L’homme et l’animal. Une différence sans indifférence

Pascal Ide, « L’homme et l’animal. Une différence sans indifférence », Liberté politique, n° 20. Le nouvel âge écologique, juillet-août 2002, p. 73-99.

« Il est dangereux de trop faire voir à l’homme combien il est égal aux bêtes, sans trop lui montrer sa grandeur [1] ».

« Pas de bête qui n’ait un reflet d’infini [2] ».

« C’est à propos du règne animal qu’on peut toujours juger si une philosophie est capable de comprendre, non seulement la matière et l’esprit, mais encore les formes vivantes de transition entre les deux [3] ».

Sur la difficile question des relations entre l’homme et l’animal, deux logiques s’affrontent, convaincues de leur cohérence et plus encore de l’aveuglement de la position adverse. Pour faire court, j’appellerai la première, logique de la hiérarchie et la seconde, logique de l’altérité (celle-ci étant, bien souvent, une logique de l’égalité). Serait-il possible de dépasser cette opposition apparemment irréconciliable ?

1) La logique de la hiérarchie entre l’homme et l’animal

La thèse du discours hiérarchique est simple : il existe entre l’homme et l’animal (et, plus généralement, le reste de l’univers) une différence de nature. Plus encore, cette différence est une hiérarchie : l’homme est supérieur à l’animal (et plus généralement à la nature : le végétal, le minéral, celui-ci englobant le sidéral). Cette différence hiérarchique prend différentes figures : ontologique (l’homme seul est berger de l’être), anthropologique (l’homme seul est doué de langage et de raison ; variante : l’homme seul est inf ormé par une âme immortelle) ; juridique (l’homme seul est sujet de droits et de devoirs) ; scientifique (l’homme seul est doué d’un cortex préfrontal aussi développé) [4] ; théologique (l’homme seul est créé à l’image de Dieu) ; etc.

Cette thèse a aussi adopté diverses formes selon les périodes de l’histoire, antique, chrétienne et moderne. Résumons-les à très grands traits qui forcément ignoreront les différences de traitement de la question, parfois considérables, au sein d’une même p ériode. Chez les Grecs, par exemple chez Aristote qui est le plus fin observateur hellène de la phusis, l’homme s’inscrit dans le cosmos, il est partie intégrante de la nature ; avec l’animal il partage le corps, la vie physiologique, la vie sensitive. Si grand e soit cette continuité écologique et ontologique, l’homme n’en demeure pas moins tra nscendant à la bête par l’esprit (nous) ; et cette rupture cosmique est déchiffrable dans la structure du corps : notamment la station verticale, le pouce opposable et le langage articulé [5].

Les Pères de l’Église et plus tard les docteurs médiévaux sont héritiers de la pensée grecque, dont on vient de voir qu’elle souligne la hiérarchie dans la continuité, mais aussi de la Sainte Écriture, qui installe l’homme au sein du monde créé tout en lui assignant, par la dignité d’image et de ressemblance de Dieu (cf. Gn 1,26), la première place. Il serait toutefois erroné d’imaginer que la Révélation biblique n’introduit aucune nouveauté. D’abord, la Deep ecology l’a suffisamment souligné, il est commandé à l’homme de gouverner la terre (cf. Gn 1,28). Surtout, Dieu, en Jésus, fait de l’amour le principe et le terme de la vie du fidèle. Saint François d’Assise ne l’a pas oublié qui a chanté « frère Soleil » et « sœur l’eau » et a pratiqué ce qu’il a chanté en exerçant une compassion constante à l’égard notamment des animaux [6] ; saint Thomas d’Aquin non plus : « La passion sensible de miséricorde – écrit-il dans la Somme de théologie – naît de la souffrance d’autrui et, comme il arrive aux animaux de souffrir, l’homme peut éprouver ce sentiment même à l’occasion des coups qui affligent les animaux. Or il est vraisemblable que, si l’on éprouve un tel sentiment de pitié à l’égard des animaux, on s’en trouve favorablement disposé à la ressentir envers les hommes ». Voilà pourquoi Dieu appelle l’homme à la miséricorde en lui apprenant à ne pas se livrer à des pratiques cruelles envers les animaux [7]. Autrement dit, la logique de la hiérarchie s’est doublée d’une logique de la responsabilité, et même d’une logique de la communion et de la sympathie sur lesquelles nous reviendrons.

Les modernes retiennent des Grecs la différence hiérarchique, mais leur vision mécaniste de l’univers et leur sens aigu du sujet déchire l’unité du cosmos entre d’un côté la nature et de l’autre la pensée humaine. Ils retiennent de l’Écriture le commandement de gouvernement-domination, mais sans conserver le principe adoucissant de compassion. Le « comme » introduisant la trop fameuse expression « comme maître et possesseur de la nature » de la sixième partie du Discours de la méthode, n’est modeste que parce que Descartes ignore encore les possibilités que les techniques d’exploration et d’exploitation de la nature développeront par la suite. Il ne faudra toutefois pas beaucoup attendre pour déduire de cette séparation de la substance étendue et de la substance pensante des conséquences inacceptables : des expérimentateurs travaillant au séminaire de Port-Royal « battaient des chiens avec une parfaite indifférence et se gaussaient de ceux qui plaignaient ces créatures comme si elles ressentaient la douleur. Ils disaient que les animaux étaient des horloges ; que les cris qu’ils émettaient lorsqu’on les frappait n’étaient que le bruit d’un petit ressort qui avait été touché, mais que le corps dans son ensemble était insensible [8] ». Loin d’avoir disparu, cette indifférence à l’égard de la souffrance animale se nourrit aujourd’hui de la même philosophie dualiste : « Les animaux souffrent, écrit une philosophe actuelle d’inspiration kantienne, et font souffrir sans état d’âme [9] ».

2) La logique de l’altérité

Face à cette logique de la hiérarchie, les réactions n’ont pas manqué, très tôt ; mais elles sont toujours demeurées minoritaires. Depuis quelques décennies, des voix s’élèv ent et des actions se mettent en place, qui valorisent une logique tout opposée : selon celle-ci, l’homme et l’animal sont, non pas hiérarchiquement différenciés, mais autres. Leur différence n’est pas de nature ; elle n’est même pas de degré ; elle est d’altérité. On pourrait parler de différence d’essence, mais à la condition de ne pas étager cette différence. Je m’arrêterai à la figure emblématique, anglo-saxonne, de cette nouvelle logique et à un de ses relais français.

Le vrai créateur de la philosophie animale est le philosophe Peter Singer qui s’inscrit dans la ligne des utilitaristes anglo-saxons. On ne saurait minimiser son influence. Après avoir longtemps dirigé le Centre de bioéthique de Melbourne, il vient d’être nommé responsable du département de bioéthique de la prestigieuse université de Princeton aux Usa. Avec son ouvrage au titre évocateur, Animal Liberation, en 1975, il a donné vie au mouvement de libération animale. Double est le constat de départ de l’ouvrage de Singer : la souffrance inouïe et la mort que subit l’animal de la part de l’homme. Qu’elles soient indéfendables dans des activités ludiques comme la corrida ou la chasse, ne justifient pas leur présence dans les deux grandes pratiques à visée utilitaire, l’expérimentation animale et l’alimentation. Le chercheur australien joint à cette compassion doublée d’indignation une réflexion sur les différences entre l’homme et l’animal. Il en arrive à la conclusion que celles-ci n’existent pas.

Il récuse d’abord le critère toujours invoqué de la raison (seul l’homme est doué de logos) au nom de l’observation la plus élémentaire : pour celui qui « penserait encore possible de trouver quelque caractéristique pertinente qui distingue tous les êtres humain s de tous les membres d’autres espèces », considérons « qu’il y a des êtres humains dont le niveau de perception, de conscience de soi, d’intelligence et de sensibilité est très clairement inférieur à celui de beaucoup d’êtres non humains. Je pense ici aux êtres humains affectés de lésions graves et irréversibles du cerveau, et aussi aux nouveau- nés humains [10] ». En positif, à la suite du philosophe utilitariste Jeremy Bentham (1748-1832), Peter Singer fait de « la capacité à souffrir […] la caractéristique déterminante qui donne à un être le droit à l’égalité de considération [11] ». Or, il est scientifiquement démontré que, du fait de son système nerveux, l’animal souffre à l’instar de l’homme : « Les données factuelles connues soutiennent jusque dans leurs moindres détails l’affirmation selon laquelle les vertébrés mammifères supérieurs font l’expérience de sensations de douleur au moins aussi vives que les nôtres [12] ». Il faut donc combattre toute tendance à faire de l’humanité une espèce supérieure aux autres espèces animales, erreur à laquelle est donné le nom de spécisme [13]. Peter Singer est un militant : pour lui, spécisme, sexisme et racisme constituent un même combat – et un militant cohérent : avec son épouse, il pratique le végétarisme depuis des années ; ses disciples de même. Avec le livre de Tom Regan, Les Droits animaux [14], le mouvement de libération anim ale est devenu le Mouvement pour les droits des animaux. Les animaux de valeur sont sujets de droits, estime Regan. En effet, sont dignes d’être sujets de droit les êtres susceptibles de vivre une vie meilleure ou pire, ou du moins une vie bonne. Or les êtres doués de sensation sont intéressés à vivre une vie bonne. Ils sont donc tous sujets de droits. Mais les animaux et pas seulement les hommes peuvent sentir. C’est donc qu’il faut étendre les droits de l’homme aux animaux. De plus, tous les hommes ne sont pas capables de cette sensation ; voilà pourquoi ces droits valent seulement pour les hommes qui ont « au moins un an de vie, ne sont pas affectés par un retard mental grave [15] ».

Actuellement, en France, le courant animaliste ou non-spéciste, fondant les droits de l’animal non sur la raison mais sur la capacité à souffrir, est défendu par Élisabeth de Fontenay et Florence Burgat. Je m’arrêterai au gros ouvrage de la première, professeur de philosophie de la Sorbonne. Son intention est de réhabiliter l’animal et revisiter les « statuts ontologiques respectifs de l’animal et de l’homme [16] » afin de donner au premier u ne dignité proche de l’humain. Pour ce faire, elle parcourt toute l’histoire de la philosophie occidentale sur l’animal [17]. Le principal argument systématique semble être que l’animal est un « être sensible » qui « a un monde [18] ». Se refusant à distinguer, d’une part conscience sensible et conscience intellectuelle au plan cognitif, d’autre part amitié et attache ment au plan affectif, l’auteur octroie à l’animal conscience et altruisme. Enfin, ces débats philosophiques sont loin de laisser indifférents les non-philosophes , c’est-à-dire la majorité des personnes. Déjà, eut lieu, à l’initiative de l’Unesco, à Bruxelles, le 27 janvier 1978, une Déclaration universelle des droits de l’animal dont l’article 1 énonce le fondement philosophique de ce que les italiens appellent animalismo : « Tous les animaux naissent égaux devant la vie et ont les mêmes droits à l’existence ». Tout le monde n’a pas forcément un avis à formuler sur les douze catégories de l’entende ment chez Kant ; mais il suffit de lancer le sujet de la différence homme-animal dans un dîner pour se rendre compte qu’il ne laisse personne muet, voire qu’il peut susciter les oppositions les plus passionnées. Ce passage d’une logique de la hiérarchie à une logique de l’altérité est bien illustrée par la différence existant entre les deux versions cinématographiques du roman de Pierre Boule, La Planète des singes. Dans le film de 1967, de Franklin Schaffner, la relation homme-singe est de domination ; dans la version 2001, aussi successfull, due à Tim Burton, la relation devient d’altérité : par exemple, à l’issue du combat final, il est dit à propos de l’enterrement des morts : « Les tombes ne porteront aucune marque distinctive. On ne pourra donc pas distinguer les hommes des singes ». Comme si l’animal reprenait à son compte la parole de Jean-Jacques Rousseau au tout début des Confessions : « Si je ne vaux pas mieux [que les autres hommes], au moins, je suis autre [19] ».

3) Les raisons d’une impasse

Le choc des deux logiques, contrastées, de la hiérarchie et de l’altérité, conduit à une impasse. Impasse rationnelle : car les thèses des deux propositions (hiérarchie ontologique de l’homme et de l’animal – égalité au minimum morale des hommes et des animaux) sont, au sens logique le plus strict, contradictoires. Impasse affective : car l’enjeu, on l’a perçu, déborde largement le débat d’idées. D’un côté, la position hiérarchique est relayée par une pratique massive de domination de l’animal passée dans la vie courante, à des fins ludiques ou utiles, pratique qui est source de gratification et de facilités (gastronomiques, etc.) dont on ne voit ni comment ni pourquoi on devrait s’en passer ; de l’autre, les tenants du spécisme comme Peter Singer ou Élisabeth de Fontenay ont une conscience aiguë que la position égalitaire rompt avec toutes les habitudes de la pensée occidentale, antique, chrétienne et moderne, depuis plus de vingt-cinq siècles. Enfin, l’histoire confirme cette opposition : la logique de la hiérarchie secrète comme son contraire la logique de l’altérité.

Ce triple constat, logique, affectif, historique, loin de décourager, pourrait, tout à l’inverse, susciter une espérance. En effet, Thomas d’Aquin nous a appris qu’une pensée, sur tout lorsqu’elle est aussi raisonnée, ne peut totalement passer à côté de la vérité. Max Scheler nous a appris qu’un investissement affectif, surtout lorsqu’il est aussi passionné, ne peut pas ne pas éprouver quelque chose de bon, donc exprimer une valeur ontologiquement lestée [20]. Enfin, Hegel nous a appris que les systèmes qui se heurtent dans l’histoire de la pensée, surtout de manière aussi contradictoire, sont souvent des moments de l’Esprit et donc soulignent une vérité, partielle et parcellaire, qu’il revient à une figure plus intégratrice de la vérité d’assumer.

Il demeure que souligner la vérité partielle des propositions peut encore alimenter le jeu des oppositions dialectiques : fastidieuse, une telle approche est surtout extrinsèque aux logiques en jeu. Aussi, plus que proposer une réfutation des thèses en présen ce (spécisme ou non spécisme), proposerai-je une autre approche. Pour faire simple, je considérerai surtout la dernière forme de logique hiérarchique.

Les deux logiques, hiérarchiques et égalitaires, ne pâtissent-elles pas d’un oubli com mun ? Pour chacune d’elles, l’animal ne demeure-t-il pas extérieur à l’homme ? Ce constat apparaît plus clairement pour la logique hiérarchique, surtout en son moment moderne. Celle-ci s’est en effet instituée à partir d’une rupture entre l’homme et la nature. De même pour le moment grec qui, séparant déjà les hommes libres que sont les citoyens des barbares, ne saurait envisager une relation entre l’homme et l’animal [21]. Mais m ême au Moyen Âge qui a exprimé un réel souci et une compassion véritable pour l’animal, celui-ci demeure extérieur à l’homme. Saint Thomas n’a jamais envisagé de com munion entre l’homme et l’animal dénué de rationalité : au plan créaturel, il n’y a d’amitié qu’avec égaux ; au plan théologal, « la charité repose sur la communauté du bonheur éternel que la créature irrationnelle ne peut atteindre [22] ». Donc, même si les Grecs et les médiévaux n’ont pas déchiré la tunique sans couture du cosmos, ils ont partiellement manqué l’immense richesse que représente l’animal pour l’homme et l’homme pour l’animal.

Affirmer que cette extériorité réciproque homme-animal est aussi au cœur de la logique d’altérité étonne : en effet, celle-ci ne souligne-t-elle pas que l’homme est une espèce animale comme les autres, que les hommes et les bêtes participent, sans hiérarchie, à la vie (l’homme n’est pas plus vivant que l’animal) ? Mais cette commune appartena nce n’est pas une communion ; elle n’est qu’une juxtaposition [23]. En effet, pour un Peter Singer, imaginer que l’animal puisse entrer dans une quelconque relation avec l’homm e, c’est risquer de tomber dans l’erreur du spécisme. La tentation de domination de l’an imal par l’homme est telle qu’il est bien préférable de protéger celui-là de celui-ci : certes, tous deux vivent dans le même monde ; certes, ils partagent la même dignité ; mais l’animal non-humain doit être écarté de ce chasseur congénital qu’est l’animal humain.

Les logiques de hiérarchie et d’altérité constituent donc deux logiques d’extériorité : de différence dans le premier cas, d’indifférence (comme forme supérieure de respect) dans le second. Elles engendrent des univers dualistes où soit l’homme domine les animaux, soit il le côtoie. Et encore, c’est trop dire : ces univers sont parallèles [24]. Homme s et animaux doivent vivre séparés [25]. Significative est la dernière image du film de science-fiction américain de Steven Spielberg, Le Monde perdu (Jurassik Park II), de 1997 : à l’univers de la domination technique où l’animal (ici préhistorique) n’est là que pour distraire l’homme, quitte à le payer de sa vie, s’oppose la dernière image où l’on contemple les animaux préhistoriques vivre enfin à l’abri de l’homme-prédateur. La jouissance manifeste qui a présidé à cette scène splendide ne naît-elle pas aussi de la secrète satisfaction d’avoir puni l’homme, « le cruel roi du monde », comme disait Jules Michelet [26] ? Le cinéaste commente en voix off : « Ces créatures ont besoin de notre absence, non de notre aide. Laissons faire la nature. Et la vie trouvera son chemin ». Significatif est aussi le concept de parc justement dit « naturel » né avec la création du Parc national de Yellowstone aux États-Unis, en 1872 : certes, il y va d’une prise de conscience de l’unité de la nature, mais d’un e unité qui aimerait bien se passer de l’homme et d’une nature qui n’est jamais si belle que lorsque toute œuvre et même toute présence humaines en ont été congédiées.

L’intériorité de l’animal à l’homme a donc été manquée. Pour des raisons argumentatives, mais aussi pour des raisons affectives, en l’occurrence contraires : la présomption d ans la logique moderne de la hiérarchie [27] ; le ressentiment dans la logique de l’altérité [28].

4) Quelques constats

En vue d’établir et expliciter mon hypothèse de travail, je partirai de quelques constats qui donnent à penser, à émouvoir et même à agir. Ils sont suffisamment généraux et communs pour ne pas demander de validation scientifique.

a) Au plan cognitif

Hors tout besoin, un « incroyable désir de notre société à vouloir communiquer avec le s animaux » est apparue « ces dernières années », note Karine Lou Matignon. Déjà, en octobre 1983, à Claude Macherel lui demandant quel vœu il aimerait voir exaucé, Claude Lévi-Strauss répondait sans hésiter : « Ce serait de pouvoir communiquer avec un an imal [29] ».

Désir d’injecter du sens dans une nature devenue trop insignifiante ? Désir d’un ailleurs, d’un monde autre qu’humain ? Et si l’animal aidait l’homme à acquérir une meilleure connaissance de lui-même ? Je ne sais pas s’il existe des études systématiques sur les comportements des visiteurs (enfants, mais aussi adultes) dans les zoos [30]. L’intérêt, voire l’excitation du visiteur grandit, le nombre de ses réflexions s’accroît au fur et à mesure qu’il s’approche des animaux qui lui ressemblent davantage et devient maximal ave c les pongidés : gorilles, orang-outangs, chimpanzés. On se rappelle le mot, rapporté par Diderot, du cardinal de Polignac face à un orang-outang du Jardin des Plantes : « Parle et je te baptise ! » Sans doute fut-il sidéré par la ressemblance. Dans les remarques verbales comme dans les réactions affectives des visiteurs se lit une double attitude c ontrastée : la fascination pour l’autre ; la crainte de sa trop grande proximité. C’est donc que la personne (enfant ou adulte) se positionne spontanément dans une relation même-autre à l’égard de l’animal. Le principal intérêt éprouvé par les visiteurs d’un parc z oologique serait-il non pas seulement distractif ou informatif (qui ignore que les animau

x en captivité ne vivent pas comme les animaux dans la nature ?) mais identitaire ? La visite est plus que l’occasion d’un test projectif, elle est une expérience ontologique. L’animal me tend un miroir par lequel il me dit qu’il « est à la fois comme moi et pas comme moi [31] ».

b) Au plan affectif

« Les bêtes ont souvent plus d’humanité que certaines personnes ». Qui parle ? Le Curé d’Ars [32] ! Un autre grand spirituel, Fedor Dostoïevski prescrivait : « Les petits enfants doivent être élevés avec les animaux – avec le cheval, la vache, le chien. Leurs âmes seront meilleures et auront plus de compréhension [33] ». « Un animal rassure un enfant [ici, un autiste] parce qu’il ne porte pas de jugement », constate Hubert Montagner [34]. Une personne vivant dans la rue affirme : « Au moins, mon chien ne s’écarte pas de moi quand je sens mauvais. Il ne me juge pas, il m’accepte comme je suis » [35]. L’animal est éprouvé comme celui qui donne de l’affection, alors que les autres hommes méprisent ou ignorent. Une personne éprouvé par une aphasie totale découvre, à l’occasion de sa maladie, une communion inatte ndue avec les animaux familiers et les choses qui l’entourent. Il se rend alors compte que l’on méprise ces réalités parce qu’on les utilise et les domine sans les laisser expri mer leur mystère irréductible à nos mots [36].

Non seulement l’animal reçoit de l’affection, mais il est apte à en recevoir. Au moins sous la forme concrète de l’aide. Qui n’a pas entendu parler de ces « mamies aux chats » consacrant tout leur budget et leur temps à nourrir et conduire chez le vétérinaire des diz aines de félins [37] ? Sans aller jusqu’à ce cas extrêmes, nombre de personnes vivant en ville cherchent à améliorer les conditions de vie des animaux urbains, non pour résou dre les conflits entre usagers, mais pour « contribuer au bien-être de l’animal et du citadin », bref, par compassion [38]. En octobre 1988, les téléspectateurs du monde entier ont applaudi lorsque, par leurs efforts combinés, Américains et Soviétiques ont réussi à lib érer deux baleines grises de Californie prises dans les glaces de l’Alaska. Que l’on ait souligné le paradoxe qu’il y a à déployer tant d’efforts pour libérer deux baleines, alors qu’on en tue deux mille chaque année, n’annule pas le fait que personne n’est resté insensible à cette action ; plus encore, elle montre quelle œuvre bienfaisante l’homme peut accomplir à l’égard de la création [39]. Or, qui dit bienfaisance dit proximité. Ces illust rations témoignent donc d’un sentiment de cousinage entre l’homme et l’animal. C’est peut-être à cause de cette proximité que la plupart des personnes s’imaginent que le s éponges appartiennent au règne végétal (on vend des éponges garanties végétales !), voire minéral (inerte), alors que ce sont des métazoaires : « Qui sait, commente Jean-Marie Pelt, l’idée de se frictionner avec un animal risque de choquer [40] ».

c) Au plan curatif

Un certain nombre de personnes doivent à l’animal de s’être réconciliées avec elles- mêmes, voire avec l’humanité. On compte huit mille chiens thérapeutes aux États-Unis. Le psychiatre Samuel Ross a mis en place des fermes zoothérapiques dont le conc ept a fait le tour du monde. Chez l’être trop blessé par la vie, l’animal peut être un mé diateur entre lui et les autres hommes. Il aide à reconstruire l’humanité brisée en répond ant à ses deux besoins psychologiques fondamentaux – se sentir aimé et se sentir guidé : un animal reçoit et donne de l’affection [41] ; il est soumis à des lois intransgressibles [42]. Or le médiateur est à la fois semblable et dissemblable aux deux êtres qu’il met en relation. L’expérience zoothérapique souligne là encore que l’animal, loin d’être étranger à l’homme, nourrit des affinités profondes avec lui.

d) En conclusion

Les deux logiques de hiérarchie et d’altérité montraient l’homme et l’animal vivant juxtaposés, au mieux dans une relation d’indifférence réciproque, au pire dans une relation de domination et de consommation-destruction. Loin de tout dualisme, il faut dire avec Karine-Lou Matignon que « sans les animaux, le monde ne serait pas humain ». La plupart des constats ci-dessus montrent la médiation que l’animal exerce à l’égard de l’hom me ; mais certains soulignent aussi la relation opposée : l’homme aide l’animal. Nous sommes loin du simple côtoiement, a fortiori de l’utilisation-destruction ou –distraction.

5) L’autre comme accès à soi

Passons du constat à l’analyse philosophique (ici, plus phénoménologique). En vérité , l’animal, loin d’être indifférent à l’homme, ou simplement différent, lui est intérieur. « La n ature, dit le franciscain Éloi Leclerc, n’est pas seulement devant nous et hors de nous ; elle est aussi en nous [43] ».

L’homme peut se connaître lui-même. Ayant accès à la conscience de soi, il se caract érise par son intériorité [44]. C’est ce que montre sa manière de parler : toutes les langues emploient, au moins implicitement [45], la première personne du singulier ; or, le « je » dé signe notre intériorité, notre cœur [46].

Plus encore, l’homme est appelé à se connaître lui-même – pour le dire en emprunta nt un terme du vocabulaire blondélien, mais dans un sens différent : « s’égaler » lui-même [47]. La possibilité et le fait de cette auto-connaissance sont aussi un devoir. En effet, un acte véritablement humain est un acte libre. Or un acte libre est délié des conditionne ments extérieurs. Un acte proprement humain jaillit donc de notre intériorité. Or l’homme n’a aucun accès direct à lui-même. Contrairement à l’ange dont le premier objet de connaissance est sa propre essence, l’homme est un être cognitivement extr averti : sa première vie lui est tout extérieure. « Être de vacance, d’exode et de patience [48] » , il n’est pas transparent à lui-même et doit faire le détour par le monde pour se co nnaître lui-même. Cela tient à sa nature somatopsychique : non, comme on le dit souvent, parce que le corps serait opaque, mais parce que nous nous éveillons au concept par nos sens : la lumière de l’être, objet de l’intelligence, filtre à partir de l’étant matériel. On en sait la conséquence : l’être humain ne peut s’égaler lui-même. Sans parler des multiples conditionnements – à commencer par l’inconscient – qui résistent à cette égalisation d’avec soi, dès qu’elle quitte son regard direct sur les choses pour réfléchir sur elle-même, la personne prend la pose, un peu comme lorsqu’elle se regarde dans un m iroir.

Nous aboutissons à ce paradoxe, l’un des plus cruciaux de la condition humaine : l’homme appelé à « s’égaler » lui-même en descendant dans son cœur, en est expulsé par la nécessité de mendier à la réalité extérieure sa nourriture. Comment réconcilier ces deux forces contraires, centrifuge et centripète ? Qu’il soit bien clair, je le répète, que cette réconciliation n’est pas que cognitive : elle intéresse autant notre vie affective et volo ntaire.

L’homme n’a donc accès à soi-même que par un autre. Je ne m’intéresse pas ici à l’objet connu, aimé (moi-même) – Ricœur a magistralement analysé que je ne m’« égale » que comme autre [49] – mais au médium de connaissance que je voudrais ici simplement esquisser. Or si les philosophes de ces deux derniers siècles ont souvent montré qu e le sujet naît de la rencontre avec autre que soi, rien ou presque n’est dit de cette mé diation de l’animal comme accès à son ipséité, que je vais maintenant exposer. Par exemple, chez l’initiateur de la philosophie du dialogue, Martin Buber, la relation Je-Cela est nécessaire et utile au fonctionnement du monde, mais seule la relation Je-Tu délivre la vérité ultime de l’humain ; cependant, le Cela englobe autant les êtres de la Nature que les artefacts de la technique [50].

6) L’animal comme accès à soi

« Cosmos et Psychè sont les deux pôles de la même « expressivité », écrit Paul Ricœur ; je m’exprime en exprimant le monde ; j’explore ma propre sacralité en déchiffrant celle du monde [51] ». Et d’abord celle du monde animal. Il serait intéressant de procéder à cette expérience de pensée : que serait un monde sans animal ? Plus généralement, que serait un monde sans nature (étant suspendues temporairement certaines fonctions physiologiques) ? La ville qui n’est pas un monde minéral mais un monde artificiel, totalement fait de main d’homme, permet de le pressentir. Encore faudrait-il empêcher les oiseaux de voler dans le ciel et les blattes d’envahir les appartements ! Cette expér ience nous apprendrait au minimum que l’animal fait partie de notre monde, donc que l e monde est un [52].

L’animal nous est intérieur d’abord au sens entitatif. L’être humain est animal. C’est ce que montre sa structure, physique (histologique, génétique) et psychique (puissances végétatives et sensitives). C’est ce que confirme son devenir, phylogénétique (je n’e ntrerai pas dans la question des modalités de l’évolution) ou ontogénétique. Il demeure que l’animal dont il est question s’identifie ici à la part d’animalité qui est en nous – si é levée soit-elle par l’esprit qui l’assume et l’emploie à ses desseins : cette intériorité efface son objective altérité. Or je veux parler d’une intériorité qui ne confisque pas l’être-autre de l’animal, autrement dit de l’intériorité opérative : par mes opérations cognitives ou affectives, l’animal m’altère tout en demeurant lui-même. « L’homme, pour trouver s on humanité (puisque, selon Gn 1,26s, elle n’est pas donnée comme un objet possédé), explique l’exégète Paul Beauchamp, doit traverser l’épreuve de cet autre, ce faciès qui n’est pas un visage [53] ».

a) Du point de vue de l’attente de l’homme

L’animal correspond et répond à une profonde attente de l’homme. Cette attente est triple, comme le soulignaient les exemples du quatrième paragraphe.

Elle est d’abord cognitive : l’animal m’aide à accéder à la connaissance de ce Je dont je m’approche mais qui, sans cesse, m’échappe [54]. En effet, l’animal est, de tous les êtres, celui qui m’est génériquement le plus proche : la substance spirituelle (l’ange), qui me touche par le haut, est imperceptible aux sens. Inutile de détailler ce point que l’éth ologie exploite largement – pour ne rien dire de l’expérimentation animale, dont on sait combien elle est au cœur du débat homme-animal [55]. Plus encore, l’animal permet à l’être humain de faire l’expérience de la part d’involontaire absolu (le corporel et le végétatif) et relatif (la vie sensible) qui l’habite. À un homme qui, multipliant les mécanismes de défense, se cache à lui encore plus qu’aux autres ce qu’il est, l’animal offre une vie à la vérité vulnérable et sans fard. À un homme qui, non content d’être complexe, se co mplique la vie, l’animal s’offre, simple et désencombré. À un homme qui vit dans le co380 ntrôle du contrôlable, c’est-à-dire l’intelligence et la volonté, et la suspicion, voire le refo ulement, de l’incontrôlable, c’est-à-dire les autres facultés, l’animal offre sa spontanéité sensorielle et pulsionnelle : il ressent ons sans parfois en avoir conscience.

Notre attente est aussi affective, et c’est un point auquel nous sommes encore plus sensibles. L’animal répond au double désir vital d’aimer et d’être aimé. Faisant appel à notre compassion, certains animaux dilatent en nous notre capacité à consoler et être consolé. Par ailleurs, la communion étant ce va-et-vient entre le donner et le recevoir, l’animal vient à la rencontre de l’appétit de sociabilité qui nous pousse à sortir de la solitu de et à établir une relation de confiance et d’affection durables. De ce point témoignent certaines affinités avec l’animal qui sont plus que de la complicité [56] et que l’on pourrait qualifier d’amicales, si l’adjectif supportait l’extension analogique du sens [57].

Mais il y a plus encore. L’animal vient rencontrer l’homme à un plan plus profond, ontologique. Il réveille et révèle, en nous, notre être d’homme. C’est ce dont témoignent bon nombre de personnes vivant en contact permanent avec les animaux. « Un animal sauvage, dit Véronica Duport de son expérience delphinienne, […] vous rend humble, étrangement vulnérable, conscient de vos limites, mais aussi de vos ressources pour agir, recevoir et donner [58]. » L’animal vient « travailler » en l’homme, si j’ose dire, et il ne s’agit pas d’abord du « travail du négatif » dont parle Hegel. Il le rejoint dans un « lieu » où l’activité des facultés n’est pas encore différenciée [59]. Est-ce pour cela que, aux dires de certains psychologues, un rêve d’enfant sur deux contient des bêtes [60] ? On pourrait le dire autrement : l’homme symbolise avec l’animal, non pas d’abord parce que le monde animal est un puissant réservoir de symboles (il y a un risque réel, justement épinglé par Élisabeth de Fontenay, de réduire les bêtes à un bestiaire), mais parce que l’animal exprime symboliquement quelque chose de l’être profond de l’homme inséré dans le cosmos : se réconcilier non seulement avec l’animal, mais avec les animaux, dans leur diversité au moins générique, c’est se réconcilier avec notre humanité. Se fondant sur les travaux notamment de Bachelard et de Jung, Éloi Leclerc a montré, dans un ouvrage déjà cité, que le Cantique des créatures de François d’Assise, loin d’être une comp osition lyrique chantant les charmes de la nature, est le fruit d’une expérience décisive, au terme de sa vie [61], et traite des profondeurs de l’homme. Par exemple, une affinité privilégiée voire exclusive avec un des quatre éléments cosmiques révèle souvent un trait de notre personnalité : combien d’amoureux du vent sont aussi épris de liberté et craignent la contrainte. Or ce que le Poverello dit des éléments cosmiques n’est-il pas a fortiori vrai de nos frères les animaux, étrangement absents du Cantique ? Prolongeant la riche intuition ouverte par Éloi Leclerc, ne peut-on suggérer que l’anielque chose de l’homme – et de la manière dont il vit sa relation à Dieu [62] ?

Certains objecteront que l’affinité cognitive, affective et ontologique de l’homme avec l’animal se vérifie d’autant plus que la personne est plus meurtrie : celle-ci est en quête de réconciliation avec son identité profonde ; on sait aussi que le fond de toute blessure est un sentiment, parfois tragique, d’abandon et de rejet. La proximité homme-animal ne vaudrait-elle donc pas surtout pour les personnes au psychisme disgracié ? Il demeure que la personne blessée n’est pas seulement un être en privation ; dans sa vulnérabilité, surtout reconnue, elle est aussi, souvent, plus proche de son humanité et de celle d’autrui. C’est ce dont témoignent, sans nul misérabilisme, le Père Joseph Wresinski pour les personnes plus démunies et Jean Vanier pour les personnes à handicap. D’ailleurs, l’animal exerce volontiers une médiation identitaire chez les enfants et dans les sociétés plus traditionnelles [63] ; or, ces deux dernières catégories de personnes se caractérisent par une humanité moins protégée donc plus réceptive. Elles peuvent dire ce que Violaine, être évangélique, répondant à qui s’étonnait de ce qu’elle marchait si droit alors que la lèpre l’a rendue aveugle : « J’entends […] les choses exister avec moi [64] ».

b) Du point de vue de la réponse de l’animal

Dans ce chemin par lequel l’animal aide l’homme à accéder à lui, nous avons surtout parlé de ce dernier. Mais cet accès serait impossible si l’animal n’y était pas disposé. Or, il se trouve, et l’on ne s’en étonne pas assez, qu’il est apte à répondre aux attentes multiples de l’homme. Cela est vrai de bien des espèces animales, à en juger par l’actuelle diversification des bêtes vendues pour compagnie. Mais cela demeure surtout vrai de quelques espèces privilégiées : chien, chat, cheval, dauphin, etc. Comment comprendre cette ouverture du côté de la bête ? Quelles dispositions animales favorisent cette rencontre ? Je retiendrai, parmi beaucoup, trois hypothèses qui demanderaient bien des développements et des validations ici scientifiques.

Au plan plus physique, je me demande si le toucher ne joue pas un rôle particulier da ns cette affinité homme-animal. Aristote en faisait déjà le sens fondamental de l’homme : il est celui qui établit le contact avec le réel, avec l’autre [65]. Il assure le fondement et accorde la certitude. Or certains animaux semblent doués d’un toucher particulièrement dé veloppé : le dauphin, en particulier, se rapproche beaucoup de l’homme, par la peau fine, glabre et vulnérable qui couvre tout son corps et l’impressionnante intégration de son schéma corporel. Cette caractéristique expliquerait-elle son con-tact exceptionnel avec les humains [66] ? Ne compterait-elle pas autant que le développement exceptionnel de son cerveau ?

Au plan plus intérieur, on doit à Jakob Johann von Uexküll [67], qui influença fortement la psychologie animale d’inspiration phénoménologique de Buytendijk et l’éthologie comparative de Lorenz, d’avoir introduit ou plutôt appliqué le concept d’Umwelt au monde de l’animal : celui-ci, loin d’être une machine, loin aussi de vivre seulement à l’extérieur de lui, bénéficie d’un monde intérieur ou monde propre [68]. L’animal n’est pas seulement ouvert à l’homme par ses sens ; il peut aussi, comme lui, donner une place intérieure à ce qu’il sent et ressent.

Enfin, n’existe-t-il pas une mystérieuse capacité empathique chez certains animaux ? Certes, ils vivent dans la sensorialité ou l’affectivité pures, comme le dit justement Boris Cyrulnik. Mais cette ouverture sensorielle et affective est une condition nécessaire, pas suffisante. Encore faut-il que l’animal soit suffisamment désencombré de ses instincts pour s’ouvrir à l’homme. Un tigre affamé ne voit en lui qu’un casse-croûte. Cette libération des instincts semble favorisée par la vie domestique ; mais d’autres facteurs, encore méconnus, rendent l’animal – notamment le chien et son étonnante fidélité [69] – particulièrement adapté à donner de l’affection à l’homme et à en recevoir : y aurait-il un sens à parler de vulnérabilité animale ?

Tous ces points demanderaient à être beaucoup développés et précisés. Marie Noël a exprimé cette empathie de l’animal de manière non conceptuelle et inoubliable dans un superbe conte qui se termine par un dialogue entre Dieu et le chien.

« – Mon œuvre est achevée. Jamais je ne créerai un être meilleur que toi, dit Dieu au chien, estimant que toute œuvre future ne pourra qu’être ratée.

– Ô Seigneur Bon Dieu, dit le chien, ça ne fait rien qu’il soit raté pourvu que je puisse le suivre partout où il va et me coucher devant lui quand il s’arrête. Alors le Bon Dieu fut émerveillé d’avoir créé une créature si bonne et il dit au chien :

– Va ! qu’il soit fait selon ton cœur.

Et, rentrant dans son atelier, il créa l’homme [70] ».

7) Dépassement de l’animal comme égalité avec soi

Nous sommes bien évidemment loin des relations de domination et de simple utilité. L’animal est plus, beaucoup plus qu’une chose, un moyen ou un objet. Pour autant, est-il une personne, une fin ou un sujet ? Est-il un alter ego, certes différent, mais de même dignité ontologique ?

Repartons des différentes conclusions du paragraphe précédent, relatives à l’animal comme chemin de l’homme vers lui-même : cet accès ne saurait résorber l’excès de l’homme sur l’animal.

a) Du point de vue de l’attente de l’homme

Deux principes fondent la noétique humaine. 1) L’homme procède du connu à l’inconnu, du général au particulier, au plan cognitif, mais aussi au plan affectif. 2) L’homme procède du sensible à l’intelligible. Du premier, on déduit que, puisque l’animal ne présentant qu’une similitude générique avec l’homme, il ne peut donc porter qu’une connaissance commune, par conséquent propédeutique. Du second, on déduit que l’homme ne peut advenir à son intériorité qu’à partir de l’extériorité sensible : l’aide cognitive apportée par l’animal s’arrête donc au seuil de l’intériorité humaine.

Incontestablement, la bête permet à l’homme d’actualiser son désir d’aimer, d’être aimé et de vivre en communion. Mais l’être humain n’aspire-t-il pas à plus ? Surtout, l’autre homme n’est-il pas à même sinon de combler, du moins de concrétiser le désir de communion, d’amitié présent en tout cœur, grâce aux trois capacités qui lui sont propres : la verbalisation, donc la communication, la liberté, donc la capacité de choisir l’autre [71], et le don de soi, donc le pardon ? Origène disait de la créature non humaine qu’elle était un logos alogos [72]. Jules Michelet dont on sait sa proximité avec le monde animal, observait un jour une fourmi sous son microscope. « La pantomime, dit-il, est expressive ». Pourtant, ajoute-t-il, « je sentais à ce moment que nous vivions dans deux mondes. Et nul moyen de nous entendre… Quel langage pour le rassurer ? Moi, la voix ; elle, les antennes. Pas une de mes paroles ne pouvait avoir accès à son télégraphe électrique qui lui sert d’ouïe [73] ».

Bref, si l’animal permet un accès à soi, cet accès n’est que partiel et extérieur. Il demeure que ce passage est, non pas obligé mais hautement souhaitable et convenant : un homme qui ignorerait tout de l’animal serait grandement ignorant sur lui-même.

b) Du point de vue de la réponse de l’animal

L’animal est à même de s’ouvrir à l’homme grâce à des caractéristiques physiques qui l’y disposent. Mais la structure du corps humain ne l’ouvre-t-il pas, beaucoup plus, à l’autre homme, ne le dispose-t-elle pas à une relation d’amitié [74] ? Même si un crotale peut repérer une différence de température de l’ordre de 0,003 °C, le tact humain, pour être moins précis, est infiniment plus délicat que celui de l’animal. Cela est particulièrement vrai de la relation sexuelle : la position ventro-ventrale, l’orgasme féminin apparent, le découplage entre désir et contrainte calendaire, la très grande expressivité dans le langage des corps permise par la douceur de la peau et le geste de caresse, autant de caractéristiques qui à la fois impliquent le toucher et permettent une communion inter personnelle avec laquelle nulle complicité animale ne peut rivaliser. Ce qui est vrai du corps l’est encore davantage de l’intériorité. Certes, l’animal est doué d’un Umwelt. Mais, comme le montre Martin Heidegger se fondant sur une lecture approfondie d’Uexküll, l’inventeur du concept, ainsi que de Baer, Driesch, Speman, à côté de « la pierre [qui] est sans monde » et de « l’animal [qui] est pauvre en monde », « l’ho mme est configurateur de monde [75] ». « L’homme, écrit Frederik Jacobus Buytendijk, existe non seulement avec le monde et dans le monde comme l’animal, mais en face de son monde [76] ».

Enfin, rien ne remplacera jamais la capacité d’empathie humaine. Voici quelques anné es, la Porte Ouverte montait une campagne publicitaire qui montrait une personne de dos, faisant face à un chien : « Pensez-vous qu’il y a personne [sic !] d’autre qui puisse vous écouter sans vous juger ? » Seul l’homme est suffisamment dégagé de ses instincts, en fait, et de ses intérêts, en droit, pour se centrer sur l’autre. De plus, si l’animal pr essent l’affect, il s’arrête au seuil du discernement apporté par l’objet : le chien sent la tristesse de son « maître », mais il ignore qu’elle est due au deuil d’un enfant. En outre, l’animal est-il vraiment ouvert à l’homme dans son altérité ? Partons d’un constat irréfutable : nous ne pouvons rien « exiger » d’un animal ; qui prétendrait accuser une bête coupable d’infidélité et le faire comparaître devant un tribunal ? Or, n’est apte au devoir que celui qui assume des fonctions supra-individuelles, qui a le sens du bien et de l’autre [77].

c) Quelques mises au point

Il n’est que trop certain que l’homme est souvent moins accueillant, moins fidèle et infiniment plus cruel que l’animal. Transformer ce constat en condamnation, c’est perdre espérance et donner raison au ressentiment, ainsi qu’on l’a vu. Mais allons plus loin. L’homme se tourne souvent vers l’autre homme en espérant être comblé par lui et la réponse n’est jamais à la hauteur de son attente. Profondément déçu, il se tourne vers l’animal [78]. Parfois il en fait même sa religion [79]. Ce faisant, il a demandé à l’homme, puis à l’animal, ce que seul Dieu peut donner. Renoncer à cette double exigence exorbitante, c’est traverser l’épreuve de la déception, et souvent de l’échec, que tout le monde rencontre mais que si peu reconnaissent et résolvent de manière vraiment humanisante [80]. Dépasser les irréductibles antinomies des logiques de la hiérarchie et de l’altérité et no us guérir de la présomption autant que de l’amertume, c’est aussi accueillir un regard métaphysique et spirituel ouvert sur l’infini.

J’ai bien conscience qu’en soulageant les craintes du lecteur partisan de la logique hiérarchique, je cours le risque de me faire accuser de spécisme. Que la phénoménologie de l’accès de l’homme à soi-même par la médiation de l’animal et son dépassement appelle une ontologie de la différence essentielle fondée sur l’ouverture de l’homme à l’être, cela n’est que trop évident. Mais mon propos n’était pas de le montrer [81]. L’empirisme grossier de l’argumentation de Peter Singer a été depuis longtemps réfuté par les philosophes les plus variés, depuis qu’Anaxagore de Clazomène « inventa » le nous [82]. D’ailleurs, le plus souvent, à ce jeu de l’altérité, le nivellement s’opère par le bas et c’est l’homme qui y perd. Tirer vers le haut, en octroyant l’immortalité à l’animal, comme Eugen Drewermann [83] ou Élisabeth de Fontenay [84], brouille tout autant les frontières. Décidément, il faut revenir à une ontologique de la différence. Mais sans l’indifférence. La sagesse anthropologique – et même, osons-le dire, cosmologique – inépuisable des premiers chapitres de la Genèse ne confirme-t-elle pas notre propos [85] ? Dans le second récit de la création (chronologiquement premier), on se souvient que la création du premier couple humain s’effectue en trois temps : 1) création du premier homme ; 2) passage devant les animaux ; 3) création de la première femme (Gn 2,18-23). Or, le second moment n’est pas que négatif ; plus encore, il est nécessaire : imposant un nom aux animaux, notre premier parent s’éprouve dans sa capacité humaine de nomination, donc d’intelligence, il fait l’expérience de lui-même. Mais seul le troisième moment, souligné par le jubilatoire « Voici les os de mes os », assure que l’homme ne peut être comblé par moins qu’un alter ego.

8) De l’homme à l’animal

Jusqu’à maintenant, nous avons parlé de ce que l’animal apportait à l’homme – comme médiation de son ipséité. Mais il ne faudrait pas négliger la réciproque : ce que l’homme peut, à son tour, apporter à l’animal – de manière désintéressée. La logique hiérarchique l’a oublié, parce que, selon elle, l’animal n’est qu’un moyen et un objet destinés à l’homme ; toute amélioration de la bête est donc immédiatement finalisée par l’utilité humaine. La logique de l’altérité l’a oublié parce, pour elle, l’homme ne sert jamais mieux la nature qu’en s’abstenant d’intervenir. Une nouvelle fois, les contraires s’apparient.

Nous avons vu ce que l’animal pouvait apporter à l’homme. Or le don appelle une réponse. Aussi l’homme est-il convoqué à jouer un rôle positif auprès de l’animal. À au moins trois points de vue : ceux du vrai, du beau et du bien, qui ne sont pas sans symétrie avec le triple apport animal à l’être humain, au plan de la vérité (la connaissance de soi), du bien (l’affectivité) et de la beauté de son être (l’identité) [86].

D’abord, la contemplation humaine, concrétisée par la recherche pure des sciences zoologiques, éthologiques, etc., rend hommage au monde animal par l’intérêt gratuit que l’homme apporte à la connaissance de la vérité de l’animal, en sa structure et son fonctionnement [87]. Et, même si cette connaissance peut être employée dans une optique utilitaire, par exemple pharmaceutique, elle demeure par essence désintéressée.

Ensuite, l’homme peut embellir le monde animal [88]. Par la parole, en le louant [89] ; par l’art – par la littérature [90], les arts plastiques [91], la photographie [92], le cinéma [93] et même la musique [94] – en le représentant. En effet, conçue par l’esprit humain et célébrée dans l’art, la nature y gagne un surcroît de noblesse [95].

Enfin, l’être humain peut faire du bien à l’animal [96]. Nous avons donné ci-dessus l’exemple des baleines grises libérées des glaces. On se souvient du cri étonnant de Claudel : « Quel sort plus triste pour un chien que de n’appartenir à personne ! Des chiens athées [97] ! » L’homme est capable d’exercer une grande compassion à l’égard des étants naturels en souffrance (cf. Rm 8,19-22) [98]. François d’Assise aimait dire que, s’il avait été empereur, il aurait demandé à ses seigneurs de répandre du grain sur les chemins pour empêcher les oiseaux de mourir en hiver. Loin d’être prédateur par essence, l’homme porte en lui une capacité – certes trop rarement actualisée – de sympathie, de ser vice, voire de guérison infiniment supérieure à l’animal. Seule son intelligence peut embrasser l’ensemble du règne vivant et entrer dans une intelligence systémique de la nature ; seule sa volonté peut dépasser l’horizon borné des intérêts de son groupe et combattre l’agressivité interspécifique universellement présente dans le monde animal. La compassion ne se réduit pas à une préparation pédagogique à la miséricorde à l’égard des humains. N’a-t-on pas trop offusqué le sens non utilitaire du « soumettez la terre » de la Genèse (1,28) [99] ? Les trompettes du Jugement dernier retentiront aussi lorsque l’homme aura accompli la « mesure » (Ep 4,13) qui est la sienne à l’égard du monde non-humain. Le Christ ne demande-t-il pas de « proclamer l’Évangile à toute la création « (Mc 16,15) [100] et non pas aux seuls hommes et le Psaume dit « Seigneur, tu sauvera s les hommes et les bêtes » (Ps 36,7) [101]. Cessons donc de dialectiser compassion pour l’homme et souci de l’animal, sans toutefois les équiparer :

« On oppose couramment le souci d’arrêter la destruction des forêts ou le massacre des éléphants à la préoccupation de combattre la famine ou les guerres qui ravagent les hommes. C’est même une sorte de réflexion conditionné : ‘Vous feriez mieux de vous intéresser à vos semblables’. Réflexe conditionné par quoi ? Par l’orgueilleux repli sur soi, d’autant plus absurde qu’il tourne à l’involontaire suicide. Qui empêche de s’intéresser d’un même mouvement aux hommes et aux autres créatures ? À égalité de péril, une créature humaine aura toujours priorité sur n’importe quelle autre créature. Mais justement une valeur supérieure les réunit toutes, car elle est profitable à toutes : la solidarité cosmique. Ce que nous faisons aux plus petites d’entre les créatures, et pas seulement humaines, a des retentissements sur toutes [102] ».

9) En conclusion

J’ai conscience du caractère programmatique des réflexions proposées. Elles voudraient, du moins, inciter et inviter à (re)donner à l’animal la juste place qu’il mérite dans la contemplation philosophique. En effet, on ne peut manquer de s’étonner de la rareté de la réflexion actuelle, philosophique, mais aussi théologique, sur l’animal, face à l’importante production scientifique et juridique [103]. Ce phénomène s’explique par la progressive focalisation de la philosophie sur le seul sujet humain et ses productions, focalisation initiée par la rupture cartésienne évoquée plus haut. On peut se demander s’il n’y a pas aussi là une trace de l’influence du protestantisme qui, en soulignant le primat de la Parole révélée et écrite, a favorisé le textuel, peut-être au détriment du corporel. Ne serait-il pas souhaitable de retrouver la fécondité vigoureuse de la logique catholique dont le lieu propre est le sacrement, en particulier l’Eucharistie, qui n’est pas seulement signe corporel, mais présence du Corps (du Christ) pour le Corps (de l’Église) ? Ne faut-il pas aussi lire dans cette parcimonie, un effet de l’ingratitude, dont, à la suite de Hannah Arendt, Alain Finkielkraut fait le grand péché de notre époque [104] ? Plutôt que de gémir ou de s’indigner, tâchons de comprendre. J’ai dit plus haut, en passant, qu’au don de l’animal, l’homme est appelé à répondre. Pour être bien comprise, cette assertion devrait faire appel à la logique du don. Résumons-la [105]. Le langage courant ré duit le don au cadeau ou au don de soi. En fait, déployé, le don obéit à une rythmique à trois temps : 1) le don reçu, 2) le don approprié, 3) le don offert. Par exemple, avant d’émettre des sons articulés et offrir une parole, l’enfant doit entendre son entourage parler puis apprendre, faire sien cette langue. Appliquons cette dynamique à l’animal. 1) Celui-ci est d’abord un cadeau que nous fait gratuitement la nature [106]. 2) Il est ensuite est un des médiateurs de l’accès de l’homme à son ipséité cognitive, affective et active. 3) Il constitue enfin un des termes de l’activité de donation de l’homme qui manifeste ainsi sa gratitude. La logique de la hiérarchie manque le troisième moment du don, celle de l’altérité le premier, et les deux logiques le moment intermédiaire.

Dans une puissante intuition, le philosophe Maurice Blondel expose ce troisième moment du don. L’univers est certes habité par des lois autonomes et une tendance à l’entropie ; mais il est aussi animé par une norme ascensionnelle : « Tant que les êtres restent à l’état d’émiettement, de dispersion, d’égoïsme, tant que les personnes surtout se laissent éparpiller, démembrer et comme déchirer par un écartèlement sans fin au gré d’une vaine curiosité ou d’avilissantes passions, on aurait beau gagner l’univers, tout serait perdu et dissipé […]. Au contraire, fidèles aux normes qui les soutiennent par le dedans, qui les ordonnent entre eux, qui les subordonnent au principe de vérité et de bonté dont ils procèdent et où ils tendent, les êtres, chacun en ce qui est de lui et tous en ce qui les compose en une harmonie totale, s’organisent, s’édifient, se confirment et se déploient comme dans l’infinie solidité du Dieu qui les a appelés à la dignité d’être eux-mêmes des êtres dans l’Être divin [107] ». Or, cette normative n’est pas que spontanée : la fonction d’unification du cosmos est dévolue à l’homme. C’est une de ses vocations expresses. Selon une expression traditionnelle reprise par le philosophe d’Aix, la personne est « vinculum et sacerdos totius naturæ [108] ». Par son action (au sens pleinier), celui qui dit ego sum entraîne la nature en général et l’animal en particulier dans un mouvement de sursum [109].

[1] Blaise Pascal, Pensées, éd. Lafuma n° 121.

[2] Victor Hugo, « Le Crapaud », v. 20, in La Légende des siècles, Paris, Garnier-Flammarion, 1967, tome 2, p. 311.

[3] Hans Urs von Balthasar, La Gloire et la Croix. Les aspects esthétiques de la Révélation. II. Styles. 2. De Jean de la Croix à Péguy, trad. Robert Givord et Hélène Bourboulon, coll. « Théologie » n° 81, Paris, Aubier, 1972, n. 55, p. 85.

[4] Sur une différence de degré ou de nature entre l’homme et le singe, cf. Pierre-Paul Grassé, Toi ce petit dieu. Essai sur l’histoire naturelle de l’homme, coll. « Les savants et le monde », Paris, Albin Michel, 1971, chap. iv. Id., L’homme en accusation. De la biologie à la politique, Paris, Albin Michel, 1980, chap. v.

[5] Sur la conjugaison entre continuité et rupture, cf. par exemple le célèbre passage de Parties des animaux, L. XI, 10, 656 a 7-9. Cf. l’interprétation plus continuiste qu’en donne Thierry Gontier, L’Homme et l’Animal. La philosophie antique, Paris, Puf, 1999, p. 24-25. Pour Platon aussi, l’homme, d’une part présente quelque chose de commun avec l’animal (Gorgias, 516b ; Symp., 188a ; République, 596a), d’autre part s’en différencie essentiellement (Timée, 92e et Protagoras, 321c), notamment au plan religieux (Politique, 563c ; Timée, 42a ; Lois, 902b).

[6] Cf. les références à « Animaux » dans la table analytique de St. François d’Assise, Documents. Écrits et premières biographies, éd. Théophile Desbonnets et Damien Vorreux, Paris, Éd. Franciscaines, 21968, p. 1413.

[7] Somme de théologie, Ia-IIae, q. 102, a. 6, 7um. Cf. H.-J. Werner, « Vom Umgang mit den Geschöpfen. Welches ist die ethische Einschätzung des Tieres bei Thomas von Aquin ? », Miscellanea Mediaevalia, 19 : Thomas von Aquin. Werk und Wirking im Licht neuerer Forschungen, Berlin, 1988, p. 211-232. L’idée traverse les siècles, par exemple chez Fédor Dostoïevski : « Quand il aura appris à avoir pitié du bétail, le moujik aura pitié aussi de sa femme ». (Journal d’un écrivain, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 1972, p. 365-373).

[8] Nicholas Fontaine, Mémoires pour servir à l’histoire de Port-Royal, Cologne, 1738, Reprint, Slatkine, 1970, tome 2, p. 52-53.

[9] Janine Chanteur, Du droit des bêtes à disposer d’elles-mêmes, coll. « La couleur des idées », Paris, Seuil, 1993, p. 158.

[10] La libération animale, trad. Louise Rousselle et David Olivier, Paris, Grasset, 1993, p. 358. Depuis la publication de ce livre, de multiples ouvrages traitent de cette question. On notera, dans la seule ère anglosaxonne : Tom Regan et Peter Singer (éds.), Animal Rights and Human Obligations, Prentice Hall, Englewood Cliffs, 1989 ; Bernard E. Rollin, Animal Rights and Human Morality, Buffalo, Prometheus Books, 1992.

[11]Ibid., p. 37. Jeremy Bentham disait à propos des animaux, ici un cheval ou un chien adultes : « La question n’est pas : peuvent-ils raisonner ? ni : peuvent-ils parler ? mais : peuvent-ils souffrir ? » (Introduction to the Principles of Morale and Legislation, London, Paynes, 1789, réédité chez New York, Methuen, 1982, chap. 17, section 1). Il disait aussi : « Il viendra un jour où le reste de la création animale acquerra les droits que jamais on n’aurait dû leur nier ». Sur la souffrance animale, la bibliographie (notamment en langue anglaise) est considérable. Par exemple : Donald Vandeveer, « Animal Suffering », Canadian Journal of Philosophy, 10 (1980) n° 3, p. 463-471. Krzysztof Pomian, « De l’animal comme être philosophique », Le Débat, 27 (1983) n° 5, p. 127-142.

[12] Richard Serjeant, The Spectrum of Pain, Londres, Hart Davis, 1969, p. 72, cité p. 44.

[13] Le terme « spécisme » vient, à ce qu’il semble de l’ouvrage de Richard D. Ryder, Victims of Science. The Use of Animals in Research, London, Fontwell, 1975.

[14] Tom Regan, The Case for Animal Rights, Berkeley, University of California Press, 1983. Cf. aussi Tom Regan, « Utilitarianism, Vegetarianism and Animal Rights », Philosophy and Public Affairs, 9 (1980) n° 4, p. 305-324.

[15] Tom Regan, I diritti animali, trad. Rodolfo Rini, Milano, Garzanti, 1990, p. 128.

[16] Elisabeth de Fontenay, Le silence des bêtes. La philosophie à l’épreuve de l’animalité, Paris, Fayard, 1998, p. 18.

[17] Elle développe particulièrement les xviie et xviiie siècles dont elle est spécialiste, montrant avec finesse le développement de cette philosophie du mépris de l’animal. Non sans jugements parfois péremptoires, tel celui jeté sur Buffon dont il est parlé en terme de « résistance humaniste, anthropocentriste, cartésienne et catholique » (Ibid., p. 418).

[18] Ibid., p. 24.

[19] Livre I, n. 2, Œuvres complètes, Bernard Gagnebin et Marcel Raymond (éds.), coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, tome 1, 1959, p. 5.

[20] Cf. Max Scheler, Le Formalisme en éthique et l’Éthique matériale des valeurs, trad. Maurice de Gandillac, coll. « Bibliothèque de philosophie », Paris, Nrf-Gallimard, 1955, notamment p. 252-375.

[21] Cf. Aristote, Éthique à Nicomaque, L. VIII, ch. 13, 1161 b.

[22] Somme de théologie, IIa-IIae, q. 25, a. 3. Une contre-épreuve est fournie par l’exemple d’Eugène Rougon : « Il rêvait d’être le maître chez lui, voilà tout. Et, fatalement, il revint à son idée d’une ferme, dans laquelle toutes les bêtes lui obéiraient. C’était son idéal, avoir un fouet et commander, être supérieur […]. Peu à peu, il s’anima, il parla des bêtes comme il aurait parlé des hommes » (Emile Zola, Son excellence Eugène Rougon, in Les Rougon-Macquart, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 1961, tome 2, p. 42).

[23] Même constat chez un des plus grands spécialistes des singes qui est aussi un défenseur de l’égalité homme-singe, Frans de Waal. Se fondant sur l’existence d’une culture (par exemple d’une transmission) chez les pongidés, il affirme au terme de son dernier ouvrage traduit en français : « Nous sommes des animaux ayant poussé fort loin certaines capacités. Les animaux et nous sommes à la fois similaires et différents et la ressemblance est le seul cadre au sein duquel donner corps à la différence » (Quand les singes prennent le thé. De la culture animale, trad. Jean-Paul Mourlon, Paris, Fayard, 2001, p. 320).

[24] Significative est la manière dont Roger-Pol Droit envisage les relations entre le monde humain et le monde animal dans son dernier livre : « Il existe des mondes juxtaposés, parallèles, étanches, non communicants, on ne saurait parler sans abus d’un univers unique. La planète fourmi n’est pas la Terre des êtres humains » (101 expériences de philosophie quotidienne, Paris, Odile Jacob, 2001, par exemple p. 94 ; cf. p. 105-106).

[25] Sans parler des théories écologiques extrêmes selon lesquelles il n’existe qu’une pollution : l’homme ! Celui-ci devrait payer pour ses forfaits contre la nature en disparaissant : « La nature a le temps. Même si, dans un renouveau grandiose, elle se débarrassait de l’histoire humaine comme d’une expérience ratée, devenue encombrante, il serait dans son pouvoir de s’y reprendre à plusieurs fois pour créer un être intelligent qui envisagerait le monde avec moins d’agressivité, de dépit et de confusion » (Eugen Drewermann, Le Progrès meutrier, trad. Stefan Kaempfer, Paris, Stock, 1993). Un chercheur anglais écrit : « Si j’avais le choix, je préfèrerais voir souffrir un homme, plutôt qu’un animal » (Cité par Janine Chanteur, Du droit des bêtes à disposer d’elles-mêmes, p. 159). Cf. Luc Ferry, Le nouvel ordre écologique. L’arbre, l’animal et l’homme, Paris, Grasset, 1992, 1ère partie.

[26] La Mer (1861), Paris, L’Âge d’homme, 1980, p. 146.

[27] Deux exemples parmi beaucoup. Le premier, français, date du xvie siècle : « La présomption est notre maladie naturelle et originelle. […] C’est par la vanité » que l’homme se « sépare de la presse [la foule] des autres créatures ». (Michel de Montaigne, « Apologie de Raimond Sebond », Les Essais, L. II, ch. 12) Le second, anglais, est du xixe siècle : « Les sens et les intuitions, les diverses émotions et facultés, telles que l’amour, la mémoire, l’attention et la curiosité, l’imitation, la raison, etc., dont s’enorgueillit l’homme, peuvent se voir à l’état naissant, ou même parfois dans un état pleinement développé, chez les animaux inférieurs » (Charles Darwin, The Descent of Man and selection in relation to sex, London, John Murray, 1871, p. 193).

[28] « La nature a le temps. Même si, dans un renouveau grandiose, elle se débarrassait de l’histoire humaine comme d’une expérience ratée, devenue encombrante, il serait dans son pouvoir de s’y reprendre à plusieurs fois pour créer un être intelligent qui envisagerait le monde avec moins d’agressivité, de dépit et de confusion » (Eugen Drewermann, Le progrès meutrier. La destruction de la nature et de l’être humain à la lumière de l’héritage du christianisme, trad. Stefan Kaempfer, Paris, Stock, 1993). Un signe ne trompe pas : le propre du ressentiment, selon les analyses de Frédéric Nietzsche et de Max Scheler, est de généraliser. Or, pour reprendre l’exemple de Peter Singer, pourtant bien plus modéré que certains représentants des mouvements en faveur des droits des animaux, on ne peut qu’être frappé des jugements unilatéralement pessimistes qu’il porte sur l’homme. Identifier l’homme à un prédateur, c’est implicitement formuler une proposition universelle et définitive : « Les hommes ont tous et toujours été insensibles à la souffrance et à la mort de l’animal ; ils ont tous et toujours fait de lui un objet de consommation, pour leur utilité ou leur plaisir ».

[29] Les deux citations sont tirées de Karine Lou Matignon, Sans les animaux, le monde ne serait pas humain, Paris, Albin Michel, 2000, p. 20.

[30] En revanche, il existe des études sur l’importance de l’animal pour la construction de l’identité humaine chez l’enfant (cf. Hubert Montagner [éd.], L’enfant, l’animal et l’école, Paris, Bayard, 1996), désormais passées dans le grand public (cf. la vulgarisation dans Danièle Laufer, « Sept bienfaits que lui apporte un animal », TopFamille, 17 [2001], p. 54-58).

[31] Paul Beauchamp, Parler d’Écritures saintes, Paris, Seuil, 1987, p. 79. Souligné dans le texte. Cf. tout le passage.

[32] Jean-Marie Vianney, Pensées, présenté par Bernard Nodet, Paris, Ddb, Xavier Mappus, 1981, p. 154.

[33] Les Carnets des frères Karamazov, trad. Henri Mongault, Lucie Desormonts, Boris de Schloezer et Sylvie Luneau, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 1952, p. 887-888.

[34] Cité par Karine-Lou Matignon, Sans les animaux, le monde ne serait pas humain, p. 135.

[35] Plus encore « le chien du pauvre […] ne semble-t-il pas une représentation de son âme », quelque chose « comme le mirage extérieur de la conscience de ce malheureux » (Léon Bloy, La Femme pauvre, Paris, Mercure de France, 1946, p. 71).

[36] Cf. Michel Chartier, Rendez-moi mes mots, L’Ortho-Edition, Isbergues, 1998. Sur la discrétion de la présence des êtres qui nous entourent, cf. le bel article de Jean-Louis Chrétien, « Note furtive sur la présence », Études, 3953 (septembre 2001), p. 187-195, repris dans Promesses furtives, coll. « Paradoxe », Paris, Minuit, 2006, p. 13-23.

[37] Cf., par exemple, Nathalie Blanc, Les animaux et la ville, Paris, Odile Jacob, 2000, p. 142-154.

[38] Ibid., p. 218 : cf. l’épilogue : « Les citadins compatissent », p. 209-224.

[39] Cf. Judy Mann, « Whales, Hype, Hypocrisy », The Washington Post, 28 octobre 1988.

[40] Jean-Marie Pelt, in Jean-Marie Pelt, Marcel Mazoyer, Théodore Monod, Jacques Girardon, La plus belle histoire des plantes. Les racines de notre vie, Paris, Seuil, 1999, p. 23.

[41] N’est-ce pas ce dont témoigne Nicolas Hulot, homme blessé, sans père ni repère, à la recherche d’un bonheur fusionnel loin de la dureté des hommes, lorsqu’il raconte : « Le dauphin des îles Turks, au large d’Haïti, a joué avec moi pendant trois jours. […] Les barrières entre l’homme et l’animal sont inventées. Nous appartenons au même règne ». (Nicolas Hulot, Les chemins de traverse, Paris, Jean-Claude Lattès, 1989, p. 260 et 261) ?

[42] C’est ce que le prêtre éducateur Gilbert a mis en place dans sa ferme de Provence (cf., par exemple Guy Gilbert, « Zoothérapie ou la magie des animaux », n° 48, Paris, juillet-décembre 1991).

[43] Éloi Leclerc, Le Cantique des créatures. Une lecture de saint François d’Assise, Paris, DDB, 1970, 21988, p. 179-180.

[44] Quoi qu’on en dise, cette caractéristique lui est propre. À cette assertion, on oppose aujourd’hui l’expérience de Gordon G. Gallup Jr., « Chimpanzees : Self-Recognition », Science, 167 (1970) n° 3914, p. 86-87. Ce chercheur a laissé un chimpanzé avec un miroir pendant plusieurs jours. Puis il l’a anesthésié et lui a peint quelques taches de couleur sur la face. Il a ensuite réveillé l’animal de sorte qu’il se trouve face au miroir. Or, très vite, le singe a tenté d’effacer les marques de peinture en frottant les zones colorées avec ses mains. À noter qu’aucun autre animal et aucune autre espèce de singe n’est parvenu à ce résultat. Gallup interprète cette expérience comme la preuve que le chimpanzé a accès à une véritable conscience de soi. Mais nous sommes seulement autorisés à conclure qu’il présente une conscience intérieure de son corps, dans son extériorité, ici la configuration du visage.

[45] Le français, l’anglais, l’allemand l’utilisent expressément, par opposition à l’espagnol, l’italien, le grec, le latin ou l’hébreu.

[46] Sur le statut du « je », je renvoie aux remarques suggestives de Denis Biju-Duval, Psychique et spirituel, Paris, L’Emmanuel, 2001, chap. 5.

[47] « En quoi donc consistera la méthode d’immanence, sinon à mettre en équation, dans la conscience même, ce que nous paraissons penser et vouloir et faire, avec ce que nous faisons ? » (« Lettre sur les exigences de la pensée contemporaine en matière d’apologétique et sur la méthode de la philosophie dans l’étude du problème religieux », Annales de philosophie chrétienne, 1906, repris dans Les premiers écrits de Maurice Blondel, Paris, p.u.f., 1956, p. 39)

[48] Jean-Louis Chrétien, « La connaissance angélique », Le regard de l’amour, Paris, Ddb, 2000, p. 127. Sur l’ange, cf. Thomas d’Aquin, Somme de théologie, Ia, q. 56, a. 1 ; comparer avec q. 87, a. 3.

[49] Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, coll. « L’ordre philosophique », Paris, Seuil, 1990, notamment la dixième étude.

[50] Cf. Martin Buber, Je et Tu, trad. Geneviève Bianquis, coll. « Philosophie », Paris, Aubier, 1938. Il en est de même de trois, parmi les plus grands, ouvrages de la philosophie moderne et contemporaine sur l’approche de la nature de l’esprit humain en particulier : La Phénoménologie de l’esprit de Hegel (1807), L’Action de Blondel (1893), Être et Temps de Heidegger (1927).

[51] Paul Ricœur, Phénoménologie de la volonté. II. Finitude et culpabilité. 2. La symbolique du mal, Paris, Aubier, 1960, p. 19-20.

[52] Cf. la vigoureuse défense de l’unité du monde par Paul Clavier, Le concept de monde, coll. « Philosopher », Paris, p.u.f., 2000.

[53] La Loi de Dieu. D’une montagne à l’autre, Paris, Seuil, 1999, p. 96.

[54] Je parle ici d’une connaissance par mode conceptuel et non par mode symbolique, comme elle est largement utilisée dans l’Écriture, dans les mythes et par les poètes de toutes les époques (sur les liens imaginaires homme-animal, cf. Boris Cyrulnik, La fabuleuse histoire des hommes et des animaux, Paris, Chêne, 2001)

[55] Sur ce sujet, je renvoie au jugement nuancé du professeur E. Manni : « Je dirai brutalement que la vivisection est une triste nécessité : nécessité parce qu’elle est indispensable, malgré tout, pour le progrès non seulement des sciences biomédicales en général, mais pour le bienfait qui en peut dériver pour le salut du genre humain ; triste parce que personne qui a un peu de cœur et de sensibilité (même si maintenant il se fait des millions d’avortements) ne peut faire souffrir et priver de la vie des êtres vivants […]. Quant à ce qui concerne l’homme, il n’est pas possible d’effectuer toutes les expérimentations sur notre espèce. En fait, on ne peut contrôler sur nos semblables seulement les phénomènes plus simples et grossiers : une expérimentation qui serait de quelque manière risquée pour le sujet sur lequel on travaille, doit, pour des raisons évidentes, être résolument écartée. Il est alors clair que l’on ne peut conduire d’expérience que sur l’animal […]. Les plus grandes découvertes biomédicales de ces dernières années ont été faites sur les animaux. Rappelons seulement la découverte de l’insuline qui a permis la guérison du diabète sucré ; pensons aux hormones, aux vitamines, etc. Les interventions chirurgicales les plus importantes et les plus récentes, comme les transplantations d’organes (cœur, rein, foie) ont toutes été menées d’abord sur des animaux ; puis, lorsqu’il fut montré que la substitution pouvait être effectuée et que la méthode utilisée était fiable, on est passé à l’homme. De même pour la pharmacie, on ne peut manquer de relever que, lorsqu’une nouvelle molécule est synthétisée dans un laboratoire et qu’on soupçonne qu’elle présente une valeur thérapeutique, on ne peut de but en blanc l’utiliser directement sur l’homme sans d’abord en explorer les effets, la concentration dans le sang, l’élimination, les contre-indications, etc. sur l’animal ». (« Sperimentazione sull’animale », Medicina e Morale, 1989/6, p. 1058 s. Trad. personnelle) En attente de méthodes alternatives, il ajoute le triple critère que Russel et Burke synthétisent en trois R : 1/ Replace, c’est-à-dire chercher les techniques et les méthodes qui puissent remplacer l’utilisation des animaux en laboratoire ; 2/ Reduce, c’est-à-dire réduire le nombre des animaux requis ; 3/ Refine, c’est-à-dire améliorer les procédures ou les techniques existantes afin de réduire le plus possible le niveau de stress et de souffrance induit chez l’animal (Ibid., p. 1060).

[56] Par exemple Paul Claudel fait dire à Georges de Coufontaine : « Nous avons passé ensemble bien des heures, tapis dans quelque noire piécette, moi n’ayant avec moi que ce corps de bête, cette pauvre fidélité obscure. Devenant un peu chien, comme lui un peu aristocrate » (L’ôtage, I, 2, Paris, Gallimard, 1942, p. 62).

[57] « Je m’étonne profondément – écrit Konrad Lorenz – qu’il soit possible de nouer avec un oiseau en liberté des relations aussi intimes, et je sais que c’est là une situation qui procure un bonheur rare et qui nous permet d’oublier un instant que l’homme fut chassé du paradis » (cité par Karine-Lou Matignon, Sans les animaux, le monde ne serait pas humain, p. 24). De fait, certains auteurs n’hésitent pas à dire de l’animal qu’il est un ami. Par exemple, saint Basile de Césarée parlait de l’« amitié fidèle » du chien (Homélies sur l’Hexaméron, IX, trad. S. Giet, coll. « Sources chrétiennes » n° 26 bis, Paris, Le Cerf, 1949 [rééd., 1968, 2006], p. 489) et Lanza del Vasto du « chien notre consolateur et notre ami » (La montée des âmes vivantes, Paris, Denoël, 1968, p. 129).

[58] Ibid., p. 191.

[59] J’émets, en passant, deux hypothèses d’identification de ce « lieu » : ce que Gustav Siewerth appelle « cœur » dans L’Homme et son corps (trad. Robert Givord, Paris, Plon, 1957, 2e partie) ; ce que Jacques Maritain appelle « préconscient spirituel » dans L’Intuition créatrice dans l’art et la poésie (Paris, DDB, 1966, chap. 3 et 4).

[60] « Au cours des premières années de la vie, près de la moitié des rêves des enfants impliquent des animaux » (Hubert Montagner, Sans les animaux, le monde ne serait pas humain, p. 135).

[61] Il est aussi, pour Éloi Leclerc, au cœur d’un événement qui a le plus marqué, voire décidé de son existence, cela alors qu’il est évacué du camp de Buchenwald (cf. son récit dans Le soleil se lève sur Assise, Paris, DDB, 1999, p. 21-29).

[62] Au plan ontologique, mais surnaturel, certains auteurs vont jusqu’à dire que l’animal participe à la rédemption de l’homme ! En effet, l’animal souffre, innocent, et cette souffrance de l’innocent ne saurait être perdue. Par exemple Léon Bloy pressent, plus encore qu’il ne conceptualise l’existence d’une analogie entre misère humaine et misère animale. Dans La Femme pauvre, il parle de la souffrance qui, « tout le long de la chaîne animale », rassemble « la Douleur universelle en une identique propitiation » (op. cit). Jean Guitton souligne aussi la parenté entre la souffrance de l’animal et celle de l’Innocent suprême, l’Agneau de Dieu (communication au colloque Droits de l’animal et Pensée chrétienne, 16 octobre 1986, actes publiés par la Ligue des droits de l’animal, Paris, s. d., p. 70). Louis Massignon, un troisième catholique d’envergure, parle d’ »une réparation de justice […] due à ces « âmes mortelles » » ; « Je ne pense pas que la gazelle qui, forcée à la course, s’agenouille et pelure, soit insensible. À elle aussi, je crois qu’on rendra ses larmes ». (Théodore Monod, « Nature vivante et foi chrétienne », Évangile et Liberté, Aix-en-Provence, 19 [avril 1984], p. vii).

[63] Jacqueline de Roumeguère note : « Le totem est la première identité de l’homme africain, c’est son code génétique. Son identité est liée à celle de l’animal. On peut changer de tribu mais on ne peut changer de totem » (Citée par Karine-Lou Matignon, Sans les animaux, le monde ne serait pas humain, p. 82).

[64] Paul Claudel, L’Annonce faite à Marie, version définitive pour la scène, Acte III, scène 3, Paris, Gallimard, 1940, p. 135-136.

[65] « Le sens du toucher est, chez l’homme, le plus délicat de tous les sens ». (Histoire des animaux, L. I, ch. 15, 494 b 17, trad. Jules Tricot, coll. « Bibliothèque des textes philosophiques », Paris, Vrin, 1957, p. 98) « La nature a donné à l’homme la peau la plus fine » (Génération des animaux, L. V, ch. 2, 781 b 21, trad. Pierre Louis, Paris, Les Belles Lettres, 1961, p. 185). Cf. le remarquable article de Jean-Louis Chrétien, « Le corps et le toucher », L’Appel et la Réponse, coll. « Philosophie », Paris, Minuit, 1992, p. 101-154.

[66] Aristote en est déjà témoin dans un beau chapitre de son Histoire des animaux (L. IX, ch. 48).

[67] Cf. Umwelt und Innenwelt der Tiere, Berlin, J. Springer, 1909, 21921.

[68] La thèse de Joëlle Proust (Comment l’esprit vient aux bêtes, coll. « NRF Essais », Paris, Gallimard, 1997) est proche : l’animal est doué d’un degré minimal d’intentionnalité. Cette capacité d’unification interne n’est-elle pas plus proche du sens commun dont parle Aristote que de quelque réflexivité spirituelle ?

[69] Cf. Hélène et Jean Bastaire, Chiens du Seigneur. Histoire chrétienne du chien, coll. « Ephiphanie », Paris, Le Cerf, 2001.

[70] Marie Noël, « L’œuvre du sixième jour », Contes, Paris, Stock, 1949, p. 122-123.

[71] « Seul l’homme agit, alors que l’animal ré-agit » (Gianfrancesco Zuanazzi, « L’uomo et l’animale », Anthropotes, 13 [1997], p. 91-108, ici p. 101. Souligné dans le texte).

[72] Cf. Olivier Clément, « L’animal dans la tradition du christianisme oriental », Coll., Droits de l’animal et Pensée chrétienne, Colloque du 16 octobre 1986, Ligue française des droits de l’animal (39, rue Claude Bernard, 75005 Paris), 1987, p. 39.

[73] Jules Michelet, L’insecte, Paris, Hachette, 1857, p. 123. Rééd., Le Marais, Lume, 2004.

[74] Si l’homme « voulait se comporter comme un animal, il ne ‘vivrait’ alors absolument pas. Son comportement serait néanmoins ‘spirituel’ » (Wagnis und Bewahrung. Zur metaphysischen Begründung des erziehenrischen Auftrags, Einsiedeln, Johannes, 21964, p. 10, cité par Manuel Cabada Castro, L’Être et Dieu chez Gustav Siewerth, trad. Emmanuel Tourpe et A. Chereau, coll. « Bibliothèque de Louvain » n° 46, n. 176, p. 115) Le mode de vie de l’homme étant spirituel, il « met sa corporéité et sa sensibilité sur un plan supérieur au seul niveau animal » (Leo Elders, La Philosophie de la nature de saint Thomas d’Aquin. la nature, le cosmos, l’homme, trad. Jean-Yves Brachet, coll. « Croire et savoir » n° 19, Paris, Téqui, 1994, p. 442. Cf. par exemple K. Kremer, « Wer ist das eigentlich – der Mensch ? Zur Frage nach dem Menschen bei Thomas von Aquin », Trierer theol. Zeitschrift, 84 (1975), p. 73-84 et 129-143). « L’homme ne se laisse pas définir exclusivement sur le plan biologique […]. Le mot « biologique » quand on parle de l’homme prend un sens large : il implique ce qui le distingue de tous les êtres vivants […]. Même pour la biologie, l’homme doit sans doute se distinguer dès l’origine de toute autre manifestation de la vie organique » (Karl Jaspers, Origine et Sens de l’histoire (1949), trad. Hélène Naef avec Wolfgang Achterberg, Paris, Plon, 1954, p. 54).

[75] Les concepts fondamentaux de la métaphysique. Monde-finitude-solitude, cours de l’année 1929-1930, trad. Daniel Panis, coll. « Bibliothèque de philosophie », Paris, Gallimard, 1992, p. 265-268, 278-287, 392-396. Heidegger explique ailleurs clairement pourquoi : « Si plantes et animaux sont privés de langage, c’est parce qu’ils sont emprisonnés chacun dans leur univers environnant, sans être jamais librement situés dans l’éclaircie de l’Être. Or seule cette éclaircie est monde. Mais s’ils sont suspendus sans monde dans leur univers environnant, ce n’est pas parce que le langage leur est refusé ». (Lettre sur l’humanisme [1947], trad. Roger Munier, Paris, Gallimard, 1976, p. 94).

[76] L’homme et l’animal. Essai de psychologie comparée (1958), trad. Rémi Laureilard, Paris, Gallimard, 1965, p. 56-57.

[77] Pour le détail de l’argument, cf. Robert Spaemann, Bonheur et bienveillance. Essai sur l’éthique, trad. Stéphane Robilliard, coll. « Philosophie morale », Paris, PUF, 1997, p. 162-166.

[78] Un exemple parmi beaucoup : « Je connais les intermittences du cœur, et ces sautes d’humeur qui, de jour en jour […] accompagnent inévitablement les amours humaines. Les chiens ignorent pareilles variations. Quand ils aiment, c’est avec une constance qui ne prend fin qu’avec la vie » (Elizabeth von Arnim, Tous les chiens de ma vie [1936], trad. François Dupuigrenet-Desroussilles, Paris, Salvy, 1993, p. 9).

[79] Brigitte Bardot achève ainsi le premier tome de son autobiographie : « Je suis entrée dans la religion des animaux ». (Initiales B.B. Mémoires, Paris, Grasset, 1996)

[80] Sur ce sujet capital, cf. l’important article, qu’il est aisé de généraliser, de Louis Beirnaert, « L’indissolubilité du couple. Réflexions sur sa garantie et son fondement », Études, juillet-décembre 1977, p. 7-17, repris dans le n° de mai 2000, p. 695-704, ici p. 703. On trouve aussi ce texte dans le recueil Aux frontières de l’acte analytique, Paris, Seuil, 1973.

[81] Ni de souligner les conséquences perverses de l’animalisme que Peter Singer, avec beaucoup de rigueur, tire. Par exemple, un « bébé d’une semaine n’est pas un être rationnel de soi, et il existe de nombreux animaux non humains dont la rationalité, la conscience de soi, l’éveil et la capacité de sentir, notamment, dépassent ceux d’un bébé humain âgé d’une semaine ou un mois ». Par conséquent, la vie de ce bébé a « moins de valeur que la vie d’un cochon, d’un chien, d’un chimpanzé n’en a pour chacun de ces animaux non humains ». (Questions d’éthique pratique, 1993, trad. Max Marcussi, Paris, Bayard, 1997, p. 166)

[82] Même un penseur aussi ouvert aux sciences et à la complexité humaine qu’Edgar Morin, dans son dernier ouvrage, souligne qu’en demeurant animal, l’homme est seul capable de langage symbolique et d’anticipation inquiète de sa propre mort (La Méthode. 5. L’humanité de l’humanité. 1. L’identité humaine, Paris, Seuil, 2001). Pour une réfutation argumentée des positions de Singer et Regan, je renvoie aux éditoriaux de La Civiltà Cattolica : « Gli animali hanno ‘diritti’ ? », 3568 (1999), p. 319-331, notamment p. 324-331 et « Il rapporto uomo-natura nella visione cristiana. È lecita la sperimentazione sugli animali? », 3570 (1999), p. 531-543.

[83] « Si les êtres humains sont immortels, pourquoi pas aussi les animaux ? » (Eugen Drewermann, De l’immortalité des animaux, trad. Bernard Lauret, Paris, Le Cerf, 1992)

[84] Son zoocentrisme la conduit à une défense de la métempsychose.

[85] Cf. à ce sujet les travaux de l’exégète belge, disciple de Paul Beauchamp, André Wénin, notamment : Pas seulement de pain… Violence et alliance dans la Bible, coll. « Lectio divina » n° 171, Paris, Le Cerf, 1998. « Humanité et animalité. Réflexion à partir de traditions bibliques », Lumen Vitæ, 54 (1999), p. 245-255. « L’humain face à l’animal. ‘Maîtrisez les animaux…’ (Gn 1,28) », Études, n° 3965 (mai 2002), p. 635-643.

[86] Sans oublier l’imaginaire qui enrichit et aide à nouer les relations homme-animal (cf. Boris Cyrulnik, La fabuleuse histoire des hommes et des animaux, Paris, Chêne, 2001).

[87] Je songe par exemple au grand œuvre patronné par Pierre-Paul Grassé : les 44 volumes du Traité de zoologie. Anatomie, systématique, biologie, Paris, Masson, 1952 s.

[88] Cf. Vladimir Soloviev, La beauté dans la nature, in Le sens de l’amour. Essais de philosophie esthétique, trad. Bernard Marchadier, coll. « Sagesse chrétienne », Paris, Oeil, 1985, p. 171-228.

[89] Cf. l’admirable chapitre de Jean-Louis Chrétien, « L’offrande du monde », L’Arche de la parole, coll. « Épiméthée », Paris, p.u.f., 1998, p. 151-201.

[90] Cf. le bel hymne aux animaux de Mario Rigorni Stern dans Le livre des animaux, trad. Monique Baccelli, Lyon, La fosse aux ours, 1999.

[91] Cf. par exemple la superbe gravure, Tête de cerf, d’Albrecht Dürer représentant l’œil immensément ouvert d’un grand cerf mourant à cause d’une flèche fichée tout près du globe oculaire (1504, Paris, Bibliothèque nationale : cf. Elisabeth de Fontenay, Le silence des bêtes, p. 530).

[92] Cf. Yann Arthus-Bertrand, La Terre vue du ciel, avec le concours, pour la rédaction, de l’État du monde, Paris, Ed. de la Martinière, 1999. À ce sujet, il est significatif que sur les 190 merveilleuses photos du livre qui se veut un hymne à la beauté fragile de la nature, seulement un peu plus d’un quart (51) montrent une nature dénuée de toute présence humaine (je ne parle même pas des transformations de la nature dues à l’action humaine) : tant celle-ci, loin de déparer celle-là, en rehausse la splendeur. N’est-ce pas suggérer une sortie du dualisme et renouer avec l’intuition grecque et médiévale, rehaussée des apports de la technique, selon laquelle l’homme et la nature non-humaine font partie du même monde ? (Je donne ici au terme monde un sens ontologique – cosmos ou création – passablement évidé dans le dernier ouvrage de Rémi Brague, La Sagesse du monde, Paris, Fayard, 1999).

[93] Cf. le beau documentaire français de Claude Nuridsany et Marie Pérennou, Microcosmos. Le peuple de l’herbe, 1996.

[94] Cf. Olivier Messiaen ou François-Bernard Mâche.

[95] Ainsi que le montre Hegel qui, de plus, voit dans la vie animale le sommet de la beauté naturelle (Cours d’esthétique, trad. Jean-Pierre Lefebvre et Veronika von Schenk, Paris, Aubier, 1995, tome 1, p. 178).

[96] Et ce bien est soit gratuit, soit nécessaire, auquel il cas, il devient source de devoir. Ce qui est une caractéristique humaine permettant de refuser le concept de droits des animaux : « Imaginons, écrit Axel Kahn, un monde peuplé d’êtres dotés de droits, dont aucun n’aurait le devoir de les respecter. […] La notion de droits n’aurait dès lors plus de sens, ce qui démonter que c’est celle de devoir qui lui en donne un ». (« Progrès, sciences de la vie et humanisme », Coll., Les enjeux de la connaissance scientifique pour l’homme d’aujourd’hui, Cité du Vatican, Publication de l’Académie Pontificale des Sciences, 2001, p. 80-90, ici p. 86) Or, il est bien évident que les animaux ne se sentent aucun devoir à notre égard. C’est donc que la notion de droit des animaux n’est pas sensée.

[97] Bestiaire spirituel, in Œuvres en prose, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 1965, p. 992-993.

[98] La philosophie entrerait ainsi en dialogue avec l’un des thèmes les plus importants et les plus suggestifs de la cosmologie hermétique : la souffrance dans la nature (cf. Antoine Faivre, « L’idée de nature souffrante dans la théosophie chrétienne », Agora (Ethique, médecine, société), Le corps souffrant entre médecine et littérature, colloque de Cerisy-la-Salle, juillet 1994, n° 34-35, printemps 1995, p. 97-110).

[99] Selon Gn 9,8-17 ou Os 2, 20, les animaux et humains sont coparticipants de l’alliance divine (cf. Robert Murray, The Cosmic Covenant. Biblical Themes of Justice, Peace and the Integrity of Creation, London, 1992, p. 30-32). « La vision de Pierre (Ac 10,10-16) rassemblant animaux purs et impurs […], métaphore de l’accueil des Gentils dans l’Église, se fonde plus largement sur une conception de la sainteté universelle du créé ». (Id., art. « Animaux », Dictionnaire critique de théologie, Jean-Yves Lacoste [éd.], Paris, PUF, 1998, p. 52)

[100] Alexis Godin commente : « Qui sait si l’homme regénéré dans l’Esprit du Christ n’est pas appelé à le faire connaître aussi aux animaux, dans des limites sous des rapports quelconques ? » (Le protecteur, le législateur et l’Ami des animaux, Journal mensuel tendant à régler et amiélorer le sort des animaux dans le plus grand intérêt de l’humanité, Paris, Lacroix-Comon, 2 [1856], p. 220)

[101] Après avoir cité ce texte, Léon Bloy confie à son ami Henry de Groux : « Jésus, Fils de Dieu, est né tout exprès afin de mourir pour elle en même temps que pour nous, et c’est l’Esprit Saint qui a dit cela ». (Le Mendiant ingrat, Paris, Mercure de France, 1923, tome 2, p. 96-102)

[102] Hélène et Jean Bastaire, Le Salut de la création. Essai d’écologie chrétienne, coll. « Voie spirituelle », Paris, Ddb, 1996, p. 60 et 61. Cf. Id., Le Chant des créatures, Paris, Le Cerf, 1996.

[103] Mentionnons toutefois : a/ En philosophie : Luc Ferry et Claudine Germé, Des animaux et des hommes. Anthologie de textes du xve siècle à nos jours, coll. « Biblio-Essais », Paris, Livre de poche, 1994 ;‡ Jean-Yves Goffi, Le philosophe et ses animaux, Paris, Jacqueline Chambon, 1994. b/ En théologie : Eric Baratay, L’Église et l’Animal du xviie siècle à nos jours en France, Paris, Le Cerf, 1996 ; Michel Damien, L’Animal, l’Homme et Dieu, Paris, Le Cerf, 1978.

[104] Hannah Arendt, The Burden of Our Time, London, Secker and Warburg, 1951, p. 438. Cf. Alain Finkielkraut, De l’ingratitude, Paris, Gallimard, 1999 ; Id., L’Humanité perdue. Essai, coll. « Points », Paris, Seuil, 1996.

[105] Cf. Pascal Ide, « Une éthique de l’homme comme être-de-don », Liberté politique, 5 (été 1998), p. 29-48.

[106] Les bâtisseurs des cathédrales rendaient hommage aux animaux qui les avaient aidé (cf. par exemple Bestiaire enchanteur de la cathédrale de Noyon). Cf. Victor-Henry Debidour, Le Bestiaire sculpté du Moyen Âge en France, Paris, Arthaud, 1961 ; J. Baltrusailis, Réveils et Prodiges. Le gothique fantastique, Paris, 1960. Cf. aussi les articles « Tier », « Affe », etc. dans le Lexikon der christlichen Ikonographie. Allegemeine Ikonographie, Herder, 1970.

[107] Maurice Blondel, L’Être et les êtres. Essai d’ontologie concrète et intégrale, Paris, Alcan, 1935, p. 289-290.

[108] Maurice Blondel, L’Action. Tome I. Le problème des causes secondes et le pur agir, Paris, Alcan, 1936, p. 436 (Paris, Puf, 1949, p. 324).

[109] « À travers l’homme ce sont aussi les plantes et les animaux qui prient le Créateur. C’est pourquoi dans la louange de la création l’homme chante la liturgie cosmique » (Jürgen Moltmann, Dieu dans la création. Traité écologique de la création, trad. Morand Kleiber, coll. « Cogitatio fidei » n° 146, Paris, Le Cerf, 1988, p. 101). « Je puis dorénavant lier ou délier le monde, l’abandonner définitivement au vide, à la creuse illusion, au semblant d’être, à la mort, au néant, l’asservir à la plus inepte, à la plus inane, à la plus nécrosante des rébellions – ou, collaborant au contraire avec vous, en vous faisant en moi place nette, sauver le monde avec vous, remettre chaque chose à sa place en réintégrant la mienne, rétablir l’osmose et la symbiose de la souveraineté céleste, restaurer dans le Christ toute la création. Pour que soit sanctifié votre Nom, qui est Yahweh, Je suis, il faut qu’en l’univers entier, de l’Orient jusqu’à l’Occident, toute créature vous offre la pure oblation d’une existence conforme à votre Loi : il faut que votre règne arrive, qu’il se réalise a fine usque ad finem, avec l’omnipotence persuasive et pénétrante de la douceur, de l’innocence édénique ; il faut que vos décrets, votre très sage et vivifante volonté soit faite sur la terre comme au ciel, et vous m’avez voulu co-médiateur entre l’une et l’autre ». (Albert Frank-Duquesne, Cosmos et Gloire, Paris, Vrin, 1947, p. 72-73)

17.3.2017
 

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