« Non ! Rien de rien / Non ! Je ne regrette rien / Ni le bien qu’on m’a fait / Ni le mal tout ça m’est bien égal ! » Qui n’entend le vibrato grave et émouvant d’Édith Piaf ?
De prime abord, les paroles de Michel Vaucair semblent victimes de l’illusion romantique dénoncée par la vie autant que par la psychanalyse : le déni (de la souffrance du passé comme des joies d’antan) ne peut qu’entraîner un clivage et, tôt ou tard, un retour du refoulé. N’y a-t-il pas de la toute-puissance à affirmer : « Je repars à zéro » ? En effet, l’anéantissement est symétrique du pouvoir divin de créer ex nihilo. Une perspective spirituelle ajoutera que la seule recréation authentique réside dans le pardon qu’offusque, justement, sa forme a minima qu’est le regret (« Non ! Je ne regrette rien »).
Et si, pourtant, se balbutiait ici une vérité de l’amour ? À savoir qu’il existe un commencement absolu, comme une création. Et cela, parce qu’il est un écho de l’amour créateur. Mais le doute nous reprend : n’y a-t-il pas quelque prométhéisme mégalomaniaque à se croire capable de repartir de « rien » et d’inaugurer le tout ? Cette indépendance n’est-elle pas le péché luciférien par excellence ? Oui, si je suis seul à me poser dans l’être. Non, si je me conjugue à un « tu » afin de construire un nouveau « nous ». N’est-ce pas ce qu’annonce la finale ? « Non ! Rien de rien / Non ! Je ne regrette rien / Car ma vie, car mes joies / Aujourd’hui, ça commence avec toi ! »
L’été 2010, un blockbuster inspiré de Christopher Nolan a fait redécouvrir cette chanson demi-séculaire au jeune public français, autant qu’au reste de la planète. Or, justement, Inception parle d’un amour qui redémarre à neuf en consentant à faire table rase du passé : celui d’un fils (Fisher) qui se croyait rejeté par son père et qui, au contraire, lui demande de ne pas suivre ses traces et de vivre une autre vie que la sienne ; celui d’un père (Cobb) qui inaugure une nouvelle vie avec ses enfants, après le suicide de leur mère.
(refrain)
« Non ! Rien de rien
Non ! Je ne regrette rien
Ni le bien qu’on m’a fait
Ni le mal tout ça m’est bien égal !
Non ! Rien de rien
Non ! Je ne regrette rien
C’est payé, balayé, oublié
Je me fous du passé !
Avec mes souvenirs
J’ai allumé le feu
Mes chagrins, mes plaisirs
Je n’ai plus besoin d’eux !
Balayées les amours
Et tous leurs trémolos
Balayés pour toujours
Je repars à zéro
(refrain)
Non ! Rien de rien
Non ! Je ne regrette rien
Car ma vie, car mes joies
Aujourd’hui, ça commence avec toi ! »
Pascal Ide