Avec L’œuvre de chair, Henri Vincenot [1] a écrit sur l’amour conjugal un beau livre, j’oserais dire un roman total : sur la chasteté et ses contraires, sur les combats et la victoire, sur l’homme et sur la femme (sur la Femme, qu’il écrit volontiers avec une majuscule, encore davantage), sur le réel et le nécessaire idéal (pas seulement psychologique, mais aussi féerique), sur l’amour et le désir, sur l’union et la procréation, sur l’amour humain et l’amour cosmique, sur le profane et le sacré, sur l’humain et le divin ; et sur tant d’autres choses encore qui sont un peu plus étrangères à l’amour : le national et le local (ici le breton, sa seconde patrie), la capitale et la province, la France et ses colonies, la guerre et la paix, la tradition et la modernité, la terre et la mer, l’enracinement et l’ailleurs, etc. Et, en passant, il offre en prime une roborative mise au point sur l’avortement (le livre se passe à la veille de la seconde guerre mondiale, mais est écrit en 1984).
Ne lisez surtout pas la 4e de couverture ! Pire que les teasers actuels, elle vous raconte l’ouvrage jusqu’à sa quatrième et dernière partie incluse. Comment les éditeurs peuvent-ils laisser faire une telle monstruosité qui déflore l’âme même d’une intrigue qu’est le suspense ? [2] Passons. Le récit commence comme un roman courtois des temps modernes – Vincenot a d’ailleurs assez de lucidité et d’humour pour identifier son héros à Perceval le Galois –, mais il s’achève de manière inattendue et inédite comme un épithalame. Ce faisant, cet hymne à la nuptialité réussit le tour de force d’honorer l’amour romantique, tout en offusquant son pessimisme : la radicalité extatique et la totalité symbiotique de l’amour y sont vécues au sein du couple et même de la famille, en conjurant le cortège du hors-la-loi, du hors-enfant et du hors-vie.
Concret et même parfois gaillard, ce grand roman d’amour, que, il y a longtemps, je n’avais fait qu’effleurer, n’est jamais impudique ni voyeuriste. Certes, cette vision érotique (au sens le plus étymologique) n’est pas sans appeler quelques réserves : l’amour qui y est célébré ignore encore les crises qu’il devra traverser pour pleinement sortir de sa chrysalide, la différence homme-femme est peut-être un rien stéréotypée, la femme un rien sacralisée, voire idolâtrée, le christianisme un rien paganisé [3]. Mais ne boudons pas notre plaisir, que dis-je ?, notre joie.
Pascal Ide
[1] Henri Vincenot, L’œuvre de chair, Paris, Denoël, 1984.
[2] Et, une fois n’est pas coutume, je m’interdis tout dévoilement de l’histoire.
[3] On le sait, Vincenot est un auteur spirituel. C’est ainsi que, ayant perdu son épouse en quelques heures, il a accepté de préfacer l’ouvrage d’un ami sur le passage de la vie à la mort, y affirmant notamment : « Je bois avec avidité ces pages où notre faiblesse et notre ignorance se transforment simplement en recherche du Divin » (Roger Brain, Au bout du chemin. De la vie à la mort, Paris, Beauchesne, 1984).