Printemps silencieux

François Euvé situe, symboliquement, la prise de conscience de l’impact négatif de l’homme sur la nature avec la parution de l’ouvrage de la biologiste américaine Rachel L. Carson, Silent spring, en 1962 (et traduit l’année suivante en français). Jusque maintenant, dans nos villages, « toute créature semblait vivre en parfaite harmonie avec l’ensemble de la nature [1] ». Mais, un changement vient de se produire, brutalement :

 

« Quelque chose s’est glissé parmi nous, qui a fait taire les oiseaux et nous a privés de la couleur, de la beauté, de la vie que les petites ailes légères donnaient à notre monde. Cela s’est fait si discrètement que, dans les bourgs voisins encore épargnés, personne ne s’en est aperçu [2] ».

 

Qui ne l’a noté ? Depuis des décennies, nos campagnes sont devenues silencieuses. Plus pragmatiques, les conducteurs ont observé que, notamment lorsqu’ils conduisent sur autoroute, leurs parebrises sont devenus étonnamment propres. Alors que, naguère, il fallait régulièrement les débarrasser des multiples insectes qui venaient s’y écraser et les maculer, aujourd’hui, nous pouvons rouler sur des centaines de kilomètres sans faire appel à l’essuie-glace.

Je soulignerai trois points. Tout d’abord, l’ouvrage de Rachel Carson eut un impact considérable. Accusant notamment les ravages des insecticides dans l’agriculture industrielle et argumentant avec rigueur, il provoqua l’interdiction du DDT dix ans plus tard. Ensuite, si le livre est militant, il est d’abord l’œuvre d’une femme et donc l’expression d’une véritable compassion à l’égard de notre Terre et de notre humanité. Enfin, il souligne une perte non pas vitale, mais par surcroît : par le silence des oiseaux (et des insectes), nous sommes « privés » de « la beauté » de leur chant. Ainsi, une nouvelle fois, c’est par le beau que nous sommes conduits au bien.

Pascal Ide

[1] Rachel L. Carson, Printemps silencieux, trad. Jean-François Gravrand, Paris, Plon, 1963, p. 23.

[2] Ibid., p. 111.

22.3.2022
 

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