Une visite à la cathédrale Saint Michel et Sainte Gudule de Bruxelles [1]
Quelques observations générales
La cathédrale de Bruxelles notamment dédiée à l’archange saint Michel permet de prendre conscience que l’ange permet à l’homme d’accéder à lui-même. Je ne suis pas seulement moi-même comme un autre (« Je est un autre », dit une parole célèbre de Rimbaud), mais par un autre. Or, présentes en de multiples lieux et de multiples manières, les créatures angéliques sont données à l’homme non seulement pour son service, mais pour une meilleure connaissance de son mystère. Par exemple, le confessionnal en bois sculpté par Jean Van Delem en 1662, possède une niche centrale, couronnée d’un fronton brisé où s’accrochent des guirlandes de fruit et flanquée de deux anges : à gauche, il essuie ses larmes ; à droite, il tient une tête de mort. Ils représentent donc le remords et la mort, les deux faces du péché, subjective (la tristesse de la contrition) et objective (la privation destructrice). Oui, l’ange est un miroir qui m’est tendu pour me dire à moi-même.
Je regrette seulement que cette superbe cathédrale, tout récemment rénovée, ne soit pas l’occasion d’une catéchèse et d’une éducation artistique. Les commentaires, sobres, bienvenus, astucieusement disposés, se contentent de fournir des informations historiques très factuelles.
La chaire
La chaire toute de chêne sculptée, qui est l’œuvre d’un artiste anversois, Henri-François Verbruggen (1654-1724), constitue un résumé de l’histoire du salut. On peut y discerner trois étages. Le premier représente la chute de nos premiers parents au paradis terrestre. D’un côté, Ève est surmontée d’un squelette grimaçant qui représente la mort triomphante et ricanante ; de l’autre, Adam pleure, enfouissant son visage ; au milieu, la queue d’un serpent s’enroule et, au-dessus, un ange porteur de glaive les chasse de ce lieu de délices. Domine un sentiment de tristesse et de honte, donc de crainte.
Le deuxième étage, constituée par la chaire où se tient le prédicateur, traite de la rédemption : la Croix d’un côté et la colombe de l’Esprit-Saint en haut. De nouveau, deux anges sont présents : s’agit-il, à gauche, de l’ange de l’Annonciation ? Mais il manque le personnage de Marie. On notera que la queue du serpent monte le long du côté gauche de la chaire jusqu’à l’abat-son, signifiant par-là que la tentation continue à courir dans l’état historique qui est le nôtre.
Autant l’étage inférieur renvoie au passé et l’étage médian au présent, autant le troisième étage, au-dessus de la chaire, ouvre à l’avenir, aux fins dernières : la femme de l’Apocalypse, couronnée des douze étoiles, debout sur un croissant de lune, aide l’Enfant Jésus à transpercer la tête du serpent. C’est donc elle, et non l’archange Michel, qui combat le démon. Un médaillon sur la chaire en dévoile l’identité à travers un anagramme (Evae est le génitif d’Eva, « Ève ») : « AVE mutans EVAE nomen : le nom d’Ève s’est change en celui d’Ave », c’est-à-dire dans celui de Marie (comme dans la salutation angélique : « Ave Maria, je vous salue Marie »). Marie est la nouvelle Ève que le Christ s’est associée pour sauver le monde.
D’ailleurs, une exposition sur les différentes représentations sculpturales de la Vierge montre notamment une Vierge du Saint-Sacrement qui porte Jésus haut au-dessus de sa tête. C’est ainsi que l’on devrait comprendre la relation de Marie à Jésus.
La chapelle Notre-Dame de Délivrance
La chapelle du Saint-Sacrement comporte un original autel de cuivre soudé, œuvre de Simon Léwi datant de 1975 où la table de verre est supportée par deux pélicans, l’un les ailes repliées et l’autre les ailes déployées. Le commentaire dit qu’ils représentent la foi et l’espérance. Ne faudrait-il pas ajouter qu’ils symbolisent aussi tous deux la charité, puisque, selon Eusèbe et saint Augustin, le pélican se frappe les flancs pour que le sang jaillisse et redonne vie à ses oisillons morts ; de plus, le Christ, « pie pelicane », selon le mot de la liturgie du Saint-Sacrement composée par saint Thomas, donne sa vie en nous nourrissant par son sang.
Pascal Ide
[1] Ces quelques notes furent prises à la volée lors d’une visite de la cathédrale de Bruxelles peut-être en octobre 2003.