5) Quelques énigmes à plusieurs
Certaines énigmes ouvrant l’esprit peuvent être découvertes à plusieurs. Outre les avantages communs aux jeux en commun (rassembler, piquer des fous rires, rassembler des tranches d’âge ou d’intérêt habituellemente disjointes, se forger des bons souvenirs ensemble, mieux se connaître, etc.), ceux-ci présentent des intérêts particuliers vis-à-vis de la guérison : stimuler en s’aidant des débuts de résultats surtout si l’animateur sait valoriser les réponses partielles, prévenir les découragements, s’épauler et s’encourager, etc. Un dernier bienfait et non des moindres que nous ne comprendrons que plus loin est de développer l’intelligence collective, qui est l’un des moyens principaux de guérison de nos cécités. En effet, certains se mettent spontanément en position de compétition : qui sera le premier à trouver ? D’autres, en revanche, se situent en coopération : comment trouver ensemble ? Y a-t-il besoin de préciser laquelle des deux attitudes est la plus féconde pour trouver rapidement la solution et laquelle suscite le plus de bénéfices pour le groupe ?
En voici deux exemples. J’ajoute aussitôt que l’exposé qui va suivre présente l’inconvénient obligatoire de dévoiler la réponse. En effet, pour pouvoir être joué à plusieurs, il est nécessaire qu’il y ait un ou plusieurs maîtres du jeu qui connaissent l’astuce afin que les autres, par définition ignorants, puissent jouer. Toutefois, je vais vous les présenter en deux temps, afin que vous puissiez vous arrêter au premier moment si vous souhaitez qu’une autre personne soit le maître de jeu.
Dans les deux cas, un groupe de personnes se retrouve en cercle ou autour d’une table, par exemple, lors d’un repas, afin que tout le monde s’entende.
La première énigme met en scène deux personnes, A et B, face au reste du groupe.
Une des deux personnes, par exemple A, annonce qu’elle est capable de deviner aux réponses de la personne B une information qu’elle ignore. Le but de l’énigme est de trouver quelle est la procédure qui lui permet de trouver cette information.
Voici comment le jeu procède. La personne A sort ou bien ferme les yeux et les oreilles pendant que les autres participants se mettent d’accord (en présence de B, mais indépendamment de son avis) pour un objet appartenant à l’environnement, par exemple, la salière. La personne B interroge alors A de la manière la plus sobre possible : « S’agit-il de cette serviette ? – Non. – Du bouquet de fleurs ? – Non. – De cette robe ? – Non. – De la salière ? – Oui ! ». En fonction de cette réponse et d’autres (il est impossible, sauf par chance, de trouver du premier coup), le groupe devra trouver le moyen mis en place par A et B pour communiquer.
Réponse : en l’occurrence, les personnes A et B se sont mise d’accord au préalable pour que la réponse qui suivra la réponse désignant un objet comportant la couleur de l’objet soit la bonne. Ici, la salière est blanche. Or, la robe qui a été montrée par B est blanche.
Une seconde énigme met en scène seulement une personne qui est l’animateur.
Le but de l’énigme est de dessiner une belle lune avec un instrument, comme une fourchette, un stylo, un crayon, bref, tout objet qui ressemble vaguement à un pinceau. Ou plutôt de savoir pourquoi certaines lunes sont belles et d’autres non.
L’animateur commence en demandant à un participant de lui passer l’instrument comme la fourchette ou le stylo. Puis, il dessine la lune devant lui dans le vide avec l’instrument. Il le passe alors à un autre participant pour qu’il dessine à son tour la lune. Et le groupe constate que, dans l’immense majorité des cas, l’animateur répond, gentiment, mais fermement : « Non, elle n’est pas belle votre lune ! » Même lorsque le participant s’est particulièrement appliqué. Néanmoins, il arrive, rarement, très rarement, que l’animateur félicite l’une des personnes du groupe pour son dessin en disant : « Elle est belle votre lune ! » Pourquoi certains participants méritent le compliment et d’autres non ?
Solution : en fait, lorsque la personne, au tout début, passe l’instrument, l’animateur a remercié le donateur… Il faut fréquemment du temps avant que l’un des participants ne découvre la différence entre les deux lunes et ne comprenne qu’il ne s’agit pas d’un concours de dessin mais bien d’un test de gratitude ! S’il y a une pédagogie cachée à lier la beauté à la gratitude (faire le bien rend beau), la finalité de l’exercice est toutefois ailleurs : ouvrir l’intelligence à plus de vérité et donc la guérir…
6) Conclusion
L’on sait aujourd’hui que les pathologies neurodégénératives sont favorisées par la passivité de l’intelligence qui ne stimule plus assez le cerveau. C’est pour cela que la télévision nous lobotomise et que les écrans fabriquent de la crétinerie digitale. Ainsi, résoudre les énigmes, s’exercer à ouvrir son esprit présente un bénéfice d’importance : prévenir ces maladies nouvelles, de plus en plus fréquentes, que sont les démences, qui seront peut-être les principales affections de ce nouveau siècle.
Nous ajoutons une motivation supplémentaire : résoudre des énigmes en sortant de nos cadres habituels, ouvre l’intelligence et la guérit.
« Mehr Licht ! : Plus de lumière ! », a dit Goethe avant de mourir. Si le sens était assurément littéral (« Dégagez la fenêtre »), il n’est pas interdit de lui accorder un sens allégorique, d’ordre métaphysique ou spirituel. D’autant que la mort est le moment où, plus dépouillé, l’esprit est plus à même de se dégager de ses cécités habituelles. Guérir, c’est aller vers plus de lumière et se préparer à voir Celui qui est Lumière (cf. 1 Jn 1,5).
Solutions des énigmes en solitaire
- La réponse à la première question est affirmative. La réponse à la seconde s’obtient par une expérience de pensée. Imaginons que nous ayons non pas un, mais deux marcheurs, l’un partant d’en bas et l’autre d’en haut. Puisqu’ils emprutent le même chemin, ils ne pourront pas ne pas se croiser ! Si l’intelligence peine à trouver, c’est parce qu’elle se laisse polariser par les différences de tempo entre montée et descente, puis par les questions d’un horaire de rencontre, peinant à trouver une équation ou son équivalent qui puisse le calculer.
- Il suffit de placer Sœur Bernadette et Sœur Angélique dos à dos ! La réponse aurait été la même si elles avaient demandé d’être derrière l’autre. Quoi qu’il en soit, nous nous trouvons encore devant un élargissement du champ des possibles. En effet, nous ne trouvons pas la solution tant que nous demeurons dans la posture binaire des sièges en face à face, type train traditionnel, ou des sièges en série, type train Corail (qui a lancé la mode TGV).
- Le troubadour traverse en jonglant… L’attention s’est laissée happer par les objets au lieu de s’ouvrir à autre chose, de moins palpable, l’acte, ici la jonglerie.
- Il suffit à l’enfant d’apporter de l’eau (la solution parle d’une origine plus naturelle…) et remplir le trou. En osier, la balle qui est plus légère que l’eau, s’élèvera. Oui, les objets étaient uniquement indiqués pour détourner l’attention…
- Tant que vous cherchez à éteindre ou allumer les lampes, il vous manque une information. Il faut donc impérativement en injecter une autre. Il n’y a qu’un seul moyen : en plus de la lumière, la lampe dégage de la chaleur. Il suffit donc à la personne qui est dans la cave d’allumer un peu longuement l’une des trois lampes, puis de l’éteindre, alors qu’elle a allumé une lampe et éteint l’autre, pour différencier les trois interrupteurs. Il fallait donc élargir l’attention de l’intelligence vers un objet autre que l’alternative lumière-obscurité.
- Une seule fois ! Une fois le premier 6 soustrait de 36, vous le soustrayez d’un autre nombre, 30, etc. Bien évidemment, l’énergie se focalise sur le nombre de soustractions, oubliant de prêter attention à l’une des données, le chiffre 36.
- Vous avez déjà rencontré un canard qui pond des œufs ? Une nouvelle fois, l’erreur vient de ce que l’esprit se polarise sur la question, en oubliant de s’interroger sur le caractère sensé de toutes les données.
Pascal Ide