Les papes et la médecine : Les compétences du soignant

Françoise Caravano et Pascal Ide, « Quarante ans de discours pontificaux sur la santé (1939 à 1978). Regards de Pie XII, Jean XXIII et Paul VI sur le monde de la santé », Archivum Historiæ Pontificiæ, 39 (2001), p. 151-289.

Autant le second groupe tire clairement sa raison d’être des divers types de publics à qui Pie XII a adressés ses discours, autant la raison d’être de ce troisième groupe n’apparaît pas évidente de prime abord. Nous entendons par compétences, les qualités ou ce que les philosophes grecs appelaient les vertus (exis), ce sur-être qui perfectionne l’agir et lui permet d’atteindre son but aisément et sans erreur.

On verra que ces compétences se répartissent en trois groupes : intellectuelles, techniques et morales. Il faudra leur joindre les moyens de leur acquisition.

30) Les vertus du soignant en général

J’entends ici vertu au sens classique, élaboré par les Grecs (arété), que rend approximativement des termes comme qualités, ressources, compétences.

a) Distinction des vertus

Un médecin doit veiller à développer trois sortes de vertus : intellectuelles, techniques et éthiques. On pourrait les symboliser à partir de trois organes : la tête, la main et le cœur, ce qu’un médecin anglais synthétisait en disant que les compétences d’un médecin se résume en trois H : Head, Hand, Heart.

Jamais Pie XII ne systématise pas ainsi les choses. Mais, à le lire attentivement, on retrouve cette distinction dans de nombreux discours. Comme nous avons pu le voir dans les discours aux spécialistes, le pape détaille souvent les vertus nécessaires à leur spécialité en distinguant les trois volets : compétences scientifiques, qualités de l’homme de l’art et exigences éthiques (M 19, 422 ; H 2, 325-326 ; I 3, 204 ; M 50, 342 ; M 54, 565-566-567).

Donnons-en deux illustrations autres que celles déjà citées : « Vous êtes des hommes de dévouement qui, dans un esprit d’admirable sacrifice personnel, avez consacré les forces de votre intelligence, de votre cœur et de votre corps à ce bien essentiel de l’individu et de la communauté qu’est la vie ». (M 42, 305) Les forces de l’intelligence s’identifient aux compétences intellectuelles, celles du cœur aux vertus morales et celles du corps aux compétences techniques, plus incarnées. Autre exemple : « Le médecin ne répondrait pas pleinement à l’idéal de sa vocation si, mettant à profit les plus récents progrès de la science et de l’art médical, il ne faisait entrer en jeu, dans son rôle de praticien, que son intelligence et son habileté ; s’il n’y apportait aussi, son cœur d’homme […]. Il n’agit efficacement sur le corps que s’il agit en même temps sur l’esprit ». (M 8, 409) Ici, Pie XII nomme précisément la science et l’art médical, à quoi se rapportent respectivement intelligence et habileté, puis il ajoute le troisième volet, éthique, qui est ici désigné par son symbole, le cœur.

Si l’on voulait être complet, il faudrait dire que Pie XII fait aussi parfois appel à une autre distinction : celle des vertus humaines et des vertus surnaturelles (parfois appelées, non sans ambiguïté, spirituelles). Les premières trouvent leur source dans l’effort de la liberté et leur but dans l’humanisation de la personne, les secondes sont infuses par Dieu et sont finalisées par la divinisation de l’être humain. Les trois vertus ci-dessus font partie des vertus humaines ; les vertus surnaturelles regroupent les vertus théologales et les vertus morales infuses (notamment les vertus évangéliques).

b) Union des vertus

Si distinctes soient ces vertus, elles sont appelées à composer un « organisme » équilibré. Aussi le praticien doit-il veiller à développer harmonieusement ces trois sortes de qualités.

Pie XII met notamment en garde les médecins de ne pas favoriser l’art et la connaissance scientifique au détriment des valeurs morales : « L’extension du champ des connaissances acquises […] et le perfectionnement des techniques capables de secourir le patient s’imposent comme un devoir au médecin spécialiste mais doivent aller de pair avec des sentiments de compréhension humaine et de profonde charité ». (M 50, 342) Nous y reviendrons.

Le Saint-Père détaille cette harmonie dans un texte où il parle aussi du rôle d’une culture donnée (ici la culture latine) dans la croissance des vertus : « Reconnaître les grandes normes de la morale médicale admises tout naturellement dans notre profession, rejeter sans compromission tout ce qui en est indigne, tenir en haute estime l’honneur médical véritable, ne pas supporter la présence au sein des associations professionnelles de ceux qui se mettent en contradiction avec les normes ; voilà quelques éléments, parmi beaucoup d’autres, qui constituent la richesse personnelle intime du médecin, bien au-delà du savoir de la technique pure. La culture latine apporte ici au médecin, dans sa vivante tradition, les biens spirituels les plus précieux. Elle éduque en lui la noblesse de cœur, la magnanimité des décisions, la compréhension et l’ouverture aux sentiments et à la souffrance d’autrui. Il est impossible d’entrer en relation avec des hommes pénétrés de ces valeurs profondes, de les approcher spirituellement, sans en retirer quelque profit, sans voir s’effacer les aspects négatifs que chacun porte en soi et se renforcer les tendances positives, transformées en caractères volontairement acquis ». (M 27, 73-74)

31) La compétence intellectuelle

a) Nécessité d’une compétence intellectuelle

En abordant les diverses spécialités médicales dans ces discours, Pie XII traite toujours des qualités intellectuelles qui, à côté des dispositions techniques et morales, sont requises pour l’exercice de ces spécialités. Par exemple, s’adressant aux radiologues, il souligne l’importance des connaissances nécessaires pour le bon usage de la radiothérapie (M 23, 133) ; dans des domaines comme la restauration dentaire, le résultat des activités du praticien dépend essentiellement de sa science (M 45, 490).

A l’inverse, la rigidité intellectuelle peut être un obstacle à la collaboration efficace et donc à la compétence de l’équipe soignante : « Le plus souvent, une certaine étroitesse de jugement qui, volontairement ou non, refuse d’élargir ses horizons, de tenir compte de tous les éléments d’une situation, empêche l’intéressé d’apercevoir les insuffisances de son action personnelle et la nécessité d’accepter l’intervention d’autrui […]. Il n’est pas aisé non plus d’admettre qu’un plus jeune, malgré sa moindre expérience, puisse avoir des idées plus fécondes ». (S 4, 420) De même, l’habitude et la routine sont un obstacle à la compétence (S 4, 420).

b) Moyens d’acquisition

Pour obtenir une réelle compétence intellectuelle, les médecins doivent longuement se former. Leurs études proprement médicales doivent toujours conjuguer deux directions (cf. Médecine spécialisée : 11*) : « l’étude analytique de la structure et de la fonction d’un organe ou d’un appareil déterminé » et l’étude « des relations de celui-ci avec les autres organes » (M 50, 340).

Cette compétence s’acquiert autant par l’étude des dernières découvertes que par sa propre expérience (M 6, 197). Elle demande, selon les termes, de Pie XII « un labeur acharné » (M 50, 344) et une formation continue (cf. Formation universitaire et post-universitaire : 39*). Elle s’acquiert aussi par le partage de l’expérience entre confrères. La constatation suivante, adressée aux chirurgiens, est universalisable à tout le champ médical : « Vous vous faites un trésor des résultats de votre propre expérience qui s’enrichit des observations échangées avec vos collègues ». (M 6, 197) Enfin, ainsi qu’on l’a déjà souligné, la compétence intellectuelle nécessite une vision unitaire de l’être humain dont la formation polyvalente du généraliste est le gardien (M 20, 483).

c) En particulier

Dans les paragraphes consacrés à telle ou telle spécialité (13* à 20*), nous avons vu que Pie XII cite parfois certaines qualités intellectuelles qui leur sont spécifiques. C’est ainsi que, face à la variabilité des signes cliniques et éléctrocardiographiques de la sclérose coronarienne, il souligne la nécessité d’une grande intuition chez le cardiologue (M 32, 253).

32) La compétence technique

a) Nécessité d’une compétence technique

Pie XII aborde peu les questions relevant directement de l’art médical. « Il ne nous appartient pas de porter un jugement sur les aspects proprement techniques de vos travaux ; nous voudrions, par contre, envisager brièvement certaines implications morales des questions que vous abordez du point de vue scientifique ». (M 34, 312)

Toutefois, il donne occasionnellement des précisions sur les qualifications techniques spécifiques requises par certaines spécialités plus « manuelles » comme la chirurgie ou l’orthodontie : « Mais la simple étude théorique, si intense soit-elle, dit-il à des chirurgiens, n’est pas suffisante ; vous devez y joindre un autre travail, lui aussi persévérant et continu, travail plus intérieur et plus profond, de formation et de dressage strictement personnel dans l’exercice […] de vos aptitudes physiques, de vos sens et de vos doigts ». (M 6, 197). La compétence technique du chirurgien plasticien requiert en plus un certain sens artistique : « Mais la chirurgie plastique tout en cultivant un secteur limité du très vaste et admirable domaine de la chirurgie générale a la particularité d’être, pour ainsi dire, un art, non seulement dans le sens générique d’œuvre entreprise selon les normes déterminées, mais en raison de ce «sens artistique» qui est exigé ». (M 54, 567) De même, dans ses discours aux chirurgiens dentistes, Pie XII souligne la nécessité de posséder une grande habileté naturelle et une grande précision du geste (M 4, 327) ; ceci, quels que soient les progrès techniques (M 45, 490).

b) Relations de la technique et de l’éthique

Bien évidemment, l’art médical est une discipline autonome douée de ses lois propres. Le médecin « veut aussi voir clair dans la question des possibilités et de l’obligation morales. Nous voudrions, en quelques traits, exposer les principes essentiels qui permettent de répondre à cette question. L’application au cas particulier, vous le ferez vous-mêmes en tant que médecins, parce que souvent seul le médecin pénètre à fond le donné médical, en soi et ses effets, et parce que sans une connaissance exacte du fait médical, il est impossible de déterminer quel principe moral s’applique aux traitements en cause. Le médecin envisage donc l’aspect médical du cas ; le moraliste, les normes morales ». (M 13, 455. C’est moi qui souligne)

Mais distinction n’est pas séparation étanche. Pie XII continue : « Ordinairement, en s’expliquant et en se complétant mutuellement, ces données rendront possible un jugement sûr sur la licéité morale du cas dans sa situation tout à fait concrète ». (Ibid.) Dans un discours important aux médecins catholiques, le 29 septembre 1949, Pie XII fut conduit à préciser le rapport de finalité existant entre la technique et l’éthique. La technique est moralement neutre, seule son utilisation est finalisée par la morale.

Pie XII montre par exemple comment les valeurs éthiques sont le moteur le plus efficace pour perfectionner la technique elle-même. Cela est par exemple vrai pour le chirurgien plasticien : « devant l’abondance des brillants résultats déjà obtenus […], il est permis d’en attendre de plus admirables dans l’avenir, grâce à l’étude assidue et à la technique de plus en plus perfectionnée de ses insignes spécialistes, dont l’intérêt est stimulé par un haut sens d’humanité et souvent d’esprit religieux ». (M 54, 569)

De plus, Pie XII met en garde le praticien contre la « fascination de la technique » qui fait oublier le service de l’homme et lui subordonne le seul progrès technique (M 8, 410). « Autre chose, surtout l’investigation respectueuse, qui révèle la beauté de Dieu dans le miroir de ses œuvres, sa puissance dans les forces de la nature ; autre chose, la déification de cette nature et des forces matérielles dans la négation de leur auteur ». (M 8, 410) En effet, une telle attitude instrumentalise la personne : « Toutefois, il n’est pas rare que d’autres fins secondaires, plus proches, plus attirantes, plus utiles immédiatement peut-être, sollicitent leur intérêt et fassent s’estomper pour quelque temps la prépondérance de la fin principale. Vous n’ignorez pas la possibilité de voir le malade traité, non comme une personne, mais comme un cas, que l’on étudie ou sur lequel on expérimente. Il arrive que des investigations dangereuses soient entreprises pour parfaire le diagnostic, alors qu’elles n’auraient pas une utilité réelle pour l’application du traitement, ou que le malade subisse les conséquences fâcheuses de mesures administratives visant à assurer d’abord la commodité des services. En ces cas, l’élément humain personnel est relégué au second plan, malgré son importance déterminante ». (S 4, 422)

c) L’art médical selon les spécialités

Pie XII développe avec une précision étonnante les aspects techniques que revêtent les différentes spécialités auxquelles il est amené à s’adresser.

C’est ainsi qu’il détaille : l’art du chirurgien avant, pendant et après l’intervention (M 6, 197-200) ; comment les progrès techniques dans l’art orthodontique ont permis l’éclosion d’une nouvelle spécialité, l’orthopédie dento-maxillo-faciale (M 14, 509) et la lutte contre la douleur dans cette spécialité (M 45, 490-491) ; l’apport des progrès techniques récents en ophtalmologie (M 16, 276) ; l’essor de l’histologie sous l’impulsion de l’ultramicroscopie (M 40, 705) ; le double sens de l’art médical en chirurgie plastique : « Mais la chirurgie plastique, tout en cultivant un secteur limité du très vaste et admirable domaine de la chirurgie générale a la particularité d’être, pour ainsi dire, un art, non seulement dans le sens générique d’œuvre entreprise selon des normes déterminées, mais en raison de ce ‘sens artistique’ qui est exigé et qui se manifeste chez quiconque s’applique à résoudre ingénieusement des problèmes toujours différents, ou visant à en donner une solution également esthétique ». (M 54, 567) Etc.

33) La morale médicale générale

a) Nécessité d’une éthique

Il n’y a pas un seul aspect de la médecine et du paramédical qui échappe à la régulation éthique (M 1, 206 et M 2, 46).

1’) Pour le médecin

Une éthique médicale est nécessaire parce que le médecin ne traite pas une matière inerte, si précieuse qu’elle soit, mais un homme comme lui, son semblable, son frère, qui souffre entre ses mains (M 1, 201 ; cf. aussi M 23, 135). Cette dimension éthique comme partie intégrante de la vocation médicale est attestée dès l’Antiquité par l’exemple d’Hippocrate (M 25, 362). Aussi l’étude de l’amélioration de la santé doit-elle tenir compte des impératifs moraux (S 4, 421).

On l’a déjà dit à de multiples reprises, l’éthique médicale fonde ses normes sur l’anthropologie : la « complexité réelle, l’harmonie nécessaire (corps, esprit) [de l’homme] dictent au médecin son devoir ». Plus précisément, « en formant l’homme, Dieu a réglé chacune de ses fonctions, il les a distribuées parmi les divers organes » et « il ne peut donc permettre à l’homme de régler la vie et les fonctions de ses organes suivant son bon plaisir, d’une façon contraire aux buts internes et constants qui leur ont été assigné ». Or, « l’homme n’est pas le propriétaire, le maître absolu de son corps, il en est seulement l’usufruitier ». C’est donc »les principes et normes qui règlent l’usage et le droit de disposer des organes et des membres du corps, et qui s’imposent également à l’intéressé et au médecin appelé à le conseiller ». (M 1, 202-203).

L’éthique médicale s’étend à toute la pratique clinique, à l’acte chirurgical (M 6, 199) et à l’hôpital (S 4, 420) comme à la médecine familiale (M 9, 379-380) et à la recherche (M 26, 391 et M 13, 464). Elle couvre autant l’établissement des critères diagnostiques que le traitement (M 6, 198).

Enfin, Pie XII soulève une difficulté classique : l’éthique serait-elle une entrave au progrès technique ? Il répond positivement en faisant appel à une image : « les exigences morales forcent le flot impétueux de la pensée et du vouloir humain à couler dans un lit déterminé ; elles le contiennent pour accroître son efficacité et son utilité […]. Apparemment les exigences morales sont un frein. En fait, elles apportent leur contribution à ce que l’homme a produit de meilleur et de plus beau pour la science, pour l’individu, pour la communauté ». (M 13, 465)

2’) Pour les autres membres du personnel soignant

L’éthique est tout aussi nécessaire pour la pratique clinique de l’infirmier (I 3, 205 à 207), et plus spécifiquement de l’infirmière (I 2, 205 ; I 6, 261 pour l’infirmier psychiatrique). Il en est de même pour le pharmacien (P 1, 347 et P 2, 352), notamment le chercheur (P 3, 353).

Cette exigence éthique et le développement de la conscience professionnelle qu’elle implique sont encore accrue dans le milieu hospitalier (H 2, 326) : en effet, de par sa nature, la structure, l’institution pousse à négliger la relation au malade (H 3, 399).

b) Nécessité d’une instance assurant l’application de l’éthique médicale

« La conscience médicale éprouve […] le besoin d’un contrôle et d’une sanction visibles ». Elle en trouve déjà une dans l’opinion publique. Une seconde instance est fournie par « le contrôle exercé sur chaque médecin par ses collègues » : c’est toute la fonction de l’Ordre. Mais il y aurait aussi lieu, selon Pie XII, de créer un Ordre international de médecins qui serait garant de la morale professionnelle. Voire le pape propose de former la conscience morale des médecins par des cours de déontologie intégrés à l’enseignement universitaire et par un serment professionnel « identique dans les différents pays » que l’on prêterait devant les « délégués de l’Ordre International » (M 22, 538-539). Comme on le voit, la pensée du pape, très concrète, a l’amplitude mondiale de l’univers en expansion dans lequel il vit.

c) Contenu des normes

1’) En général

Le discernement sur le bon usage de nouvelles techniques médicales invoque souvent trois critères éthiques : l’intérêt du patient, celui de la science médicale et celui de la communauté ou bonum commune (cf. l’étude détaillée en M 13, notamment 456-464). La juste utilisation de ces trois critères appellent deux remarques.

D’abord, le premier critère, si important soit-il, n’est pas un absolu. Certes, « l’intérêt du patient » fournit en de très nombreux cas la justification morale de la conduite du médecin. Il demeure que l’érection de ce principe en valeur ultime est périlleuse et aliénante : le bien du malade ne dépend pas de son seul bon plaisir et de son consentement ; il se fonde aussi, très objectivement (M 37, 517) sur « la téléologie immanente fixée par la nature » (M 13, 457), autrement dit sur la structure ontologique du corps. Dès lors, ce qui a été rappelé ci-dessus sur la constitution objective de la personne prend toute sa valeur.

Le troisième critère ne peut pas plus être absolutisé. Que Pie XII développe tout particulièrement la question de l’intérêt d’Etat n’est pas pour étonner (cf. Déontologie médicale : 40*), lorsqu’on sait les effrayantes révélations de l’après-seconde guerre mondiale (M 13, 661). Paul VI reviendra aussi sur la question du primat de la personne sur le bonum commune (M 64, 1005 et 1006).

Pie XII souligne enfin que ses réflexions ne se veulent ni closes ni exhaustives ; il souhaite notamment un développement éthique précis de l’application du principe de totalité (« civitas propter cives, non cives propter civitatem » ).

2’) En détail

Les principes éthiques (tant les normes que les vertus à acquérir) furent détaillés à l’occasion des exposés plus spécialisés. Pie XII propose aussi à l’occasion quelques développements sur le caractère objectif de l’éthique (et son corollaire : l’enseignement obligatoire en médecine), sur ses rapports précis avec le droit (positif) (cf. Déontologie médicale : 40* et M 37, 516-520).

34) La prudence médicale

Bien entendu, ce terme emprunte aux catégories de la philosophie et de la théologie morales traditionnelles, à savoir la distinction des vertus cardinales dont la première systématisation se rencontre chez les stoïciens, pour les appliquer à la médecine. Pie XII ne parle pas spécifiquement de vertu de prudence médicale, pas plus que de celles de justice médicale et de courage médical qui seront développées dans les paragraphes suivants (35* et 37*). Cependant, si le nom n’y est pas, la réalité est bien présente. Ces notions permettent une classification commode de réalités qu’on serait sans cela appelé à méconnaître ou ne pas individualiser de manière précise.

a) Nature

Appliquant la définition classique de la prudence médicale sera le droit habitus de la raison pratique du médecin, appliquant ses actions diagnostique et thérapeutique à la réalisation de la santé du patient [1]. Qu’il le sache ou non, le médecin développe et emploie donc cette vertu lorsqu’il ordonne son agir au bien, à la finalité qu’est le retour du patient à la santé.

b) Nécessité

1’) Raison technique

Le médecin ne le sait que trop : entre les principes qu’on lui enseigne et la pratique, la distance est parfois longue. Elle est notamment due à la contingence des applications, cette contingence étant elle-même liée à de multiples facteurs. Faisant appel à la prévoyance, la circonspection, la sagacité, l’esprit de décision, la perspicacité, la prudence a pour fonction non pas de pallier aux lacunes de la science médicale mais à conduire cette pratique au sein de cette « matière » contingente : « Les sciences de la vie, plus que d’autres, laissent place à des lacunes, à des éléments imprévisibles, et imposent au praticien une intervention prompte et avisée, sachant parfois s’affranchir des règles les mieux établies ». (M 32, 254)

2’) Raison morale

La prudence intervient aussi pour une juste harmonisation des exigences techniques de l’art médical prenne et des normes éthiques. A ce sujet, dès son premier discours, Pie XII évoque comment la prudence médicale grandit lorsque le médecin est membre d’organisations débattant des problèmes éthiques auxquels s’affronte l’art médical : l’union médico-biologique St Luc « offre aussi un autre avantage : celui de faciliter dans la pratique professionnelle la solution conformément à la loi morale, de cas particulièrement difficiles ». (M 1, 207)

3’) Raison intellectuelle

Enfin, si la prudence est une vertu éminemment nécessaire pour la pratique médicale, elle l’est aussi dans l’obtention de nouvelles connaissances médicales. Le Saint-Père y fait allusion en traitant de la recherche en psychologie des profondeurs ou en génétique évolutionniste : la prudence permet notamment d’éviter les fausses interprétations (M 15, 146 ; M 18, 400).

c) Espèces

La prudence médicale se diversifie en fonction des spécialités. C’est ainsi qu’il existe :

– une prudence psychiatrique qui préside à la décision du psychanalyste de rompre certains secrets de son patient (M 15, 145) ;

– une prudence du chercheur qui l’aide à dissocier les faits de leur interprétation (M 18, 394 et M 18, 400) ;

– une prudence en anesthésiologie faite essentiellement de prévoyance de l’incident éventuel et d’attention pendant le déroulement de l’opération (M 41, 40) ;

– une prudence chirurgicale, la responsabilité du chirurgien étant plus gravement engagée dans la décision d’opérer que dans l’institution d’un traitement médical (M 6, 197) ;

– une prudence du médecin expert qui consiste à « présenter les faits médicaux comme des faits, leur interprétation médicale, comme une interprétation, les conclusions médicales telles quelles, les avis médicaux, comme des avis » (M 21, 495) ;

– une prudence oncologique très particulière liée aux conséquences des traitements et à la diversité de ceux-ci : « Il importe de percevoir nettement le but à atteindre et la manière dont il faudra doser chacun des procédés. Avant tout, que le praticien considère l’homme tout entier, dans l’unité de sa personne, c’est-à-dire non seulement son état physique, mais aussi sa psychologie, son idéal moral et spirituel et la place qu’il occupe dans son milieu social. Dans chaque cas, s’impose au médecin une réflexion approfondie, une véritable méditation, où les facteurs d’ordre humain entreraient en ligne de compte bien plus que les autres. Quelle responsabilité pour celui qui tient en main les décisions dernières ! » (M 36, 478)

d) Exercice

La prudence médicale intervient à chaque moment de la pratique, depuis la formation et la recherche jusqu’à l’application du traitement.

1’) La formation du praticien

Elle veille dès la formation du praticien : « Un sens vivant de votre responsabilité à l’égard de l’individu et de la communauté stimulera votre étude constante complétée par une expérience clinique consciencieuse ». (M 48, 261)

Elle s’exerce aussi à travers certaines qualités telles que la docilité à se laisser conseiller ou enseigner (M 54, 567) et la sagacité (M 33, 262) : « Avec sagacité et persévérance, vous tentez d’explorer toutes les issues possibles à tant de situations difficiles » (M 53, 513). Un esprit ouvert permet de progresser dans la connaissance de l’art médical (M 53, 513).

2’) Le diagnostic

La prudence médicale guide l’étape diagnostique : elle permet d’éviter la minimisation ou l’exagération du mal qui risquerait de rendre inadapté le traitement (M 36, 478).

De plus, un praticien prudent sait passer la main quand sa compétence diagnostique lui semble dépassée : « Là où échouera le médecin isolé, un groupe de spécialistes bien entraînés n’aura pas de peine à formuler un jugement sûr et à orienter le malade vers les solutions les plus indiquées ». (M 36, 478)

3’) Le traitement

Dans l’étape thérapeutique, la prudence médicale s’exerce à travers les qualités telles que la prévoyance, qui doit être particulièrement développée en anesthésiologie (M 41, 40 et 42), mais aussi la circonspection (M 22, 532 ; M 2, 45). La mémoire de l’histoire évite les erreurs passées et réveille les notions oubliées (M 25, 362). La preudence donne une grande souplesse d’esprit dans l’application de son art médical : « Les sciences de la vie, plus que d’autres, laissent place à des lacunes, à des éléments imprévisibles, et imposent au praticien une intervention prompte et avisée, sachant parfois s’affranchir des règles les mieux établies ». (M 32, 254)

L’exercice de la prudence médicale sera facilité par ce que saint Thomas d’Aquin, à la suite d’Aristote [2], appelle les vertus annexes de la prudence telles que le bon sens, la perspicacité (M 6, 199), le sens de la décision et de la responsabilité (M 22, 536 ; M 6, 197 ; M 36, 478) et encore l’attention (M 41, 43 ; M 6, 199).

4’) La lutte contre les imprudences

Enfin, le Saint-Père met en garde le praticien en diverses occasions contre des dispositions contraires à la prudence médicale : la précipitation du jugement, qui guette beaucoup le chercheur (M 18, 394), la témérité qui menace plus le chirurgien (M 27, 76). Pie XII évoque aussi la négligence qui peut se glisser dans les différentes étapes du diagnostic et du traitement (M 33, 260 ; M 34, 315 ; M 22, 540).

Cette imprudence concerne aussi les malades trop pusillanimes face à la nécessité de consulter le médecin ou devant une alternative de traitement (M 10, 391).

35) La justice médicale

Pie XII a assez peu abordé le thème de la justice médicale en général. En revanche, il s’est attaché à décrire le droit médical, sa nature, sa finalité, ses liens avec la morale médicale dans de longs développements (M 1, M 22, M 37).

a) Nature

La vertu de justice médicale est l’habitus par lequel le médecin cherche à procurer, d’une perpétuelle et constante volonté, au malade ce qu’il lui doit, à savoir la santé [3]. Le médecin sera juste s’il s’a-juste à sa finalité qui est de faire recouvrir la santé au patient. Mais, comme on l’a vu, la santé ne se réduit pas à une caractéristique corporelle ; elle prend en compte l’homme en sa totalité. Aussi le médecin sera-t-il qualifié de juste s’il cherche le bien de la santé en relation avec l’homme intégral : « Avant tout, que le praticien considère l’homme tout entier, dans l’unité de sa personne, c’est-à-dire non seulement son état physique, mais aussi sa psychologie, son idéal moral et spirituel et la place qu’il occupe dans son milieu social […]. Dans chaque cas, s’impose au médecin une réflexion approfondie, une véritable méditation, où les facteurs d’ordre humain entreront en ligne de compte bien plus que les autres ». (M 36, 479) [4]

b) Exercice

L’exercice de la justice fait appel à différentes qualités. Soulignons-en deux, auxquelles nous joindrons une troisième.

La probité est une vertu qui revient souvent dans l’énumération que fait Pie XII des qualités caractérisant le médecin chercheur : « Qui ne soupçonne ce qu’il faut parfois, au chercheur et à l’expérimentateur, de patience et de dévouement à la science pour ne pas se contenter d’une certaine approximation, pour ne pas majorer les résultats obtenus, pour garder constamment et jusqu’au bout la parfaite probité scientifique, sans laquelle il ne saurait y avoir d’acquisition définitive ». (M 23, 133-134). « Mais aussi comment ne pas admirer la ténacité des chercheurs et l’exigeante probité, qui les poussent à ne point se contenter d’estimations approximatives » (D 0, 206). A cette probité s’attache le respect minutieux des faits cliniques et le refus des jugements prématurés : « D’abord s’impose l’observation attentive et toujours contrôlée des faits. Sans symptomatologie, la médecine, en effet, resterait impuissante. On y rattache l’étiologie ». (M 27, 75)

Pie XII souligne aussi l’obéissance que l’infirmière psychiatrique doit à l’autorité médicale. Il demeure que cette obéissance n’est en rien une démission de l’intelligence de celui qui obéit ; elle doit être éclairée par des valeurs morales solidement ancrées (I 6, 461).

Enfin, le pape fait appel à ce surcroît de la justice qu’est la miséricorde lorsqu’il évoque la nécessité pour les pharmaciens de mettre une marge humanitaire au juste prix des médicaments : « de grâce, et dans le souci de votre propre dignité, veuillez ne pas exiger un prix supérieur au juste prix […]. Qu’il y ait une marge humanitaire sur les prix imposés : d’homme à homme, la pitié est un devoir sacré ». (P 2, 352)

36) La vérité en médecine

La vertu de vérité, composante de la justice médicale, est traitée dans un paragraphe à part compte tenu des nombreuses interventions de Pie XII à son propos. Elle comporte deux aspects.

a) La vérité dans la recherche scientifique

C’est dans son discours aux médecins généticiens en septembre 1953 que Pie XII aborde le plus en profondeur la question de la vérité et son importance dans la pratique médicale, surtout dans la recherche biomédicale. Citant la lettre d’un médecin (M 18, 401), il montre notamment comment une science telle que la génétique peut, malgré d’immenses progrès techniques, conduire à des déviations doctrinales gravissimes comme le racisme, etc.

1’) Définition

Pie XII propose une distinction essentielle : « Les exigences fondamentales de la connaissance scientifique sont la vérité et la véracité ».

La vérité est la caractéristique objective d’un discours, à savoir son adéquation à la réalité. « La vérité doit s’entendre comme l’accord du jugement de l’homme avec la réalité de l’être et de l’action des choses elles-mêmes, par opposition avec les représentations et les idées que l’esprit y introduit ». (M 18, 396) La vérité est notamment une qualité essentielle requise dans l’expertise médicale : « L’expert peut-il en vertu de la conviction personnelle conférer à son jugement une précision et une force qui dépassent les bases médicales prises matériellement ? […] Cette note personnelle doit apparaître comme telle au juge ». (M 21, 497-498) Il est d’autant plus important de le rappeler que nous courons actuellement le danger de nier l’existence d’une vérité objective (M 18, 396).

La véracité, elle, est une vertu du sujet, ici le chercheur ou le praticien, à savoir l’accord entre la vie et la parole, autrement dit entre les convictions personnelles du chercheur et les positions scientifiques qu’il exprime dans la parole et l’écrit (cf. M 18, 397).

2’) Critères de discernement

Appliquant cette définition de la vérité (objective) à la recherche scientifique, Pie XII propose, au fil des discours, différents critères pour reconnaître cette vérité.

a’) La non-contradiction

Pour être vraies, les conclusions d’une science doivent être en accord avec les conclusions des autres disciplines concernant le même objet : « il est rare qu’une seule science s’occupe d’un objet déterminé. Elles sont souvent plusieurs qui le traitent chacune sous un aspect différent. Si leur enquête est correcte, la contradiction entre leurs résultats est impossible, car cela supposerait une contradiction dans la réalité ontologique. Or, la réalité ontologique ne peut se contredire ». (M 18, 398-399)

Voici un exemple : « Les conclusions de la génétique […] ne suffisent pas à expliquer l’unité de la nature de l’homme, sa connaissance intellectuelle, et sa libre détermination […] la psychologie et la métaphysique ou ontologie doivent intervenir ici ». (M 18, 398)

b’) La distinction du fait et de l’interprétation

Il faut distinguer les faits, par nature indubitables, et leur interprétation ou leur systématisation, même scientifique : « Le fait est toujours vrai, parce qu’il ne peut y avoir d’erreur ontologique. Mais il n’en va pas ainsi dans son élaboration scientifique ». (M 18, 397) Les énoncés scientifiques sont vraies dans la mesure où elles répondent à la réalité objective. Elles ne doivent pas la vérité de leur contenu aux idées morales et religieuses de leurs auteurs (M 30, 28-29) et l’utilisateur peut sans risque d’erreur les dissocier de leur interprétation ou de leur systématisation si celles-ci sont erronées (M 30, 29).

c’) La conformité avec les données certaines de la raison et de la foi

« Mais que les psychologies théorique et pratique restent conscientes, l’une et l’autre, qu’elles ne peuvent perdre de vue ni les vérités établies par la raison et par la foi, ni les préceptes obligatoires de la morale ». (M 15, 140)

b) La vérité dans la pratique clinique dire la vérité au malade ?

Dans la pratique médicale, la question de la vérité se présente sous une autre forme : comment permettre au malade d’appréhender la vérité sur le mal qui le mine tout en respectant sa personne ?

Pie XII répond en faisant appel à trois principes : d’une part l’obligation générale de dire la vérité ; d’autre part, le devoir de proportionner la parole aux capacités de celui qui la reçoit. A ces deux principes généraux, le pape en joint un troisième lié à une circonstance qui change toutes les données : le devoir absolu de permettre à une personne de se préparer à la vie éternelle. « En vertu de la loi morale, le mensonge n’est permis à personne ; il y a toutefois des cas où le médecin, même s’il est interrogé, ne peut, tout en ne disant pas pourtant une chose absolument fausse, manifester cruellement toute la vérité, spécialement quand il sait que le malade n’aurait pas la force de la supporter. Mais il y a d’autres cas dans lesquels il a indubitablement le devoir de parler clairement, devoir devant lequel doit céder toute autre considération médicale ou humanitaire. Il n’est pas permis de bercer le malade ou les parents dans une sécurité illusoire, au risque de compromettre ainsi le salut éternel du patient ou l’accomplissement des obligations de justice ou de charité ». (M 1, 210 ; cf; I 5, 206 ; M 6, 198)

37) Le courage médical

Une dernière fois, le signifiant nouveau regroupe un signifié bien présent.

a) Nature

La vertu de courage médical est l’habitus par lequel la volonté reste ferme dans le bien moral malgré malgré la crainte suscité par les obstacles que la pratique médicale rencontre [5]. C’est à cette vertu que Pie XII fait allusion lorsqu’il dit : « Sentir le caractère dramatique de cette lutte silencieuse signifie renoncer, lorsque les circonstances font de l’empressement un devoir sacré, à tout indolence coupable ». (H 2, 326)

b) Espèces

A de nombreuses reprises, le pape loue la ténacité et la constance des chercheurs (M 27, 77 ; M 53, 513 ; D 0, 206) : « Les aspects de la microbiologie, que nous venons de parcourir rapidement, mettent en relief mieux que de longues considérations, les qualités intellectuelles et morales requises de ceux qui s’y consacrent et parmi lesquelles nous soulignerons volontiers la ténacité. Qui dira le courage et la persévérance du savant appliqué durant des dizaines d’années à une même recherche, se heurtant à d’invisibles obstacles […] telle ou telle réussite est le fruit de longs efforts systématiques et d’une infinie patience ». (M 19, 422)

Pie XII évoque évoque aussi le courage du cancérologue autant comme chercheur (M 7, 213 ; M 36, 479) que comme médecin (M 36, 478 ; M 39, 602).

Le courage des chirurgiens est fait de constance dans leur formation (M 6, 197) et de patience dans l’exécution de leur tâche minutieuse (M 54, 567). Il leur faut aussi de l’audace et de la persévérance pour progresser dans leur technique : « à leur service se mettent aujourd’hui la charité et la pitié de beaucoup d’hommes compatissants, de même que les progrès de la technique et de la chirurgie scientifique, avec toutes leurs ressources inventives, leur audace et leur persévérance ». (M 33, 262)

Par ailleurs, la patience (I 5, 206) et la fermeté morale (I 5, 207) sont les piliers du courage de l’infirmière. Enfin, Pie XII évoque la nécessité de cette vertu dans l’art du pharmacien (P 2, 350).

c) Exercice

Le courage travaillant aussi à modérer les grands désirs et les hautes ambitions, Pie XII prévient les radiologues de ne pas se laisser griser par les progrès techniques de leur spécialité (M 23, 134).

Si la force est une vertu morale, elle est aussi un don de Dieu : « Nous voudrions en concluant attirer votre attention vers quelque chose de plus haut : nous disions tantôt que la sanction dernière de la conscience médicale est Dieu. Dieu est aussi votre force intime la plus puissante, quand votre profession demande des sacrifices ». (M 22, 544)

38) Les vertus de l’infirmière

a) Les qualités

Pie XII aborde longuement et minutieusement les qualités de la profession d’infirmière lors de son discours aux hôpitaux de Rome le 21 mai 1952. Ainsi qu’on l’a vu, on peut les ranger sous trois chefs :

1’) Les qualités intellectuelles

« Votre profession suppose donc des qualités peu ordinaires : une solide formation spécifique, c’est-à-dire des connaissances techniques sérieusement acquises et constamment tenues à jour, une souplesse d’intelligence capable d’acquérir sans cesse de nouvelles méthodes, d’utiliser de nouveaux instruments et remèdes ». (I 5, 205)

2’) Les qualités techniques

– maîtrise de soi : « un tempérament calme, ordonné, attentif, consciencieux » (I 5, 205) ;

– mémoire, habileté et prévoyance ;

– exactitude et esprit d’observation (I 5, 205) ;

– attention aux ordres reçus et promptitude à les exécuter (I 5, 205).

3’) Les qualités morales

« un tact discret et modeste, sensible et fin » envers le malade, mais aussi envers le médecin et envers ses collègues ;

– patience et dévouement l’empêchant de se cantonner à des horaires de fonctionnaire ou de faire des discriminations (I 5, 205-206) ;

– respect du secret professionnel plus impératif encore dans cette profession (I 5, 206) ;

– véracité et fermeté morale (I 5, 206-207) ;

– et enfin, un grand respect pour le malade et envers « son corps, temple du Saint Esprit, racheté par le précieux sang du Christ, et destiné à la résurrection et à la vie éternelle » (I 5, 206). Ce respect du malade passe aussi par le respect de sa liberté quant à son désir de guérison (I 6, 458).

b) Le « génie » féminin

Le mot « génie » appliqué à la femme est de Jean-Paul II, mais il convient au constat de l’impressionnante proportion de personnel féminin dans le milieu infirmier. Ce fait, estime le pape, s’explique par les qualités plus spécifiquement féminines que cette profession requiert, notamment une attention toute maternelle, une délicatesse et une intuition des besoins de chaque malade (I 2, 205).

c) En particulier

Pie XII s’adresse plus particulièrement aux religieuses infirmières (cf. La spécificité chrétienne de chaque catégorie de soignant : 54*) et à l’infirmière chrétienne travaillant en milieu psychiatrique. En plus des qualités ordinaires, celle-ci doit présenter notamment deux vertus morales : d’une part, un esprit de discernement du bien fondé des méthodes et traitements qu’on lui demande d’exécuter : « Mais comme il s’agit d’une matière ayant des rapports si étroits avec les droits de la personne et comme il est généralement facile pour chacun de se former, sur la base de ses propres expériences et observations intérieures, un jugement sur la valeur ou non d’une méthode déterminée de traitement, il peut se faire que vous trouviez , par un juste discernement, quelque contraste entre ce jugement et les principes naturels chrétiens que vous professez » (I 6, 461) ; d’autre part, la capacité à « créer autour du mal une atmosphère de sérénité et de confiance amicale. Il lui faut donc elle-même vivre cette sérénité et cette harmonie intérieure » (I 6, 462).

Pie XII s’adresse aussi aux puéricultrices : pour accomplir les gestes maternels dont ont tant besoin les enfants privés de leur mère, il faut à celle-ci une solide base de maternité spirituelle (I 6, 462-463).

39) La formation universitaire et post-universitaire

a) Nécessité générale de la formation

Pour acquérir les vertus liées à sa profession, le médecin doit longuement se former (H 2, 325-326). Cette formation est nécessaire au nom même de l’efficacité clinique. Mais elle l’est plus encore au nom de l’éthique : « Posséder une solide culture scientifique » et « continuer toujours à développer et à compléter ses connaissances et ses aptitudes professionnelles est, pour le médecin, un devoir moral au sens strict du mot, parce qu’il concerne une activité qui touche de près les biens essentiels de l’individu et de la communauté ». (M 1, 211)

b) Contenu de la formation

Triple est la formation du médecin : intellectuelle (acquisition de la science médicale), technique (acquisition de l’art médical) et morale (acquisition d’une éthique médicale). En effet, une vertu est une disposition acquise par répétition : elle nécessite donc toute une éducation. Informer n’est pas former.

L’obligation des deux premières formations est évidente pour chacun. Elle apparaît peut-être moins clairement pour la formation éthique et déontologique qui se fait davantage à partir de ses propres expériences et observations intérieures (I 6, 461) que des valeurs objectives (M 48, 261 ; M 50, 342).

Pie XII continue en détaillant les trois obligations en lesquelles s’incarne ce devoir : d’une part pour l’étudiant en médecine (c’est la formation universitaire) ; d’autre part, pour le professeur d’université (ce qui rentre dans le même cadre que le précédent) ; enfin, pour le médecin (et c’est la formation post-universitaire).

c) La formation universitaire

1’) En général

Cette formation essentielle concerne certes les compétences scientifiques, « en vue d’acquérir les connaissances théoriques requises et l’habileté pratique nécessaire dans leur application » (M 23, 121). Mais Pie XII insiste tout particulièrement sur la nécessité d’intégrer à la formation « comme branche obligatoire une exposition systématique de la morale médicale » (M 22, 539 ; cf. aussi M 45, 491). Il suggère aussi qu’un serment couronne les cours de déontologie (M 22, 539).

2’) Quelques spécialités

Pie XII s’adresse à certaines spécialités. Au chirurgien, il rappelle que deux moyens sont à sa disposition : l’étude sérieuse et constante des sciences et des méthodes chirurgicales ; les observations échangées avec ses collègues (M 6, 197). Cependant, habileté et jugement chirurgicaux ne s’acquièrent pas seulement par les livres et les conférences, mais par la pratique assidue et l’expérience clinique dont Pie XII loue la richesse irremplaçable (M 42, 304). A noter qu’un haut sens d’humanité et souvent d’esprit religieux « sont un stimulant dans l’étude et la recherche » (M 54, 569).

De même, le chirurgien dentiste doit joindre en son art, l’« intuition naturelle » et « l’expérience acquise », le « caractère intellectuel » et « l’habileté » de la « préparation » et de « l’exécution ». Et Pie XII d’énumérer les qualités commandées par ces exigences (M 4, 326-327).

Par ailleurs, le pape félicite l’inventivité des congrès diététiques en matière d’éducation alimentaire (M 38, 509).

Enfin, il justifie la longueur et la difficulté des études de pharmacie par l’importance des responsabilités techniques qu’elle entraîne (P1, 348).

d) La formation post-universitaire

Pie XII accorde une importance toute particulière à la formation post-universitaire : « le premier devoir de tout médecin » est d’« augmenter continuellement sa somme de connaissance » (M 3, 48). Le médecin, insiste le pape, doit être « un étudiant à vie » (H 2, 325-326). Se former en permanence constitue « un devoir moral au sens strict du mot ». (M 1, 211) Cette formation post-universitaire qui est aussi un lieu de découverte, dépend en premier lieu du sens de la responsabilité du médecin (M 45, 261).

En particulier, le médecin généraliste veillera à conserver l’orientation polyvalente caractéristique de la faculté.

Le médecin a à sa disposition divers moyens de formation permanente (M 20, 485) : les échanges, les revues et périodiques (M 27, 76), etc. Pie XII souligne dans de nombreux discours l’importance des congrès internationaux pour cette formation intellectuelle, technique et déontologique : « Mieux, peut-être, que les publications, même les plus soignées, les conversations et les discussions personnelles dans les congrès de spécialistes se sont avérées désormais d’une utilité sans pareille. De telles assemblées fournissent par ailleurs aux techniciens un abondant matériel et des renseignements de première main » (M 14, 505). Un autre moyen de progrès réel des connaissances et de leur acquisition est la « collaboration active et sérieuse » qui « ne s’arrête jamais aux critiques négatives » (M 53, 513).

Il en est de même pour les autres professions médicales ou paramédicales, notamment pour les pharmaciens (P 2, 351).

[1] Cf. Pascal Ide, Regards sur médecine et philosophie chrétienne pour une sagesse médicale personnaliste, Thèse de médecine non publiée, Paris, CHU St. Antoine, 1985, Troisième partie, ch. 1, p. 406.

[2] Cf. Aristote, Ethique à Nicomaque, L. VI, ch. 10-11 ; saint Thomas d’Aquin, Somme de théologie, IIa-IIae, q. 51.

[3] Cf. Pascal Ide, Regards sur médecine et philosophie chrétienne, op. cit., ch. 2, p. 418.

[4] Suite à la distinction classique des trois espèces de justice, on pourrait distinguer 1. une justice médicale distributive qui gère les relations au sein de l’équipe soignante ; 2. une justice médicale commutative qui a pour objet la relation médecin-malade mais aussi les relations au sein de l’équipe des soignants ou entre chercheurs (« chacun, en cela, ne se contente pas de recevoir des autres les résultats de leurs travaux, mais s’empresse aussi de donner, d’enrichir la communauté et la science elle-même, des fruits de son labeur » M 27, 76) ; 3. une justice médicale légale (à distinguer de la spécialité qu’est la médecine légale) qui soumet le médecin aux règles délimitées par le droit positif c’est la vertu, partout présente mais jamais nommée, qui aidera le médecin à respecter la déontologie médicale par une adhésion non pas formelle et extérieure, mais convaincue et intérieure.

[5] Cf. Pascal Ide, Regards sur médecine et philosophie chrétienne, op. cit., ch. 3, p. 438.

13.10.2018
 

Les commentaires sont fermés.