En offrant l’or, l’encens et la myrrhe, les Mages offrent des présents qui possèdent une haute valeur symbolique. Ils nous révèlent les trois fonctions du Christ et les trois missions du chrétien.
- Ces dons ne sont pas de grande utilité pour la Sainte Famille. En revanche, ils possèdent une signification spirituelle, au même titre que le geste d’agenouillement. La proskynésis montre que les Mages reconnaissent en lui être de dignité royale, voire divine (cf. Is 60,6). Et, « dans les trois dons, la tradition de l’Église a vu représentés – avec quelques variantes – trois aspects du mystère du Christ : l’or renverrait à la royauté du Christ, l’encens au Fils de Dieu et la myrrhe au mystère de sa Passion [1]». De fait, après la mort de Jésus, Nicodème apporte la myrrhe pour oindre son corps (cf. Jn 19,39). Autrement dit, Jésus est honoré comme prêtre, prophète et roi.
Jésus est prêtre et Grand-prêtre, ainsi que le montre l’épître aux Hébreux, parce que, vrai Dieu et vrai homme, il est « seul médiateur entre Dieu et les hommes » (1 Tm 2,5), notre médiateur, celui qui intercède pour nous et nous sauve, c’est-à-dire donne sa vie, la vie éternelle. Et il continue à nous enfanter par les sacrements et par sa Parole.
Jésus est prophète et le prophète par excellence, parce qu’il accomplit toutes les prophéties et surtout parce qu’il nous révèle qui est le Père : « Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, lui qui est Dieu, lui qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître » (Jn 1,18). Si Jésus n’était pas venu, nous ne saurions tout bonnement pas que Dieu est « Père riche en miséricorde » (cf. Ép 2,4).
Jésus est roi, ainsi que nous l’avons fêté il y a six semaines lors de la solennité du Christ-Roi. Il est roi, quoique différemment des souverains terrestres : « Ma royauté n’est pas de ce monde » (Jn 18,36). Surtout, il est notre roi parce qu’il est notre pasteur, celui qui désire nous conduire vers le seul bonheur, la communion aimante avec Dieu et nos frères. Si nous acceptons de lui passer le volant.
- Ces vérités opportunément rappelées par le dernier concile, nous semblent peut-être lointaines ou abstraites, voire du « jus de curé », comme disait plaisamment Madeleine Delbrêl. Pourtant, elles s’enracinent dans une réalité à la fois profonde et proche. Dire que Jésus est prêtre, prophète et roi, c’est dire autrement que Dieu se donne à nous et que triple est cette communication : il nous donne la vie, la lumière et la direction. Or, il s’agit de vérités plus proches que nous ne savons.
Que donnent les parents à leurs enfants ? Au fond, trois choses et trois choses seulement. Bien évidemment, ils leur offrent d’abord la vie – ce qui n’est plus une évidence dans un monde où l’espérance vacille. Et, lorsqu’ils sont chrétiens, ils leur donnent en outre, le plus beau des dons, la vie surnaturelle, grâce au baptême. Ensuite, les parents transmettent aux enfants la lumière, c’est-à-dire tout un savoir ; ils les enseignent et ainsi éclairent leur intelligence : par leurs paroles et, souvent à leur insu, par leurs exemples. D’ailleurs, il n’y a pas plus contre-productif que de dire une chose et de faire le contraire. Enfin, les parents ne se contentent pas d’instruire leurs enfants, ils sont appelés aussi à les éduquer. L’instruction offre le savoir et le savoir-faire ; l’éducation va jusqu’au savoir-être. Autrement dit, les parents apprennent aussi aux enfants les vertus fondamentales comme la générosité, la gratitude, l’honnêteté, le courage, la persévérance, la patience. Et là encore, par les actes plus encore que par les mots. Or, à l’instruction qui donne la lumière, l’éducation ajoute la direction, c’est-à-dire le sens : « Élever un enfant – disait César dans la trilogie de Pagnol –, c’est l’élever ! ». Et, joignant le geste à la parole, il hissait l’enfant dans ses bras.
Cette triple communication est une vérité tellement universelle qu’on la retrouve même dans la nature. Prenons l’une des toutes premières communications : celle du Soleil vis-à-vis de la Terre. Il y a un peu plus de quatre milliards et demi d’années, notre étoile a éjecté d’elle un matériau en feu qui, en s’agglutinant, puis en se refroidissant, est devenu notre planète. Donc il l’a fait exister. Ensuite, depuis l’origine, il ne cesse, inlassablement, de rayonner, lui apportant la lumière et, avec elle, la chaleur. Enfin, on l’oublie souvent, il lui apporte une direction, une orientation : au lieu de s’éloigner en ligne droite dans le vide intersidéral et glacial, la Terre attirée par le Soleil tourne autour de lui et, bénéficiant de ses dons, porte la vie, l’esprit et bientôt le Fils de Dieu lui-même.
Ainsi, tous les êtres, chacun selon son degré (ce que la théologie appelle analogiquement), les êtres qui, au lieu de se replier sur eux-mêmes, consentent à donner, sont prêtres, prophètes et rois.
- Combien plus tous les baptisés qui ont été revêtus de la triple dignité sacerdotale, prophétique et royale, sont-ils appelés à en vivre ! Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
Être prêtre, disions-nous, c’est être médiateur. Loin d’être réservé aux seuls ministres ordonnés, le sacerdoce est commun à tous les baptisés. C’est ce qu’affirment les Saintes Écritures : « Mais vous, vous êtes une descendance choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte » (1 P 2,9). Nous exerçons notre fonction de prêtres quand nous prions, intercédons pour nous, nos proches, le monde qui en a tant besoin.
Être prophète, c’est annoncer le Christ. Par notre vie et notre parole. « Annoncer l’Évangile, ce n’est pas là pour moi un motif de fierté, c’est une nécessité qui s’impose à moi. Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! » (1 Co 9,16). Et quand saint Paul dit « je », il le fait au nom de tous les chrétiens.
Être roi, c’est gouverner et gouverner, c’est servir. Quelle place ont les plus pauvres et les plus isolés dans nos vies ? Je déjeunais cette semaine avec le responsable diocésain de la solidarité. Il me disait que, pour un certain nombre de chrétiens, la solidarité demeure encore un service spécialisé réservé à quelques experts qui font des maraudes, servent la soupe, parlent avec les SDF. Nous n’en n’avons pas encore pris conscience.
De même que le rôle des parents serait tronqué s’ils se contentaient par exemple d’envoyer leur enfant à l’école, de même notre être chrétien ne vit pleinement, ne rayonne que si nous exerçons ces trois fonctions ou missions. Et n’allons pas nous satisfaire d’une seule des trois. Imaginez-vous être assis sur un tabouret à un pied ? Que serait un corps qui n’aurait qu’une tête, qu’un tronc ou que des membres ? Et l’image est parlante : le tronc qui contient le cœur est ce qui nous fait vivre ; la tête qui contient le cerveau et les yeux nous éclaire ; enfin, les jambes nous font marcher et les bras agir.
En ce début d’année, un audit interne s’impose ! Sur combien de pieds avançons-nous ? Tels les Mages, quel or, quel encens, quelle myrrhe offrons-nous à Dieu et à nos frères ?
Pascal Ide
[1] Joseph Ratzinger Benoît XVI, L’enfance de Jésus, trad. Marie des Anges Cayeux, Jean Landousies, Jean-Marie Speich, Paris, Flammarion, 2012, p. 152.