L’épée et le miroir de Claudel. Une interprétation du titre

En 1936 (le livre ayant été publié en 1939 chez Gallimard), sortant d’une grave anémie qui l’a rudement frappé, Paul Claudel désormais âgé a consacré aux sept douleurs de la Vierge un ouvrage au titre étonnant : L’épée et le miroir [1]. Depuis longtemps, le poète médite sur les Douleurs de la Mère, au point qu’il donnait à la fille de Doña Prouhèze le nom de Marie Sept-Épées, dont on sait qu’elle est, pour Don Rodrigue, « une épée au travers de son cœur [2] ». Le père Xavier Tilliette, qui introduit le livre avec empathie, observe qu’il forme « un diptyque de la Passion [3] » avec Un Poète regarde la Croix : celui-ci comment les sept Paroles de Jésus en Croix ; celui-là contemple les sept mystères douloureux de Marie inventoriés par la Tradition (la prophétie de Siméon, la fuite en Égypte, l’Enfant Jésus au Temple, la rencontre sur le chemin de Croix, la mort sur la Croix, la descente de Croix et la mise au Tombeau).

Mais revenons au titre. On s’attendrait à trouver l’épée et le bouclier ou le modèle et son miroir, etc. Et si ce rapprochement, qui se réalise différemment, selon les mystères douloureux où ils sont médités (le symbolisme de l’épée est plus présent dans les cinq premiers et celui du miroir davantage dans les deux derniers qui sont plus développés) présentait un sens johannique ? En effet, dans un des très rares passages où il parle du démon, le quatrième évangile noue étroitement ses deux actions, le meurtre et le mensonge : « Depuis le commencement, il a été un meurtrier. Il ne s’est pas tenu dans la vérité, parce qu’il n’y a pas en lui de vérité. Quand il dit le mensonge, il le tire de lui-même, parce qu’il est menteur et père du mensonge » (Jn 8,44).

Or, l’épée, dans la symbolique biblique et poétique, est la douleur que Marie subit, non pas celle qu’elle donnerait (comme Dieu qui blesse l’âme de son absence). Et le miroir est l’instrument de la sagesse, plus, il reçoit l’empreinte de la Sainte Face et le réfléchit pour devenir exemple (ce qui est l’un des sens du terme speculum, « miroir » en latin).

Donc, sans doute de manière insue, le poète et prophète montrerait que la Vierge endolorie est celle qui combat victorieusement l’Ennemi…

Pascal Ide

[1] Cf. Paul Claudel, L’épée et le miroir, dans Le poëte et la Bible, I, éd. Michel Malicet avec la coll. de Dominique Millet et Xavier Tilliette, Paris, Gallimard, 1998.

[2] Paul Claudel, Le soulier de satin, Première Journée, scène 10, Théâtre II, éd. Jacques Madaule et Jacques Petit, coll. « Bibliothèque de la Pléiade » n° 73, Paris, Gallimard, 1965.

[3] Xavier Tilliette, Note, Paul Claudel, L’épée et le miroir, dans Le poëte et la Bible, I, p. 1587.

10.10.2025
 

Les commentaires sont fermés.