Méditations de début de Carême

Publiées dans Magnificat, Coll. « Le compagnon de Carême » Hors-série n° 27, 2012, p. 5-8.

Mercredi des Cendres

« Si vous voulez vivre comme des justes » (Mt 6,1).

« En toutes choses, il faut considérer la fin ». La sagesse de La Fontaine n’est pas loin de l’Evangile. Sans le but, cet Orient, nous sommes dés-orientés, voire nous courrons au dés-astre. Et la fin dicte les moyens : je ne remplirai pas ma valise avec les mêmes objets si je pars sur le bassin d’Arcachon ou à Chamonix.

Pour s’embarquer pour le long voyage du Carême, prenons le temps de viser le but. Quel but, au fait ? « Vivre comme des justes ». Être juste, être ajusté à Dieu. Accomplir sa volonté. Et d’abord aimer comme Dieu aime. Sans chercher de retour. D’où un premier conseil, très précieux : ne pas viser la gloire et le regard des hommes. Le secret du don est le don secret. Aujourd’hui et chaque jour jusqu’à Pâques, poser un acte de don que seul (même pas mon conjoint, même pas mon confesseur) le Père connaîtra.

Mais le don, que c’est vaste ! D’où un second conseil de Jésus, très précis : donner à Dieu (prier), aux autres (faire l’aumône), à soi-même (jeûner). Aujourd’hui, décider des signes et actes concrets qui jalonneront ce chemin de Carême. Et ainsi devenir juste.

Jeudi après les Cendres

« Qui perdra sa vie pour moi la sauvera » (Lc 9,24)

En conjuguant ces deux paroles de Jésus, sur lui et sur nous, l’évangéliste fait entrer dans une dynamique féconde. Il invite d’abord à contempler Jésus « souffrir beaucoup », cette douleur se prolongeant dans la souffrance intérieure du rejet et le mal irréversible de la mort. Nous avons tant été accusés d’être victimaires que nous regimbons à nous agenouiller, comme saint Dominique peint par Fra Angelico, au pied du Crucifié. Pourtant, qu’elle est nécessaire cette science de la Croix !

Alors seulement, l’autre parole, peut-être encore plus difficile, devient audible : renoncer à soi, c’est-à-dire non pas à son je, mais à ses plis vicieux si habituels qu’ils peinent à être conscientisés, voire dont nous désespérons de nous débarrasser. Et renoncer « chaque jour », car le Carême est un entraînement. Une expression est essentielle : « pour moi ». Jésus a beaucoup souffert « pour moi » (Ga 2,20). Le Christ, répète Benoît XVI, est « l’être-pour ». Aujourd’hui, à quelle zone de ce faux-moi jalousement protégée renoncerai-je ? À Jésus qui m’aime jusqu’à l’extrême (cf. Jn 13,1) de la Croix, que répondrai-je par amour ?

Vendredi après les Cendres

« Les invités de la noce pourraient-ils faire pénitence quand l’Époux est avec eux ? » (Mt 9,15)

Le jeûne, acte essentiel du Carême, peut d’abord être contourné en étant détourné : jeûner de télévision, d’ordinateur, etc., et non pas de nourriture, ce qu’il est au sens propre. C’est refuser un acte incarné dont Jésus lui-même donne l’exemple.

Il peut ensuite être réduit à un acte ascétique de la vertu de tempérance. Il l’est. Mais il est beaucoup plus. Jésus en révèle le sens mystique en le reliant à sa présence. Se nourrir (ce qui est beaucoup plus que consommer) est un acte spirituel : pour celui qui voit dans l’aliment le premier don (en notre histoire, en celle de l’humanité : cf. Gn 2-3) et dans le don le Donateur. Le jeûne comme privation consentie et ressentie permet alors de prendre conscience que tout repas est un repas de noces où l’Époux s’invite. La grande souffrance de celui qui aime est d’être séparé de l’aimé ; or, si Dieu est toujours en notre présence, nous nous absentons de la sienne par notre péché. La frustration du jeûne exprime donc quelque chose de cette séparation. Offert par amour, il participe à la souffrance rédemptrice de l’Époux, pour nos péchés et ceux de nos frères.

Samedi après les Cendres

« Suis-moi ! » (Lc 5,27)

Après le renoncement à son péché et le jeûne, voici une autre composante fondamentale du Carême : la suite du Christ. Aujourd’hui, Jésus nous appelle, comme Matthieu : « Suis-moi ». Que de bonnes raisons pour ajourner notre réponse ! Je n’en suis pas digne ! Stratagème de la fausse humilité, cent fois utilisé par les prophètes, cent fois déjoué par Dieu.

Je ne suis pas capable ! Ce que Jésus exprime, son Esprit l’imprime en nous. Beaucoup de contemporains qui sont venus admirer L’appel de saint Matthieu du Caravage avaient déjà contemplé la création d’Adam peint par un autre Michel-Ange : comment manquer le même geste souverain de la main ? La toute-puissance qui nous a créee est aussi à l’œuvre dans la faiblesse de celui qui nous appelle.

Le Christ attend notre oui inconditionnel. Sans lui, il ne peut rien faire. Avec lui, il peut entrer chez nous (cf. Ap 3,20). Chaque jour, à la suite du « Fiat » de Marie (cf. Lc 1,38), redire mon « oui » sans condition et sans retour.

Pascal Ide

 

10.3.2019
 

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