésus ne se manifeste-t-il pas tout de suite ? Il semble prendre plaisir à retarder sa révélation, voire il simule son départ. Loin d’offrir tout de suite le signe miraculeux, donc indubitable, attestant sa résurrection (« il avait disparu de devant eux »), il leur propose une extraordinaire leçon d’interprétation « de toutes les Écritures », depuis Moïse à « tous les Prophètes ». J’aurais aimé être là !

Combien souvent, nous, les chrétiens, lisons l’Ancien Testament en négligeant toute l’épaisseur historique du contexte et de son écriture, quand nous ne l’ignorons pas purement et simplement pour nous limiter à la seule lecture du Nouveau Testament [1]. Ce faisant, nous sautons à la fin de l’histoire, nions le sens littéral et nous concentrons sur le seul sens allégorique. Bientôt, nous l’avons vu, nous nous concentrerons sur le seul sens moral. D’ailleurs, nous l’avons dit, ce sens allégorique est aussi qualifié de spirituel. Il n’est dès lors pas étonnant que ce même chrétien soit tenté par une pratique très dématérialisée de sa foi, une attitude spiritualiste et providentialiste, un déni de son corps (notamment sexué), de ses sentiments, de sa psychologie et de son enracinement dans le monde. Hors lettre, hors sol, hors corps, hors monde. Toutes ces attitudes, apparemment disparates, sont donc dictées par une même logique souvent inaperçue que le pape François a justement épinglée comme un des « deux ennemis subtils de la sainteté » : le gnosticisme actuel [2].

Osons une comparaison et une leçon. Combien de fondateurs de communautés nouvelles sont gouroutisés, idéalisés, voire, idolâtrés, parce que l’histoire de ces mêmes communautés est mythologisée ? Sans même parler des ombres dans leurs personnalités, qui sont systématiquement gommées au profit de leurs seuls charismes, c’est leut héritage, leurs influences, qui sont aussi niés parce que cela atténuerait, voire annulerait la nouveauté et la supposée sainteté de leur parole. L’un (je dis bien « un ») des remèdes contre les abus dans nos communautés nouvelles consiste donc à en écrire une histoire la plus complète et la plus documentée possible ; une histoire qui ne soit pas celle des vainqueurs, c’est-à-dire une hagiographie présélectionnant les témoignages ; une histoire qui, à l’instar de l’Écriture, ne cacherait pas la trahison d’un saint Pierre et le « zèle meurtrier » de saint Paul… Faut-il le préciser ? La mythologisation idéalisante des histoires communautaires fait le jeu de l’emprise et bâillonne les victimes.

Mais pourquoi Dieu s’inscrit-il dans cette longue histoire réelle (qui se sédimente dans les quatre sens) ? On pourrait multiplier les raisons. Toutefois, la raison ultime est celle-ci : le Dieu biblique promet et accomplit ses promesses. Dès après la chute, il promet implicitement à nos premiers parents le salut (cf. Gn 3,15). Or, en promettant et en tenant ses promesses, Dieu donne un sens au temps (nous avons quelque chose ou plutôt Quelqu’un à attendre !), nourrit notre espérance (Dieu est totalement fiable), adoucit nos épreuves (il nous assure que, dès maintenant, aucune existence ne se résume à une tragédie) et atteste sa bonté (il n’abandonne pas l’homme à la violence).

Aujourd’hui, bombardée par des événements incessants, la vie est devenu un happening permanent et le bonheur une carnavalisation étourdissante. Apparemment, nous sommes dans le réel. Mais comme notre temps est morcelé, il est devenu insignifiant ; comme ces expériences sont sans passé et sans lendemain, elles ne forment ni ne transforment ; comme les plaisirs ne font que succéder aux plaisirs (chaque week-end, l’on part [3], ils nous rendent addicts et non pas heureux. Tout à l’inverse, la doctrine des quatre sens montre que, de même que le Nouveau Testament accomplit l’Ancien, le sens moral est en attente du sens eschatologique où Dieu « essuiera toutes larmes de nos yeux » (Ap 21,4). Et cette espérance ne sera pas déçue.

Pascal Ide

[1] L’une des raisons pour lesquelles le pape Benoît XVI a tenu à publier son livre sur Jésus de Nazareth, c’est que, grand connaisseur de la Bible, il voulait réenraciner le Nouveau Testament dans l’Ancien, et nouer le sens historique avec le sens allégorique.

[2] Cf. Pape François, Evangelii Gaudium. Exhortation apostolique post-synodale sur l’annonce de l’Évangile dans le monde actuel, 24 novembre 2013, n. 94 et 233 ; et surtout Exhortation apostolique Gaudete et exsultate sur l’appel à la sainteté dans le monde actuel, 19 mars 2018, n. 36-46.

[3] Sur cette logique de fond qui est celle de l’hyperconsommation, cf. Pascal Ide, Puissance de la gratitude. Vers la vraie joie, Paris, Éd. de l’Emmanuel, 2017, chap. 4-6.

11.11.2020
 

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