Avez-vous entendu parler du potawatomi ? Non, il ne s’agit pas d’un lointain cousin du marsupilami, aussi fictif que l’invention d’André Franquin ! Il s’agit d’une des langues amérindiennes, précisément, une langue algonquienne centrale, qui est parlée aux États-Unis, dans le Michigan, le Wisconsin et le Kansas et au Canada en Ontario. Aujourd’hui, elle est pratiquement éteinte, puisque non seulement la population ethnique n’est composée que de 25 000 personnes, mais le nombre de locuteurs est réduit à 50 [1].
Or, le potawatomi présente cette particularité d’être composé en majorité de verbes : en l’occurrence, 70 % des mots sont des verbes. Par comparaison, l’anglais n’en comporte que 30 % (le reste étant en priorité composé de noms et d’adjectifs).
Or, dans son traité sur l’interprétation, Aristote a relevé que le mot exclut le temps, alors que le verbe l’inclut. Autrement dit, le substantif est intemporel, alors que le verbe conjugué (nous ne parlons pas ici de l’infinitif qui est un verbe substantivé) inscrit le mot dans une histoire. Comme nous sommes des êtres historiques, voilà pourquoi il nous est impossible d’énoncer ou d’écrire une phrase sensée qui soit dénuée de verbe ; et si nous pouvons par exemple dire « Voici l’arbre » en présence de celui-ci, c’est que cette préposition est un mot-valise qui contracte et dissimule un verbe, en l’occurrence « vois » avec une autre préposition, « ici ». En revanche, il nous est possible de prononcer un simple verbe (« Viens ! »), même si une telle expression demeure très limitée.
Venons au philosophe contemporain. L’intuition de fond animant la philosophie de l’action qu’il a élaborée est que toute action agie est portée par une action agissante. Derrière l’acte posé par la volonté, il y a une dynamique jamais en repos qui l’oriente vers une fin qui excède sa nature. L’être humain possède cette caractéristique unique de ne s’achever que dans l’ordre surnaturel. Ainsi, tout acte accompli, achevé tend-il à se dépasser dans un surcroît. Puisque l’action humain s’insère toujours dans un temps et que son résultat, par sa constance, lui échappe relativement, l’on pourrait dire que la philosophie de Blondel est une philosophie du verbe (ou, de manière plus nuancée, qui privilégie le point de vue du verbe), et se distingue des autres philosophies qui sont des philosophies du mot (ou, de manière plus nuancée, qui privilégie le point de vue du mot). Voilà pourquoi, nous nous sommes permis, cum grano salis, de la rapprocher du potawatomi. Pour surmonter la difficulté proverbiale de cette si profonde philosophie blondélienne, faudrait-il prôner sa traduction en potawatomi ?
Pascal Ide
[1] Cf. Charles F. Hockett, « Potawatomi I: Phonemics, Morphophonemics and Morphological Survey », International Journal of American Linguistics, 14 (1948) n° 1, p. 1-10.