De plus en plus de personnes vivent et disent vivre aujourd’hui une expérience de mort imminente. Mais l’on ignore encore que nombreuses (peut-être un dixième d’entre elles) sont des expériences dramatiques. C’est ce qui est arrivé à Gloria Polo, une dentiste colombienne, dont on trouve le témoignage aisément sur Internet.
En mai 1995, elle se retrouve avec son neveu à Bogota, prise dans un violent orage. Pour s’en protéger, elle s’abrite imprudemment sous un arbre. Malheureusement, la foudre tombe. Son neveu meurt sur le coup et elle se trouve horriblement calcinée. Avant de ressortir par le pied, la foudre la traverse, brûlant presque entièrement son estomac, son foie, ses reins, ses poumons et ses ovaires, puisqu’elle porte un stérilet intra-utérin en cuivre, métal qui est excellent conducteur d’électricité. Enfin, elle cause un arrêt cardiaque.
Comme beaucoup de personnes vivant une Near death experience, Gloria se retrouve dans un très beau tunnel de lumière blanche et ressent une joie immense. Au bout du tunnel, elle contemple comme un soleil d’où émane une lumière extraordinaire. En même temps, lui est donné de voir sa vie, telle qu’elle a été réellement. Et elle ressent un choc. Elle réalise que, chaque jour, elle quitte sa maison pour transformer le monde, mais qu’elle n’a même pas été capable de s’occuper de ses enfants. Ce n’est que le début d’une prise de conscience beaucoup plus large. Ses chairs meurtries et brûlées lui font mal. Or, explique-t-elle, « j’étais une étudiante esclave de son corps, de la beauté et de la mode. Je faisais de la gymnastique quatre heures par jour, pour avoir un corps svelte. L’amour de mon corps avait été le centre de mon existence. Or, maintenant, je n’avais plus de corps, plus de poitrine, rien que d’horribles trous ». Autre prise de conscience : « Ma relation avec le Seigneur ne tenait qu’à l’Eucharistie du dimanche, pas plus de 25 minutes, là où l’homélie du prêtre était la plus brève, car je ne pouvais supporter davantage ». De plus, elle croyait à la réincarnation. Et comme elle avait entendu un prêtre affirmer que l’enfer, comme les démons, n’existait pas, elle a cessé de croire à leur existence.
Alors, il se passe quelque chose de terrible : Gloria se voit en train de tomber dans un trou sans qu’elle parvienne à en remonter, un gouffre gigantesque, un abîme sans fond où elle ressent des présences terrifiantes et, pire encore, l’absence absolue de l’amour de Dieu et de tout espoir. Elle se met alors à prier : « Qui a pu commettre une erreur pareille ? Je suis presque une sainte : je n’ai jamais volé, je n’ai jamais tué, j’ai donné de la nourriture aux pauvres, j’ai pratiqué des soins dentaires gratuits à des nécessiteux. Je n’ai pas manqué la messe du dimanche plus de cinq fois dans ma vie ! Je suis catholique, sortez-moi d’ici ! »
Ce faisant, elle aperçoit une faible lueur. Et une voix douce se fait entendre, faisant fuir toutes les sombres créatures qui l’entourent : « Très bien, puisque tu es catholique, dis-moi quels sont les commandements de Dieu ».
Et voilà enfin le lien avec les textes du jour ! Précisément la première lecture où Dieu dicte à Moïse les Dix paroles, ce que nous appellons les dix commandements.
Gloria Polo savait qu’il y avait dix commandements, mais elle n’en connaissait pas le détail. Alors, la voix passe en revue le Décalogue. « Ce fut un examen de ma vie à partir des dix commandements ». Et elle se rend compte que, contrairement à sa conviction intime, elle les transgresse tous !
Mais j’aime Dieu et je vais à la messe, objecte-t-elle. Il lui est répondu : « Non. Tu t’es créée un dieu que tu ajustais à ta vie et tu t’en servais seulement en cas de besoin désespéré. Tu le pries pour qu’il t’accorde le diplôme qui te permette de devenir quelqu’un. Quand tu as besoin d’argent, tu récites le chapelet. Mais tu ne le remercies jamais ».
Vis-à-vis du prochain, sa relation est aussi intéressée qu’ingrate. « Par exemple, j’achetais des provisions pour les nécessiteux ; ce n’était pas par amour, mais plutôt pour paraître généreuse ». De même, « je critique tout le monde, je pointe mon doigt sur chacun, moi la très sainte Gloria ! ». Pour le cinquième commandement, nous avons entendu qu’elle portait un dispositif intra-utérin, donc un abortif. Pour le sixième, elle se rend compte que, si son mari fut le seul homme de sa vie, elle porte des tenues provocantes qui poussent les hommes à l’impureté. Etc.
« Ce témoignage, commente Gloria, n’est pas une menace. C’est une chance qui se présente à vous ».
Aujourd’hui, nous est donné de réentendre ces dix Paroles qui sont « dix Paroles » (Ex 34,28 ; Dt 4,13 ; 10,4) de vie. Les exégètes les mettent d’ailleurs en relation avec la création : « Le monde a été créé par dix paroles », observait déjà la tradition juive ancienne (Pirqe Avot, 5,1), et l’expression « Et Dieu dit » apparaît à dix reprises en Genèse 1 (v. 3.6.9.11.14.20.24.26.28.29).
Ces dix commandements couvrent l’entièreté de notre vie chrétienne. La troisième partie du Catéchisme de l’Église catholique concerne l’agir du chrétien. Elle se divise en deux sections : la morale générale et la morale particulière ou détaillée. Les rédacteurs de la seconde section se divisèrent : fallait-il répartir toute la matière morale à partir des sept vertus (les trois théologales et les quatre cardinales) ou à partir des dix commandements ? Saint Jean-Paul II trancha dans le sens traditionnel en choisissant la deuxième option, la plus pédagogique et la plus universelle : « le Décalogue énonce les principes de la vie morale valables pour tous les hommes » (2033).
En effet, observe finement saint Thomas d’Aquin, dont nous fêtons aujourd’hui l’anniversaire du décès, le Décalogue se répartit en deux, comme les deux tables sur lesquelles il fut gravé : la première partie concerne notre relation à Dieu, la second partie notre relation à autrui (et donc à nous-même : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même »). La première traite successivement, et selon une gravité décroissante, des péchés contre Dieu en pensée (« Tu adoreras Dieu seul »), en parole (« Tu respecteras le nom du Seigneur ») et en action (« Tu sanctifieras le shabbat »). La seconde, après avoir prescrit l’honneur dû aux parents (quatrième commandement, le seul énoncé positivement), expose six interdits qui suivent la même distribution, quoique de manière inversée : en action, en parole et en pensée. En action, toujours selon l’ordre de gravité décroissante : porter atteinte à la vie (« Tu ne tueras pas »), au lien (« Tu ne seras pas adultère ») et aux biens d’autrui (« Tu ne voleras pas »). En parole (« Tu ne porteras pas de faux témoignage » ; « Tu ne mentiras pas »). En pensée (« Tu ne convoiteras pas »).
Une personne me racontait que, pour préparer sa confession, elle avait pris le temps de lire en détail toute cette seconde section de la troisième partie du Catéchisme. Elle s’était alors rendu compte que, à propos du troisième commandement (« Tu sanctifieras le jour du Seigneur »), ne pas aller à la messe le dimanche était un péché grave et non pas une transgression vénielle comme elle le pensait. De fait, le Catéchisme observe que, pour « préparer la réception de ce sacrement par un examen de conscience », les « textes les plus adaptés à cet effet sont à chercher dans le Décalogue et dans la catéchèse morale des Évangiles » comme le « Sermon sur la montagne » (1454).
Le témoignage de Gloria Polo ne s’arrête pas à l’énumération et à la transgression des dix commandements. Le plus beau reste à venir.
Avec une honte immense, elle se met à sangloter : « Seigneur Jésus, ayez pitié de moi ! Pardonnez-moi, donnez-moi une seconde chance ! ». Jésus vient alors, la tire du puits et lui dit avec tout son amour : « Tu vas retourner sur terre, je te donne une seconde chance ». Elle voit alors beaucoup de petites lumières s’allumer, telles des petites flammes d’amour. Surtout, elle aperçoit une flamme beaucoup plus grande. Mais elle ne sait pas d’où elle provient. Alors Jésus lui explique : « Celui qui t’aime tant, ne te connaît même pas ». Une paysan pauvre du nord-est de la Colombie était allé en ville acheter du sucre de canne. Or, le marchand l’avait emballé dans du papier journal où se trouvait la photo de Gloria toute brûlée. Lorsqu’il la vit ainsi, sans même terminer l’article, il tomba à genoux et se mit à sangloter avec un profond amour en suppliant : « Seigneur Dieu, ayez pitié de ma petite sœur. Si vous la sauvez, je vous promets que j’irai en pèlerinage au Sanctuaire de Buga », au sud-ouest de la Colombie. Jésus conclut : « C’est cela aimer son prochain. Maintenant, donne ton témoignage non pas mille fois, mais mille fois mille fois, et malheur à ceux qui ne changeront pas après l’avoir entendu ».
Je terminerai en rappelant l’intention du pape François pour ce mois de mars : « Prions pour que nous vivons le sacrement de réconciliation avec une profondeur renouvelée, afin de goûter l’infinie miséricorde de Dieu ».
Pascal Ide