Avec l’Eucharistie, nous sommes confrontés au plus vital des paradoxes. D’un côté, avec Marie et Jean, nous sommes présents au pied de la Croix. Or, le seul Juste y subit le plus atroce des supplices. Avec la flagellation et la crucifixion, les Romains ont inventé les tortures parmi les plus barbares qui soient, au point de traumatiser les premières générations de chrétiens pendant des siècles.
De l’autre, tout, dans ce sacrement nous parle de douceur. Détaillons ce que nous avons beaucoup moins l’habitude de contempler.
La « matière ». D’abord, le corps et le sang de Jésus sont signifiés non point par une victime animale, mais par deux produits végétaux, le pain et le vin – le monde végétal ignorant la souffrance qui suppose un système nerveux. De plus, corps et sang sont représentés séparément, donc après la mort, donc après l’immolation.
Les paroles. Celui que nous adorons n’est pas seulement Jésus présent, mais Jésus dont le corps est « livré pour vous » et le sang « versé pour vous ». Or, le don de soi est l’acte suprême de l’amour (cf. Jn 15,13). Donc, l’Eucharistie nous donne à contempler d’abord et avant tout l’amour « jusqu’à l’extrême » (Jn 13,1).
Le ministre du sacrement. Du fait de ce que nous avons dit sur la matière, il n’est pas présenté comme un sacrificateur en train d’égorger un bœuf ou une colombe, comme le faisaient les prêtres de l’Ancienne Alliance. Mais il redit à la première personne (ce qui est très impressionnant pour le prêtre !) les paroles d’amour extrême de Jésus : « Ceci est mon corps livré pour vous ».
Le but. Celui-ci n’est pas l’assimilation du cœur ou du sang de la victime, comme une sorte d’incorporation de sa force, mais communion à la puissance qui rime avec patience de celui qui est « doux et humble de cœur » (Mt 11,29).
Ainsi, l’acte de la violence la plus totale est représenté par le signe de la douceur la plus radicale. Alors que le sacrifice est une constante dans les différentes religions, la messe présente ceci d’unique et d’absolument caractéristique du christianisme : une douceur, qui est aussi éloignée de la violence que de la mollesse.
Comment desserrer ce paradoxe inouï ? L’Eucharistie n’est pas qu’un signe ou une présence. Elle est un processus, c’est-à-dire un passage, et donc une transformation, elle aussi la plus profonde qui soit : de la violence des bourreaux dans l’amour pardonnant de la Victime ; de la mort dans la vie éternelle du Ressuscité. « Qui mange ma chair vivra par moi » (Jn 6,57). Et si, ce dimanche, en communiant, je suppliais Jésus, ma Vie, de métamorphoser mes violences en pardon, mes paroles mortifères en bénédictions ?
Pascal Ide