Ter. 1. L’étranger. 2. Le guide. 3. Terre. La fin des temps, bande dessinée de science-fiction française, de Rodolphe (scénario), Dubois (dessin et couleurs), Paris, Éd. Daniel Maghen, 3 tomes, 2017, 2021 et 2023.
Histoire
Un homme surgit d’un cimetière dans un désert hostile, inhabité, où personne ne peut vivre. Il est découvert par Pip, un jeune filou, pilleur de tombes, qui le récupère endormi au fond d’une sépulture. Il est nu et muet. Seul signe distinctif : un tatouage figurant une main, qui lui vaudra le surnom de Mandor (« Main d’Or »). Pip l’emmène chez lui, dans la maison qu’il partage avec sa sœur, la jolie Yss. Petit à petit, il apprend à parler et se révèle intelligent car si sa mémoire lui fait toujours défaut, il est incroyablement doué pour réparer toutes les mécaniques fatiguées et remettre en marche les mille et une bricoles que Pip a entassées. Ils vivent à Bas Courtil, bourg primitif accroché à une butte rocheuse, dominée par les imposants édifices où règne une caste de prêtres sévères, qui se récitent une prophétie émanant d’un certain psaume 21 qui parle d’un paradis perdu et d’un monde nouveau…
Cote
* * (moyen)
Public
Adolescents et adultes
Commentaire
Comme les autres Rodolphe, Ter(re) a ses lumières et ses ombres, mais aussi des faiblesses rédhibitoires qui lui sont propres.
- Cette BD partage avec bon nombre d’albums du scénariste de réelles qualités. Le grand amateur de Stevenson (dont L’île au trésor apparaît tome 1, p. 30) a subcréé un univers relativement cohérent et original : « TER » n’est pas l’abrégé de « TERRE », comme pourrait le laisser soupçonner le troisième tome, mais de « JUPITER » et, seconde surprise, ce titre ne renvoie pas à la planète géante, mais à un vaisseau qui a la taille d’un satell, « Le Jupiter ».
La bande dessinée raconte une histoire qui est assez bien enlevée pour accrocher l’attention dès les premières planches (en multipliant les interrogations les plus fondamentales : qui est cet homme dans le cercueil ? comment est-il arrivé et a-t-il pu survivre nu ? pourquoi est-il là ?) et assez bien menée pour la renouveler régulièrement. De plus, elle convoque des personnalités attachantes, certes, en jouant du profil facile de l’amnésie antérograde (type Jason Bourne ou XIII), mais surtout en élaborant des figures complexes se refusant au simplisme manichéen et présageant du côté des présumés « méchants » (en particulier de Beth) de possibles et féconds retournements.
Enfin, lecteurs comme critiques presse ont relevé la grande qualité du dessin, des plans, du coloriage et de la mise en page qui valorise souvent des tonalités, ainsi que des chromatismes complémentaires. Le parcours des dossiers, au terme des premier et deuxième volumes, dit assez le travail en amont des personnages et des décors.
- Sans quitter le terrain générique, nous retrouvons aussi les limites du scénariste de Trent : bien qu’émanant d’un ancien professeur de lettres (Rodolphe a fait une maîtrise de français), le dialogue est de basse qualité (quand est-ce que l’on comprendra que, en abaissant le langage, les familiarités et les banalités abaissent aussi le lectorat ?) ; si l’érotisme est discret, il est inutile et raccoleur ; surtout, Rodolphe cède encore au clérico-bashing et au politiquement très correct, en nous servant une nouvelle fois un Frolo triste, superstitieux, manipulateur, obsessionnel, assoiffé de pouvoir et hypocrite. N’en jetez plus…
- Mais les plus grandes déceptions sont propres à la série.
Elles résident d’abord dans le contenu si peu crédible scientifiquement, alors que le genre est pourtant celui de la science-fiction. Depuis, en micro, ce grille-pain qui sommeille à côté de sandwichs prédécoupés jusque, en macro et surtout, ce vaisseau-monde qui aurait la taille d’une planète capable de piéger une atmosphère respirable, alors qu’il n’est même pas sphérique (ce qui contredit les lois de la mécanique céleste).
Elles concernent aussi l’histoire. Déjà, pourquoi révéler si vite la solution du mystère si bien préparé et développé pendant le volume, lors la dernière image du premier volume, de sorte que la nouveauté du deuxième se réduit à une explicitation sans grand effet de surprise ? Surtout, si les deux premiers tomes pèchent par excès de continuité, au point d’annuler l’originalité du deuxième, inversement, le troisième tome faute par excès de rupture en racontant une histoire trop différente.
Les trois étoiles que, peut-être, notamment au nom du graphisme et aux trouvailles scénaristiques, les deux premiers tomes auraient pu mériter s’affaissent assurément à deux à cause du troisième qui, jusque dans son titre, inaugure plus une nouvelle saga qu’elle ne conclut l’ancienne.
Pascal Ide