Les signes de la jalousie. Le prophète Daniel en but aux envieux

La Bible décrit plusieurs personnages de jaloux : de Caïn (cf. Gn 4) aux disciples de Jean (cf. Jn 3,25 s) en passant par Saül (cf. 1 Sm 18,6 s). Un passage riche de sens éthique se trouve dans la vie du prophète Daniel (cf. Dn 6,2-25).

Le roi perse Darius établit, immédiatement sous lui, trois chefs qui gouvernent les satrapes de son royaume. Daniel est l’un des trois. Sa sagesse l’emporte sur celle des deux autres, au point que Darius se propose de le placer à la tête de tout le royaume. Or, les deux autres chefs et les satrapes en éprouvent une intense jalousie. Ils se mettent alors à l’épier et à chercher chaque manquement, afin de le faire chuter. Ils ne trouvent rien. L’idée leur vient alors de faire rendre un édit au roi pour que tout homme qui ne rend pas un hommage divin au seul Darius soit jeté dans la fosse aux lions. Celui-ci, sans doute flatté, ne sent pas la manœuvre et accepte. Mais, devinant le piège, Daniel se met à genoux pour supplier Dieu. Alors, les jaloux, en grand nombre, s’introduisent chez lui et le surprennent en train de prier. Ils se précipitent aussitôt chez le roi qui est obligé de reconnaître que son prophète bien-aimé a trahi l’édit. Nous connaissons la suite, souvent représentée par les artistes : descendu dans la fosse aux lions, Daniel ne sera même pas touché par les fauves. Darius mande alors les accusateurs et ordonne qu’on leur applique la peine qu’ils avaient envisagée contre leur ennemi : ils sont donc jetés dans la fosse ; or, « avant même qu’ils eussent atteint le fond de la fosse, les lions s’étaient emparés d’eux et leur avaient broyé les os ».

 

Ce texte énumère les signes profondément délétères de la jalousie. Si la cause est unique, les effets, eux, sont multiples et divers :

La perte de temps. Épiant à chaque instant Daniel, les jaloux ne vivent que de celui dont ils sont jaloux.

La pseudo-créativité. Les envieux inventent une machination diabolique, à plusieurs temps, afin de ligoter le roi, puis de lier Daniel et enfin de le détruire. En effet, à l’instar de la jalousie, la rancœur est source de créativité. Toute l’intelligence de l’envieux est mobilisée pour détruire celui dont il est jaloux. Là encore, quelle perte d’énergie psychique !

La focalisation sur l’échec, autrement dit la suspicion. Celui qui est jaloux s’obnubile et ne cherche plus qu’à repérer chaque défaillance de celui qu’il jalouse. La lumière de son intelligence est occultée par un biais de confirmation négatif : le jaloux ne retient que ce qui peut nourrir sa jalousie et annule tout ce qui pourrait au contraire la nier. Si, dans notre épisode, Daniel ne commet aucun faux-pas, ce n’est pas habituellement le cas. D’abord, parce que l’homme est faillible ; ensuite, parce que la suspicion, le manque de confiance favorisent la chute.

Le légalisme. Les jaloux se cachent leur profonde malice en se retranchant derrière la loi qu’ils brandissent devant le roi pour accuser injustement Daniel. Leur raisonnement devient dès lors non réfutable. La loi en sa cohérence formelle permet de réduire l’autre à ses actes et de s’aveugler sur la personne. Est-ce à dire que la loi est mauvaise ? Non pas la loi, mais son usage exclusif et déshumanisant. L’on connaît l’axiome paradoxal qui ne fait que révéler la coincida oppositorum : Summum ius, summa iniuria (« la plus haute loi est aussi ce qui conduit à la plus haute injustice »).

L’aveuglement de l’esprit. L’intelligence du jaloux est donc blessée de multiples manières. toutes les attitudes intérieures et extérieures concourent à effacer l’identité humaine de celui que le jaloux veut anéantir, Daniel.

Les fausses complicités. Tous ensemble, les accusateurs jaloux font corps. On imagine le temps perdu en discussions infinies pour perdre Daniel, pour supputer telle action du roi, etc. Dans son ouvrage sur les quatre amours, C. S. Lewis parle de la pseudo-amitié des brigands. En effet, ils construisent leur être-ensemble sur le mensonge et la complicité dans le mal. Or, les jaloux se rassemblent contre quelqu’un et non pas pour lui, en vue de rechercher son bien. D’ailleurs, cette convergence leur masque leur profonde division interne. Si Daniel avait vraiment été éliminé, la course pour la première place n’aurait pas tardé à se manifester et les désirs destructeurs se seraient retournés contre les membres du groupe. En effet, la motivation secrète du jaloux aurait ressurgi avec force : être le premier, capter cette gloire si désirable.

La volonté assassine. La jalousie ne se satisfait que de la disparition de sa cause, en l’occurrence la personne du jalousé. Or, si la colère s’arrête lorsque justice est faite, la haine ne s’arrête que lorsque la personne haïe est détruite. C’est donc que le jaloux est secrètement animé par la haine.

Le processus collectif d’embalement mimétique. Daniel ne sert-il pas aussi de bouc émissaire à la violence collective ? Nous venons de le dire, les jaloux sont habités par une haine destructrice qui menace constamment de se retourner contre les jaloux eux-mêmes. Daniel leur sert de dérivatif momentané…

 

À travers la description précise de cet embalement jaloux, la Bible ne propose-t-elle pas le démontage d’une des plus fréquentes structures de péché ? En effet, n’est-il pas significatif qu’il mette en scène plusieurs personnes dont aucune n’est nommée, à l’image de l’anonymat de la structure. On rencontre ces mécanismes jaloux dans nombre de collectivités, entreprises, communautés.

En plus d’être l’exécuteur de la sentence, la voracité du lion est le symbole de cette passion autolytique qu’est la jalousie. Travaillant pour la gloire de Dieu et refusant la gloire humaine autant que la comparaison, Daniel échappe à la jalousie et demeure ainsi intouché par les lions. En revanche, celui que mord la jalousie finit dévoré par sa propre maladie.

Enfin, l’attitude du prophète suggère le remède à la jalousie. On l’a dit : il ne se vit pas sur le mode du manque, il ne cherche pas la vaine gloire de ce monde. Sa vie est donc remplie autrement : par la confiance en Dieu qu’il sert et dont il sait qu’il récompense chacun avec une parfaite justice.

Pascal Ide

 

1.12.2020
 

Les commentaires sont fermés.