Viens, Esprit-Saint (dimanche de Pentecôte 28 mai 2023)

« Viens Esprit-Saint, remplis [reple] le cœur de tes fidèles », avons-nous prié avec l’Alléluia. Pour mieux nous laisser remplir de Celui qui veut combler tous nos vides, mettons-nous aussi à l’écoute de la belle séquence qui a suivi l’Alléluïa et a précédé la lecture de l’Évangile. Limitons-nous à la deuxième strophe.

 

  1. « Veni, pater pauperum: Viens, Père des pauvres ».

Mais, sommes-nous assez pauvres pour recevoir l’Esprit-Saint qui veut nous donner toute sa richesse ? Ou bien sommes-nous, comme si souvent, en train de marchander ? Mettons-nous à l’écoute un peu longuement d’un texte extraordinaire d’un jésuite français, Louis Lallemant, qui a vécu un siècle après saint Ignace, et dont on dit que le livre, Doctrine spirituelle, que l’on a tiré de ses prédications, fut le plus influent après les Exercices spirituels. Le souci du père Lallemant fut ce que nous appelons volontiers notre seconde conversion :

 

« Nous passons les années entières, et souvent toute la vie, à marchander si nous nous donnerons tout à Dieu. Nous ne pouvons nous résoudre à faire le sacrifice entier. Nous nous réservons beaucoup d’affections, de desseins, de désirs, d’espérances, de prétentions, dont nous ne voulons pas nous dépouiller pour nous mettre dans la parfaite nudité d’esprit qui nous dispose à être pleinement possédés par Dieu. […] Nous reconnaissons la tromperie à l’heure de la mort, et nous verrons que nous nous serons laissé amuser par des bagatelles, comme des enfants.

« Nous combattons contre Dieu des années entières et nous résistons aux mouvements de sa grâce qui nous poussent intérieurement à quitter une partie de nos misères en quittant les vains amusements qui nous arrêtent, et nous donnant à lui sans réserve. […] Mais accablés de notre amour-propre, aveuglés de notre ignorance, retenus par de fausses craintes, nous n’osons franchir le pas ; et de peur d’être misérables, nous demeurons toujours misérables, au lieu de nous donner à Dieu, qui ne veut nous posséder que pour nous affranchir de nos misères [1] ».

 

  1. « Veni, dator munerum: Viens, dispensateur des dons ».

Don du Père et du Fils, « Personne-Amour » et « Personne-Don », dit Jean-Paul II, l’Esprit-Saint est celui qui est répandu en nos cœurs pour y imprimer tous ces dons (cf. Rm 5,5).

Or, l’Esprit-Saint nous fait désirer ce qu’il veut nous donner. Encore faut-il passer du désir superficiel qui se solde souvent par un plaisir mêlé de tristesse, quand il n’est pas addictif, et le désir profond qui conduit à la joie imprenable. Un prêtre me racontait qu’un jeune travailleur ayant une profession lucrative, une carrière plutôt réussie, était venu le voir car il trouvait néanmoins sa vie inaccomplie, notamment parce qu’il n’était pas marié. « Je lui ai offert le temps pour se poser et l’espace pour pouvoir l’écouter, sans jugement, donc pour pouvoir s’écouter. Et je lui ai seulement demandé : ‘Si vous quittez les mille envies de faire mille choses apparemment plus passionnantes les unes que les autres que l’on vous propose chaque week-end, si vous vous mettez à l’écoute de vos désirs profonds, que vous vient-il ? Je vais vous le dire autrement : et si ce temps de célibat que vous vivez négativement seulement comme un temps où vous n’êtes pas, où vous n’êtes rien, puisque vous n’êtes pas (encore) marié, était aussi un temps pour vous arrêter et vous demander quels sont mes désirs profonds, à quoi l’Esprit-Saint m’appelle-t-il ?’ Il a réfléchi longuement. Son visage s’est alors éclairé. Et il m’a dit : ‘En fait, je pense que je ne suis pas encore marié parce que je manque de confiance en moi et d’estime de moi. Malgré ma réussite professionnelle. Oui, maintenant je vois clair : je dois entamer un travail psychologique. Alors, je pourrai m’engager dans le mariage’ ».

En se mettant à l’écoute de ses désirs profonds, ce jeune homme a permis à l’Esprit-Saint d’être le « dispensateur des dons ».

 

  1. « Veni, lumen cordium: Viens, lumière des cœurs ».

Dans un article de la Somme de théologie, saint Thomas d’Aquin s’interroge sur les différentes missions visibles de l’Esprit-Saint [2], c’est-à-dire les manières dont l’Esprit nous est envoyé de manière visible. Nous en avons entendu deux dans les lectures. La première nous a parlé de la Pentecôte où la troisième Personne divine apparaît sous forme d’un violent coup de vent et de langues de feu, et l’Évangile où le Christ le donne sous forme d’un souffle. Mais vous rappelez-vous les deux autres ? Réfléchissez avant de lire la suite.

Vous vous êtes sans doute souvenu du Baptême de Jésus où l’Esprit se donne à voir comme une colombe. Vous n’avez peut-être pas pensé à la Transfiguration où il est envoyé comme une nuée. Vous constaterez d’ailleurs qu’à chaque fois, nous sommes gratifiés d’une théophanie trinitaire où la voix du Père se fait entendre.

Or, saint Thomas, ce génie de l’ordre, comme disait le Père Bologne, a classé ces quatre missions visibles. Deux s’adressent au Christ. Ce sont celles que nous avons énumérées en dernier. Au baptême, nous dit le théologien dominicain, l’Esprit vient « sous la forme d’une colombe, animal très fécond : c’était pour montrer la puissance privilégiée du Christ comme source de grâce par la régénération spirituelle ». Et, « dans la Transfiguration, le Saint-Esprit lui fut envoyé sous forme de nuée lumineuse, pour montrer la fertilité de son enseignement ; la voix ajouta, en effet : “Écoutez-le” ».

Les deux suivantes, celles que la liturgie nous fait entendre, s’adressent aux apôtres, et donc à nous. Le soir de Pâques, l’Esprit-Saint « fut envoyé sous forme de souffle, pour montrer leur pouvoir de ministres dans la dispensation des sacrements. Il leur fut dit, en effet : “Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis.” (Jn 20,23) ». À la Pentecôte, il fut envoyé « sous forme aussi de langues de feu, pour manifester leur office de docteurs : “Ils commencèrent à parler en diverses langues.” (Ac 2,4) ».

Telles sont donc les deux offices de l’Esprit-Saint : nous sanctifier par la grâce et nous éclairer par son enseignement. Nous demandons souvent sa grâce pour nous aider ? C’est juste et bon. Mais la demandons-nous aussi et d’abord pour recevoir la vie même de Dieu ? Dans le Credo, nous affirmons : « Je crois en l’Esprit-Saint qui est Seigneur et qui donne la vie », littéralement : vivificantem, c’est-à-dire « vivifiant ». Nous demandons souvent la lumière de l’Esprit-Saint pour éclairer nos discernements. Derechef, c’est juste et bon. Mais lui demandons-nous de l’éclairer Lui-même pour mieux Le connaître, donc en nous décentrant de nous-même ? « Viens, lumière des cœurs ».

 

« Veni, pater pauperum : Viens, Esprit-Saint, Père des pauvres ». Que nous cessions de marchander pour nous donner tout à Dieu.

« Veni, dator munerum : Viens, Esprit-Saint, dispensateur des dons ». Que nous nous arrêtions pour écouter les désirs profonds de nos cœurs et que, par Ta grâce, nous les mettions en œuvre.

« Veni, lumen cordium : Viens, Esprit-Saint, lumière des cœurs ». Que nous vivions non pas de notre seule vie, mais de Ta vie. Que nous comprenions mieux non pas seulement ce que Tu veux pour nous, mais qui Tu es.

Pascal Ide

[1] Louis Lallemant, Doctrine spirituelle, II, sect. 1, chap. 1, art. 3, 3, éd. François Courel, coll. « Christus. Textes » n° 3, Paris, DDB, 21959, p. 90-91.

[2] Saint Thomas d’Aquin, Somme de théologie, Ia, q. 43, a. 7, ad 6um.

28.5.2023
 

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