Le Cantique des créatures ou la réconciliation de l’homme, du cosmos et de Dieu 2/3

3) Preuve détaillée

Pour savoir en quoi consiste exactement cette communauté entre la nature et l’âme, précisément ces forces obscures, il faut descendre dans le détail du Cantique des créatures et interroger chaque strophe. Chemin faisant, nous ferons appel à la dynamique du don en ses trois temps : la réception (ou don 1), l’appropriation (don 2) et la donation (don 3).

a) Messire frère Soleil

Comme Messire, le Soleil a une dignité particulière. « Le soleil est plus beau que les autres créatures », disait François d’Assise [1]. Or, dans le Cantique, l’ad­jectif « beau » est utilisé à trois reprises, et chaque fois pour qualifier une réalité cosmique qui rayonne, qui est source de chaleur ou de lumière. Donc, « pour François, la matière belle par excellence, c’est la matière rayonnante [2] ». Or, qui dit rayonnement dit don 3. Du soleil jaillit le jour.

Il reste que le Soleil est « frère » : il ne peut donc prétendre être Dieu ; si respec­table et symbolique soit-il, il demeure créature. Plus encore, comme frère, il est proche, consanguin de François. Donc, le soleil exprime une réalité intérieure, anthropologique. Claudel parlait de « tout le soleil qu’il y a en moi [3] ». Laquelle ? Le soleil est le symbole intérieur de la plénitude, une réalité splendide qui coule et pénètre la totalité de l’être : un être solaire est un être plénier. « Les mystiques nous l’ont appris : quand leur recueillement les plonge dans la profondeur de leur être le plus intime, ils trouvent ‘dans leur propre cœur’ l’image du soleil [4] ». Les différentes religions le confirment : les Rois se sont souvent considérés comme fils du soleil, les personnalités d’importance ont toujours estimé qu’elles entretenaient une parenté immédiate avec le dieu solaire ; or, ces personnes sont des élus ; c’est donc que le soleil est le signe de la conscience d’une élec­tion [5].

Plus encore, selon Éloi Leclerc, « le Soleil apparaît ici comme l’image du soi [6] ». Il fait appel ici à l’archétype jungien du soi. Le soi est le l’être total, accompli, to­talement ouvert à sa personnalité plénière. « Le soi, explique Jung, est notre to­talité psychique, faite de conscience et de l’océan infini de l’âme sur lequel elle flotte ». Or, le moi se limite à ce qui est conscient. Donc, « le soi est infiniment plus vaste que le moi [7] ». En traduction plus systématique, le soi me semble être la personne purement ouverte à la totalité du don 1 : non seulement à son intimité, mais aussi au cosmos et à l’Absolu ou Dieu. Il demeure que le soi est du côté du sujet, non de l’objet. Or, Dieu fait partie des réalités auxquelles le soi est ouvert. Par conséquent, jamais le soi ne pourrait s’identifier à Dieu. Voilà pourquoi on ne peut faire de Jung un (vulgaire) panthéiste, ainsi qu’il le dit de la manière la plus claire : « le soi n’est jamais mis en lieu et place de Dieu, mais il peut être un réceptacle pour la grâce divine [8] ». La confusion peut d’autant mieux se com­prendre que, très souvent, le soleil fut le symbole de Dieu lui-même ; voilà pour­quoi « l’image divine et le soi » peuvent apparaître « comme identiques [9] ». Il de­meure que le Soleil est d’abord et avant tout le symbole de l’ouverture réalisée, donc de l’accord profond, de l’harmonie existant entre le soi intérieur, le monde et Dieu. Voilà pourquoi cette image du moi solaire est liée à une expérience de plénitude ; voilà aussi pourquoi François n’a composé le Cantique des créatures qu’au terme de sa vie, de tout un itinéraire intérieure.

b) Sœur Lune et les Étoiles

1’) Sœur Lune

Après le grand frère Soleil, les sœurs de l’ombre. Quel est le sens anthropolo­gique de la Lune ? Nous avons vu que, dans le Cantique des créatures, soleil et lune étaient en couple, mais de polarité contraire : comme frère et sœur. Or, le soleil traduit le rayonnement de la vie, c’est-à-dire « les valeurs religieuses de l’autonomie et de la force, de la souveraineté et de l’intelligence [10] ». Donc, la lune représente les valeurs religieuses contraires, contrastées : elle est le sym­bole de la face nocturne des choses.

C’est ce que confirme le propre de la lune. En effet, la lune meurt à chaque cycle. Elle réconcilie donc l’homme non pas avec la vie mais avec la mort. Mais, de plus, avec ses différentes phases, la lune renaît constamment : « Ce que la lune révèle à l’homme religieux, ce n’est pas seulement que la mort est indisso­lublement liée à la vie, mais aussi, et surtout, que la mort n’est pas définitive, qu’elle est toujours suivie d’une nouvelle naissance [11] ». A l’instar du soleil qui désigne non pas d’abord la réalité objective mais la capacité qui, en l’homme, l’accueille, ainsi la lune est le symbole non de la mort, mais de l’ouverture de l’être humain aux réalités nocturnes et à leur possible dépassement dans une résurrection.

Une autre réalité montre une nouvelle fois que la portée du Cantique des créatures est anthropologique. François est un être équilibré qui accueille autant la vie que la mort possible ; or, les deux symboles, soleil et lune, sont néces­saires pour qu’une âme soit harmonieuse : il va de soi que l’homme seulement lunaire serait aspiré par le gouffre de la mort. Mais, inversement, la survalorisa­tion du jour, du solaire, est le signe d’une volonté de puissance qui nie la limite, la vulnérabilité, le rêve : « Le symbole de la nuit […] n’est pas moins essentiel que le symbole du jour [12] ». Il est révélateur que Nietzsche, si ébloui par le soleil, soit incapable de changer les étoiles :

 

« Ah ! que ne suis-je combe et ténèbres ? Comme je boirais aux sources de lumière et vous bénirais vous aussi, étoiles, petites étincelles et vers luisants du ciel ! et j’aurais joie à vos présents de lu­mière ! Mais je vis dans ma lumière à moi, et je résorbe en moi les flammes qui jaillissent de moi [13] ».

2’) Les Étoiles et leurs qualificatifs

Les étoiles sont dites « claires, précieuses et belles ». Nous avons déjà vu le sens des deux derniers épithètes. Que peut signifier, au plan anthropologique, le premier ? Répondre à cette question oblige à approfondir le sens à donner au symbole de la lune et des étoiles.

« Clair » symbolise la face nocturne de notre être, certaines forces cachées de l’âme. D’abord, en effet, ce terme ne peut manquer d’évoquer Claire, la jeune femme que François associa si étroitement à sa vocation de pauvre. Les biographes n’ont jamais manqué d’établir, en effet, un lien entre le prénom et le qualificatif : « Claire par le nom, plus claire par sa vie [14] ». D’ailleurs, Celano parle ailleurs de « la perle précieuse de sa virginité [15] » ; et « précieuse » est l’un des attributs associés à « claire ». Or, l’entrée de Claire dans la vie spirituelle de François représente l’entrée de la femme. Mais la femme peut se considérer de deux manières : 1. d’abord comme cause suscitant en l’homme la passion, la libido ; or ; ces affects appartiennent à notre origine instinctive et naissent en nous sans nous ; échappant à la lumière de la conscience et de la pure maîtrise, ils constituent donc la face ombrée de notre humanité ; 2. comme symbole : la femme est à la fois l’être autre et la complémentaire de l’homme, comme l’Anima face à l’Animus ; or, l’équilibre de l’être humain et son évolution spirituelle passe par l’intégration de ce pôle féminin, « par l’expérience vécue de l’Anima, du prin­cipe terrestre, qu’il rencontre dans la femme. Son intelligence objective, son monde rationnel des idées, son activité, sont animés par elle et libérés de leur raideur et de leur partialité. C’est seulement lorsque l’homme prend contact avec son éros non rationnel que son Logos devient Esprit vivant [16] ». Donc « claire » évoque toute cette altérité que François et l’homme en général est ap­pelé à domestiquer et spiritualiser. Par conséquent, en qualifiant les astres nocturnes de « claires », le Cantique des créatures, loin d’amputer l’homme, cherche à en intégrer toutes les richesses. On le reverra précisément plus loin.

c) Frère le Vent et Sœur l’Eau

1’) Le lien de Frère le Vent et Sœur l’Eau

La Bible les relie souvent (il est alors parlé du Vent ou d’Esprit) : dès l’origine première, à la création (Gn 1,2) ; lors de la libération d’Israël (Ex 14,21-22) ; lors du don de la loi nouvelle, dans l’Ancien Testament (Ez 36,25-26) et dans le Nouveau Testament (Jn 3,5.8). De même les poètes. Éloi Leclerc cite Claudel : « Et voici le vent qui se lève à son tour sur la terre, le Semeur, le Moissonneur ! Ainsi l’eau continue l’esprit et le supporte et l’alimente [17] ».

2’) La symbolique anthropologique

Or, les citations ci-dessus qui symbolisent vent et eau apparaissent dans des contextes qui ne sont pas dénués de signification anthropologique. De même, d’autres poètes montrent le lien profond existant entre le Soi et les éléments dans leur individualité. Éloi Leclerc cite la phrase étonnante de Gœthe : « Destin de l’homme, comme tu ressembles au vent ! » Celle de Shelley disant au Vent : « Âme ardente, Sois mon âme ! Sois moi-même, ô Impétueux [18] ».

Comme toujours, posons-nous la question : la fraternité de l’homme avec cette force cosmique passe par la médiation de quelle force intérieure mystérieuse ? En d’autres termes : quelle est la signification anthropologique ?

3’) La symbolique de Frère Vent
a’) L’élément

Le Vent est un élément qui présente différentes caractéristiques : son origine est insaisissable : il survient quand il veut et où il veut ; son terme est immaîtri­sable : il disparaît quand il veut et où il veut ; il ignore les barrières. Or, François s’en dit être le frère. C’est donc que, homme du vent, il en accepte la totale li­berté. Or, pour le disciple de Jésus, le Vent est l’Esprit. Voilà pourquoi François disait que son suprême désir était de participer à la grande inspiration divine [19]. Ainsi, « tandis que François écoutait la chanson du vent et s’exposait à son souffle fraternel, son âme dénudée aspirait à s’ouvrir toujours plus largement à l’Esprit du Seigneur [20] ».

Confirmation en est que accepter la totale liberté de l’autre, c’est être totale­ment détaché intérieurement ; il faut donc une âme totalement pauvre pour être frère du Vent. Or, tel est le cas de celui que l’on appelle le Poverello.

b’) Ses manifestations

A notre grand étonnement, frère Vent est le seul élément qui ne soit pas quali­fié. En revanche, il est décliné dans ses manifestations, à savoir : « l’air, le nuage, l’azur calme et tous les temps ». Or, tout le monde préfère un temps. La preuve en est l’universalité de la distinction entre beau et mauvais temps ; le ju­gement de valeur sur lequel tout le monde s’attend est météorologique. Cela si­gnifie donc que François ne choisit pas le temps qu’il aime, ce qui confirme que la fraternisation avec le vent est le signe de l’extrême ouverture et disponibilité de François.

c’) Le symbole théologique

Enfin, François dit du vent et de ses manifestations que, par elles, « tu donnes soutien à tes créatures ». Voilà la raison profonde pour laquelle François chante le Vent. En effet, on sait déjà que le terme vent est identique à celui d’Esprit. Plus encore, le vent est puissant et, sous certains aspects, bienfaisant, vivifiant ; or, tel est le cas du Souffle créateur qui soutient les êtres ; donc, le vent évoque, symbolise la présence créatrice, le Souffle créateur de Dieu.

Mais, là encore, cette symbolisation s’opère dans l’âme, avec le fond obscur sacré qui y est présent. Donc François qui chante frère Vent, fraternise avec la présence au plus profond de lui de ce Souffle créateur. Aimer le vent, c’est ac­cepter la puissance agissante de Dieu en nous. « Cette substance aérienne, dy­namique et hiérophanique est l’expression imagée et symbolique de ce que l’âme renferme de plus fort et de plus divin au plus profond de ses énergies obscures, et qui ne cesse de s’offrir à elle : le Souffle créateur lui-même [21] ». Or, la nouveauté créatrice s’oppose à la sécurité du déjà connu. Donc, s’ouvrir au Souffle créateur, comme le fait François, c’est tout sauf revenir à la sécurité fu­sionnelle avec le sein maternel.

Écoutons, pour finir, le théologie dominicain Yves-Marie Congar :

 

« L’Esprit est souffle. Le vent chante dans les arbres. Nous voudrions, nous, humblement, être une lyre dont le souffle de Dieu fera vibrer et chanter les cordes. Tendons et ajustons ces cordes : ce sera l’austère travail de la recherche. Et que l’Esprit leur fasse rendre un chant harmonieux de prière et de vie [22] ! »

4’) Symbolique de Sœur l’Eau
a’) L’élément

L’eau est un symbole dont la poétique est davantage centrée sur l’intimité, explique Bachelard. De fait, François ne l’associe à aucun verbe d’action.

Mais cette signification n’est-elle pas source d’ambiguïté ? D’abord, il y a l’eau-miroir qui ne fait que renvoyer à soi-même. On lui opposera l’eau profonde ; mais celle-ci est aussi ambivalente : car elle peut signifier la plongée en soi-même qui est la nostalgie du ventre maternel, le regret d’une vie protégée et ir­responsable. A chaque fois, l’eau est fermeture à la nouveauté, à autrui, donc symbole de mort. Or, tout le Cantique des créatures chante la vie, l’ouverture à l’autre et non pas à soi. Comment un tel symbole peut-il dire l’unification et plus encore le sacré ?

C’est là qu’il est au plus haut point capital de considérer chaque strophe non pas isolément, mais dans son ordre au tout. C’est là d’ailleurs une règle hermé­neutique. Or, justement, François associe l’eau au vent ; plus encore, il fait pré­céder la strophe sur l’eau par celle sur le vent. Mais le vent est à l’eau ce que le dynamisme est à la réceptivité (l’eau comme réceptacle), ce que l’immensité est à l’intériorité, ce que l’action est à l’être ou à la substance. Or, il s’agit là, de ma­nière générale, des valeurs de la virilité et de la féminité (au-delà du genre mas­culin et féminin). C’est donc que l’eau est là pour signifier la part féminine de l’être, ainsi que l’analyse des épithètes va le confirmer et le préciser.

Notons que l’on aurait pu faire la même objection au vent qu’à l’eau. Que François puisse conjuguer cette double fraternité dit encore combien en son âme s’épousent ces différentes richesses.

b’) Ses épithètes

François qualifie quadruplement sa sœur l’eau. Ces quatre épithètes, dont Éloi Leclerc nous dit qu’ils relèvent d’une louange « d’une délicatesse infinie », qu’il faut craindre de déflorer, vont permettre de préciser quelle réalité anthropolo­gique signifie l’eau notre sœur.

L’eau est utile. Or, utilité évoque d’abord l’utilisation matérielle : sans eau, le vivant meurt ; mais elle évoque encore davantage le service et la serviabilité : en effet, on doit comprendre ce qualificatif en relation aux autres ; or, ceux-ci sont d’ordre intérieur, moral et non pas pragmatique.

L’eau est humble. Or, l’humilité caractérise la réalité apaisée d’où toute vio­lence, tout caractère menaçant, angoissant est éliminé. François voit donc en l’eau non pas les eaux dormantes, furieuses et orgueilleuses dont l’homme (le marin) fait parfois l’expérience et dont l’Écriture fait mention (Ps 59,2-3 ; Ps 88,17-18), mais l’eau apaisante, sécurisante.

L’eau est précieuse. Or, on l’a vu, précieux, évoque pour François, non pas d’abord les substances matérielles de valeur comme les diamants, mais les réalités sacrées, précisément les très saints mystères du Corps et du Sang du Seigneur. Cette eau précieuse évoque aussi, selon Bachelard, la vitalité, la ca­pacité d’engendrer : « Si l’eau devient précieuse, elle devient séminale. […] L’eau ainsi dynamisée est un germe ; elle donne à la vie un sort inépuisable [23] ». Dès lors, l’eau précieuse est l’eau vive que connaît aussi bien l’Écriture (par exemple, Ez 47,1 ou Jn 4,11).

L’eau est chaste. Or, la chasteté caractérise ce qui est intouché, virginal. Mais le propre d’une source est de laisser jaillir une eau venant d’un lieu plus profond encore intact, secret. L’eau chaste évoque donc encore l’eau vive, mais en sa source jaillissante, en sa profondeur inviolée.

Or, ces différentes caractéristiques, certes, renvoient à la réalité de l’eau bap­tismale, mais, plus encore, à une réalité anthropologique : ce sont tous des attri­buts de la féminité, des valeurs féminines qui représentent la part « précieuse et chaste » de notre être tourné vers l’intimité. Or, Jung a montré qu’il existe en tout homme une part féminine, un principe féminin qu’il a appelé anima. C’est donc que François parle ici de l’anima présent en lui ; or, il l’accueille au même titre que l’Animus que représente le dynamisme du vent.

On pourrait objecter que l’anima est un archétype, un centre de force, une ex­pression du désir humain en ce qu’il a de plus archaïque ; or, tout désir est am­bivalent : il peut conduire au progrès ou à la régression. Mais nous voyons qu’ici l’anima dont il est question est ouverte au sacré de l’intérieur : la part féminine est ici disposée pour que la personne recueille en elle le Très Haut. Donc, là encore, c’est l’homme réconcilié que chante François. Le Cantique des créa­tures nous dit la mystérieuse et très réelle métamorphose qui s’est opérée en lui.

Mais ne pourrait-on pas encore préciser ce que dit Éloi Leclerc ? En effet, l’eau, comme la lune et bientôt la terre, disent toutes trois l’anima. Mais ne le font-elles pas sous des angles différents ? L’eau dit l’intimité et bientôt la terre la réceptivité. Quant à la lune, même si elle exprime la part féminine n’est-elle pas mieux placer à exprimer notre part plus cachée, plus difficultueuse, ce que Jung appelle l’Ombre ?

d) Frère Feu

François a une grande dévotion pour Frère Feu, un amour constant (cf. plus bas). Mais, comme toujours, cette fraternité ne va pas d’abord à sa signification cosmologique ou théologique, estime Éloi Leclerc, mais à sa dimension anthro­pologique.

1’) Signification du symbole

Que signifie le feu ? Pour François, le feu présente une signification théolo­gique : « Il voyait en toute flamme le symbole de la Lumière éternelle [24] ». En ef­fet, de Dieu, le feu a la splendeur et le dynamisme exubérant. De plus, il a la primauté : « Mon frère le Feu, le Très-Haut t’a revêtu d’une splendeur que t’en­vient les autres créatures [25] ».

Mais, là encore, le feu n’est appelé frère et n’est grandement aimé que parce qu’il représente aussi une réalité anthropologique, qu’il reflète quelque chose de la vie profonde de l’âme. Déjà, le feu n’a jamais été seulement une réalité physique. Ne parle-t-on pas d’une « âme de feu », d’un « feu intérieur », d’ »ardeur », etc. ? Mais que symbolise le feu ?

Il dit le commencement : « Au commencement, dit Teilhard de Chardin, il n’y avait pas le froid et les ténèbres ; il y avait le Feu [26] ». La poésie du feu est un re­tour à la « primitivité [27] ». En effet, on sait que les débuts de l’humanité furent liés à cette fraternisation vitale avec le feu (on songe à la Guerre du feu de Rosny aîné), « le passé des premiers feux du monde », comme dit Bachelard [28].

Il dit aussi la transcendance. Le feu primordial « illustre toutes les transcen­dances [29] ». D’abord l’Absolu dans son extériorité. Les diverses religions ont re­présentés « le père visible du monde », comme « le soleil », ainsi qu’on l’a vu en traitant de frère Soleil ; or, celui-ci est « le feu céleste [30] ». Souvent l’Écriture rap­proche Dieu et le feu : que celui-ci soit un effet de sa présence (Ps 29,7), le re­présente (le Buisson Ardent en Ex 3), voire soit envoyé par lui, comme à la Pentecôte. Mais le feu exprime plus encore l’intériorité de la présence divine. Et c’est là où il rejoint la symbolique des commencements et que nous retrouvons la dimension anthropologique de la symbolique. Jésus lui-même n’a-t-il pas dit qu’il venait répandre le feu sur la terre (Lc 12,49) ? Or, ce feu, tout intérieur, est celui de la grâce. Les mystiques ont souvent exprimé la présence de Dieu dans leur âme par le feu. Pascal commence son Mémorial par le mot « Feu ». Aux langues de feu de la Pentecôte répond l’expérience intérieure d’une irradiation et d’une chaleur (S. Philippe Néri, Marthe Robin, etc.). « Abba Lot alla trouver Abba Joseph et lui dit : ‘Abba, selon que je le peux, je récite un court office, je jeûne un peu, je prie, je médite, je vis dans le recueillement et, autant que je le peux, je me purifie de mes pensées. Que dois-je faire de plus ?’ Alors le vieillard se leva et étendit ses mains vers le ciel. Ses doigts devinrent comme dix lampes de feu et il lui dit : ‘Si tu le veux, deviens tout entier comme du feu’ [31] ».

Mais, plus précisément, que signifie le feu au plan anthropologique ? Le feu dit le commencement et la source transcendante intériorisée. Or, ce qui est au centre, au cœur de l’homme, c’est la vie. Donc, le feu symbolise cette vie : « Depuis Héraclite, la vie a été symbolisée par un ‘pyraeizôn’, un feu éternelle­ment vivant [32] ». Voilà pourquoi les épithètes accompagnant Frère Feu expri­ment sa splendeur, sa vigueur et son débordement, en un mot sa vie : « beau et joyeux, indomptable et fort ». [33] Mais cette puissance de vie, cette plénitude qui surélève l’homme, c’est la puissance d’aimer, qu’on appelle aussi libido ou éros. Ainsi le feu est la grande image de cette énergie amoureuse qui brûle en nous. D’ailleurs, ne symbolise-t-on pas parfois l’amour comme un feu ?

Or, il ne nous appartient pas de maîtriser l’origine, mais seulement d’y consen­tir. Si donc le feu est là dès l’origine, « il n’appartient pas à l’homme d’éteindre ce feu fondamental et vivant » ; il ne peut que « consentir à la puissance intime et mystérieuse qui lui parle dans l’image mythique du feu [34] ». Et le feu qui brûle sans se consumer exprime particulièrement cette origine immaîtrisée.

2’) Application à François

Or, chez Frère François, cette énergie amoureuse était exceptionnelle :

 

« À celui qui veut caractériser, ne fût-ce que superficiellement, la vie de François d’As­sise, elle apparaît dès le premier regard comme une vie d’amour, ce mot devant être pris dans son sens le plus sacré et le plus fort, le plus pur et le plus primitif, en un mot, le plus divin. Elle apparaît comme un long amour ou plutôt comme une prodigieuse capacité d’aimer, […] comme une communion fervente, cor­diale, spontanée avec toute créature et avec l’auteur de toute créature [35] ».

 

De fait, avant même d’être surnaturel, de charité, l’amour était le milieu où avait grandi François. On oublie souvent combien son imagination fut imprégné par des images d’amour : il fut nourri des Chansons de geste et des Chansons d’amour. Or, explique le père Damien Vorreux, « la Chanson des Chétifs, la Quête du Saint Graal, Tristan et Iseult sont pour la vie de saint François bien plus qu’une toile de fond ou un accompagnement poétique : ces œuvres ont inoculé à tout le xiiie siècle une ferveur et un style dont le Poverello fut un digne représentant. A ses yeux, chacune de ses communautés devait être à la fois une ‘cour d’amour’ où l’on enseigne et pratique la charité la plus haute, et une ‘table ronde’ où de preux chevaliers organisent leurs futures conquêtes pour l’honneur de Dieu et l’amour de son peuple [36] ». Après tout, saint Bernard n’a-t-il pas fait de même en appelant Marie Notre Dame, à l’image des chevaliers pre­nant dame ?

Par conséquent, chanter frère feu, c’est, pour lui et en soi, chanter la réconci­liation de l’homme avec la vie débordante et plus encore la puissance d’aimer qui l’habite. Le feu symbolise alors l’amour comme don de soi, mais précisé­ment comme don de soi jaillissant par débordement du don originaire : « Vivre pour lui, continue Lippert, c’était s’écouler et déborder [37] ».

Un signe en est la différence existant entre Frère Soleil et Frère Feu. Tous deux sont des symboles masculins d’irradiation, de lumière et de chaleur versus les symboles plus féminins d’intimité. Mais ils diffèrent en ce que « le soleil est célébré comme la lumière du jour, le feu comme la lumière de la nuit [38] ». En effet, François met explicitement le Feu en relation avec la nuit : « par lui tu illu­mines la nuit ». Or, la nuit, c’est le lieu de l’obscurité, symboliquement la part obs­cure et intérieure de l’âme. Mais l’amour ne devient vraiment pur qu’à travers une purification qui est une traversée nocturne : François priait Dieu de « bien vouloir le purifier […] par le feu de l’Esprit Saint [39] ». Et Lippert note que l’amour de François ne répandait une telle douce lumière au-dessus de lui que parce qu’« il venait du fond grave et sombre de son âme ; il venait de pensées austères et tremblantes, ayant pour objet Dieu, le monde, le péché, le jugement, le temps et l’éternité [40] ».

3’) Confirmation par la vie de François

François aime le feu, vivant dans une profonde intimité avec frère Feu, ainsi que je le dirai plus loin. Or, le feu représente nos forces vitales, affectives pro­fondes. De fait, la vie de François nous montre qu’il a non pas simplement maî­trisé son éros, mais qu’il l’a pleinement intégré, sans rien en perdre qu’il s’est réconcilié avec toutes les obscures forces de l’amour qui l’habitent. Trois anec­dotes le montrent dont les deux premiers, comme par hasard, unissent le désir de la femme et la symbolique de la flamme.

  1. Le premier épisode se déroule lors du voyage de François en Orient en vue de rencontrer le sultan Malek el-Khamil :

 

« À son arrivée dans le pays, François entra dans une auberge pour se reposer. Or il y avait là une femme très belle de corps, mais d’une âme sordide, et cette femme maudite incita François à pécher. Saint François lui dit : ‘J’accepte, allons au lit’ ; et elle le mena dans sa chambre. Saint François dit : ‘Viens avec moi, je te mènerai à un lit beaucoup plus beau.’ Et il la mena à un très grand feu qui se faisait dans cette maison ; et, en ferveur d’esprit, il se dépouilla tout nu et se jeta sur le foyer embrasé ; et il invita cette femme à se dépouiller et à aller s’étendre avec lui sur ce beau lit de plumes. Et comme il demeura longtemps ainsi, le visage joyeux, ne brûlant pas, ne noircissant nullement, cette femme, épouvantée par ce miracle et saisie de regret dans son cœur, non seulement se repentit de son péché et de son inten­tion perverse, mais se convertit même parfaitement à la foi du Christ, et devint d’une telle sainteté que par elle beaucoup d’âmes se sauvèrent dans ce pays [41] ».

 

Cet épisode est passionnant à deux points de vue. D’abord, il montre que, à aucun moment, François ne moralise au sens étroit du terme : c’est-à-dire il ne dénonce pas la passion de la femme, ni ne la refoule, ni ne s’en effraie ; mais il prend en considération l’éros dans son état sauvage et même pécheur pour le purifier et le tourner vers l’Absolu : « puisqu’elle désire s’unir à lui, il l’invite à le rejoindre, là où il vit lui-même [42] » et où son désir le plus profond de communion pourra seul se réaliser. Alors, c’est dans cette lumière qu’elle prend conscience de son péché et c’est du profond de son cœur, non de quelque culpabilité exté­rieure, que le repentir jaillit.

Ensuite, l’épisode se passe à la lumière du feu. Or, on a vu qu’il symbolise la passion. C’est donc que, pour François, le « très grand feu » représente et même concrétise, la vie affective non pas seulement animale, mais unie à la ferveur de l’esprit. Dans l’âme de François, éros et agapè sont réconciliés. N’a-t-on pas vu ci-dessus que François a assumé son imaginaire amoureux, celui qui remonte aux Contes de son enfance ?

  1. Le second épisode, aussi raconté par les Fioretti, est celui de l’incendie du couvent de Sainte-Marie-des-Anges. François se met à parler de Dieu de si suave façon que tout le monde fut ravi en Dieu. Mais, « pendant qu’ils étaient ainsi ravis, les yeux et les mains levés au ciel, les gens d’Assise et de Bettona et ceux de la contrée environnante voyaient que Sainte-Marie-des-Anges et tout le couvent, et le bois qui étaient alors à côté du couvent, étaient en train de brûler complètement ». Mais, se précipitant pour éteindre le feu, les gens d’Assise se rendirent compte que « c’était là un feu divin et non matériel ». Or, ce feu était voulu par Dieu « pour montrer et représenter le feu du divin amour dont brûlaient les âmes de ces saints frères et saintes moniales [43] ». Or, ici encore, il s’agit d’une relation de François à la femme ; d’ailleurs, Claire a aussi un « extrême désir » de rencontrer François et de manger avec lui. Donc, là encore, ce qui est signifié par le feu qui brûle sans se consumer, c’est non pas un amour seule­ment spirituel, mais un amour pulsionnel, sensible totalement purifié et intégré dans l’amour divin qui les unit [44].
  2. Reprenons enfin le surprenant épisode du char de feu qui fut cité au début et dont on a vu que les frères l’identifièrent, dans une forte intuition spirituelle qui les dé­passait, à « l’âme de leur père ». Or, cette vision présente une forte portée symbo­lique : les chevaux tirant le char dans l’obscurité de la nuit représentent les forces sauvages et animales ; le feu, ainsi que la montée céleste manifeste l’élément lumineux et divin. C’est donc que cette image que voit les frères « est un des symboles de la réconciliation de la vie et de l’esprit, de nos origines les plus obscures et de notre vocation divine [45] ».

e) Sœur notre Mère la Terre

Nous en arrivons au dernier des quatre éléments : le Cantique des créatures devient ici, comme dit joliment Éloi Leclerc, « un chant de la terre [46] ». La vie de François, une nouvelle fois, ainsi qu’on va le voir, montre sa profonde, constante fraternité avec la terre, depuis le début jusqu’à la fin de sa vie. Mais quelle signification y a-t-il de louer la Terre comme « Sora nostra matre » ?

1’) Les attributs « Mère » et « Sœur »

Pourquoi dédoubler (comme pour le Soleil : Messire et Frère) le lien de pa­renté avec la Terre ? François reconnaît, comme toutes les religions archaïques, le caractère maternel de la Terre. En effet, François dit qu’elle porte du fruit, qu’elle est féconde ; or, c’est le propre de la mère que de donner la vie. Mais on sait aussi combien les religions archaïques ont été tentées de diviniser, très tôt, la Terre : « une des premières théophanies de la terre, en tant que telle, en tant notamment que couche tellurique et profondeur chtonienne, a été sa ‘maternité’, son intarissable capacité de porter fruit [47] ». Or, la sœur est plus proche que la mère : elle partage avec nous une nature commune qu’elle ne nous donne pas. Voilà pourquoi François d’Assise nomme la Terre sa sœur : ainsi, sans affaiblir sa maternité féconde, il en assigne sa limite, qui est celle d’une créature différente du Créateur.

2’) Symbole de la Terre

Selon Éloi Leclerc, la communion profonde de François avec sa sœur la Terre est le symbole anthropologique d’une renaissance ; plus précisément, d’un retour à l’origine, d’une plongée dans l’archéologie en vue d’une naissance nouvelle. Signe éminemment dynamique, donc. Deux signes le montrent (j’écarte le songe de l’arbre, car, à mon sens, l’arbre est un symbole végétal, donc vivant, différent des éléments cosmiques) :

a’) Les séjours dans les cavernes

Plusieurs fois et longuement, François a séjourné dans des cavernes. « Le creux du rocher était son nid préféré [48] ». Or, il est intéressant de noter que ces cavernes se trouvaient en haut d’un rocher. De sorte que double est le mouve­ment effectué par François : l’ascension vers les hauteurs suivi d’une descente dans la profondeur d’un grotte ou d’une crevasse. C’est donc que double est la dynamique animant son âme : l’élan ardent vers le Très-Haut qui le dépasse et l’humble descente en soi-même. Il évite ainsi le double écueil de la présomption orgueilleuse de celui qui ne se vit que sur le mode solaire de la conquête, du désir ; et l’introversion fusionnante du symbole maternel de la caverne : « Demeurer dans la grotte, c’est participer à la vie de la terre, dans le sein même de la Terre maternelle [49] ».

En fait, la caverne est un symbole plus complexe : elle signifie la totalité de nos origines menacé de fusion ; elle est aussi le lieu où brille un précieux trésor ; mais ce trésor est gardé par un monstre avec qui il va falloir entamer un combat mortel : « Celui qui s’enfonce en lui-même est comme enfoui dans la terre ; c’est un mort en quelque sorte qui est retourné dans la terre maternelle [50] » ; enfin, elle est une attente de la résurrection : on ne descend dans la caverne que, une fois combattus ses démons, quitté la retraite, pour ressortir à la pleine lumière. Voilà pourquoi la caverne, par elle-même, plus que la terre, est symbole de mort et de résurrection. Avec la caverne, la Terre prend la forme d’une matrice cos­mique réengendrant l’homme à la lumière. La caverne, c’est la terre notamment moins la lumière : c’est la terre dans sa pureté dégagée des autres éléments. (en ce sens, il y a des analogies entre la grotte et le désert)

Or, c’est ce qu’a vécu François à plusieurs reprises. Éloi Leclerc donne trois exemples, en ordre chronologique.

  1. Le premier est, de loin, le plus frappant, car il retrouve tous les éléments de la mythique initiatique de la caverne. Reprenons-le en le commentant. François vient de faire l’expérience de la vanité de cette vie mondaine à la recherche de gloire militaire.

« Il y avait à Assise un homme que François aimait plus que les autres : ils étaient du même âge ; la sympathie réciproque donnait lieu à des rencontres fréquentes et engageait aux confidences ; François l’entraînait à l’écart afin de pouvoir lui parler plus à son aise et lui affirmait qu’il avait découvert un immense et précieux trésor ». Voilà le premier élément, la finalité à chercher si l’on veut la trouver : le trésor. « Son ami, tout joyeux, et piqué par la curiosité, l’accompagnait volontiers à chaque invitation. Il y avait aux abords de la ville une caverne qu’ils allaient souvent visiter, tout en parlant du trésor. L’homme de Dieu, déjà saint par son désir de sainteté, pénétrait dans la caverne, laissait attendre son com­pagnon dehors, et, sous la mouvance d’un esprit nouveau et encore inconnu, priait son Père dans le secret ». François fait donc retraite dans la caverne, ce qui est le second élément. Et ce fait présente d’autant plus d’importance si l’on se rappelle son grand amour de la lumière : plonger ainsi dans l’obscurité, c’est vraiment rentrer en soi-même, aller à la rencontre de son archéologie, renouer avec les forces obscures qui gisent dans son âme et que notre conscience ignore. « Il priait avec dévotion le Dieu éternel et vrai de lui montrer sa voie et de lui apprendre à réaliser sa volonté ». Il est donc animé par un désir de commu­nion ; mais l’absence d’altérité, la solitude confortable de la grotte, pourrait faire craindre la fusion maternelle.

La suite va nous détromper : « En son âme se livrait un combat terrible, et tant qu’il n’aurait pas réalisé le dessein qui lui était monté au cœur, il ne trouverait pas le repos. Continuellement lui venaient à l’esprit mille pensées contraires dont le retour obsédant le jetait dans le trouble et la souffrance. […] De retour près de son compagnon, il était chaque fois mort de fatigue, méconnaissable ». Et voilà le combat à mort que le moi trouve au fond de la caverne, de son âme. Jusqu’au jour de la résurrection, de retour vers la lu­mière intérieure. « Un jour enfin qu’il avait de tout cœur imploré la miséricorde du Seigneur, celui-ci lui montra ce qu’il devait faire. Il fut rempli d’un tel bonheur qu’il ne se tenait plus de joie et se trahissait lui-même involontairement. Il ne pouvait plus se taire, si grand était l’amour infus en son âme ; il ne parlait toute­fois qu’à mots couverts et par énigmes. Nous avons vu qu’il parlait de trésor ca­ché à son ami préféré ; aux autres de même il tâchait de s’exprimer symboli­quement ». En effet, une telle expérience initiatique est incommunicable à qui ne l’a pas vécu ; et elle est une perle qu’on ne saurait jeter aux cochons. « Il décla­rait renoncer à partir en Pouille, mais pour accomplir dans sa patrie même de nobles et hauts faits. Les gens croyaient qu’il voulait se marier, et ils le ques­tionnaient : ‘Est-ce que tu songes à prendre femme, François ? – Je vais prendre l’épouse la plus belle et la plus noble que vous ayez jamais vue, ré­pondit-il ; supérieure aux autres par sa beauté, elle les dépasse toutes en sa­gesse [51] ».

Et voilà, pour terminer, la résurrection : en effet, celle-ci n’est pas seulement l’arrachement aux ténèbres et le retour à la lumière, car ce pourrait être une répétition à l’identique du passé. Mais ici, et cela est très remarquable, il est parlé de mariage : le symbole de la caverne conduit à et se métamorphose en celui de la fiancée et de l’épouse ; or, celui-ci est une union nouvelle de l’âme avec la réalité.

  1. Le second exemple souterrain correspond à un épisode aussi décisif de la vie de François qui, pour se protéger de la fureur de son père, trouve refuge dans une cachette à Saint-Damien, chez quelques amis. Il resta ainsi caché dans « un cul de basse-fosse sous la maison », « durant tout un mois, n’osant sortir que pour les cas de stricte nécessité ». Or, loin d’être un retour au sein maternel, cette descente dans la cachette va encore être une occasion de mort à soi pour adhérer à une volonté supérieure : « Il passait tout son temps à prier et à pleurer, suppliant Dieu de délivrer son âme des mains de ceux qui la poursuivaient ». Alors arrive la résurrection :

 

« Bien qu’enseveli dans les ténèbres de sa fosse, il se sentait envahir peu à peu d’une joie indicible, jamais éprouvée jusqu’ici, dont la ferveur s’empara si bien de tout son être qu’un jour il quitta son réduit pour aller s’offrir sans défense aux injures de ses persécuteurs. Il se lève aussitôt, plein de bravoure, d’allégresse et d’impatience [52] ».

 

Bref, comme le dit justement Chesterton, « de cette caverne qui fut une four­naise de brûlante gratitude et d’ardente humilité, sortit l’une des personnalités les plus fortes et plus étranges et les plus originales qu’ait connues l’histoire humaine [53] ».

  1. Le troisième exemple est celui de « l’invention » de Noël. Trois ans avant sa mort, François a voulu évoquer de manière sensible, représentative, le mystère de la naissance du Christ, afin de s’y unir plus profondément. Pour cela, on pré­para une crèche dans une grotte, près de Greccio. Or, dans cette grotte, il est dit que François passa toute la veillée, « rempli d’une indicible joie [54] ». C’est donc que, une nouvelle fois, à la faveur d’une grotte, François vit l’expérience joyeuse d’une nouvelle naissance, d’un enfantement. Aussi Celano commente-t-il : « c’est en ce lieu que François, devenu enfant avec l’Enfant (factus cum Puero puer), avait naguère célébré la naissance de l’Enfant de Bethléem [55] ». Enfin, saint Bonaventure raconte qu’ »un enfant très beau reposait dans la crèche ; il parut s’éveiller lorsque le bienheureux Père François le prit dans ses bras [56] » ; or, l’on sait que l’éveil est la naissance de la conscience ; c’est donc que l’enfant s’éveillant dans ses bras est le symbole de l’enfantement intérieur que François connaît en lui-même, là encore dans une grotte.
b’) Être étendu nu sur la terre nue

Or, il est dit que François a loué Dieu les deux ou trois derniers jours de sa vie, agonisant ; notamment il chantait le Cantique des créatures. Puis il s’adressa à ses frères : « Lorsque vous me verrez à toute extrémité, vous me coucherez nu sur la terre nue, […] et vous m’y laisserez encore après mon dernier soupir, le temps nécessaire pour parcourir un mille à pas lents [57] ». N’y a-t-il donc pas une corrélation étroite entre ce geste de François et la strophe sur la Terre ?

Le sens est assurément théologique, christologique : le Christ fut aussi enseveli nu, totalement dépouillé, en terre ; or, François fait de même ; c’est donc qu’il y a chez lui une volonté d’identification plénière avec le Christ ; sa Passion et sa mort en sont le sommet. D’ailleurs, Celano a ce mot admirable : « L’heure vint enfin où, tous les mystères du Christ s’étant réalisés en lui, son âme s’en­vola dans la joie de Dieu [58] ».

Mais, une nouvelle fois, le sens est aussi anthropologique : la déposition en terre, d’un enfant comme d’un mourant, est un rite très archaïque « qui équivaut à une nouvelle naissance [59] », explique Mircea Eliade : en Chine, « quand on dé­pose sur la terre le nouveau-né ou le mourant, c’est à elle de dire si la nais­sance ou la mort sont valables [60] ». C’est donc que François, en demandant d’être couché à terre, signifie symboliquement le cheminement vers une renais­sance : la mort n’est pas le terme ; il n’est que le passage vers la plénitude de la vie.

Éloi Leclerc en a trouvé la confirmation dans un beau passage des Frères Karamazov où Aliocha le mystique se trouve à côté du corps du starets Zossime. Soudain il s’enfuit et se retrouve dehors dans « la nuit sereine » qui « enveloppait la terre ».

 

« Et soudain il tomba comme foudroyé sur la terre. Il ignorait pourquoi il étreignait la terre, il ne comprenait pas pourquoi il désirait si follement l’embras­ser tout entière ; mais il la baisait en sanglotant, en la mouillant de ses larmes et, avec ferveur, il se promettait de l’aimer, de l’aimer dans les siècles des siècles. […] Il aurait voulu pardonner, à tous et pour tout, et demander pardon, non pour lui, mais pour les autres et pour tout. […] Et jamais, jamais plus Aliocha ne put oublier cette minute. ‘Mon âme a été visitée en cette heure-là’, affirmait-il plus tard ».

 

Or, cette communion invisible avec tous les hommes est la plénitude de la vie. C’est donc qu’ici aussi le retour à la terre est le prélude à la résurrection, la célébration d’une aurore où la terre ruissellerait de miséricorde.

3’) Confirmation par les subordonnées de la Terre

Une nouvelle fois et c’est dommage, Éloi Leclerc n’analyse guère les proposi­tions subordonnées accompagnant l’élément cosmique [61]. Revenons-y par nous-mêmes. Il est dit deux choses de la Terre : d’une part, elle « nous porte et nous nourrit » ; d’autre part, elle « produit la diversité des fruits, avec les fleurs dia­prées et les herbes ». Or, en tant qu’elle porte et nourrit, la Terre dit l’enracine­ment, la sécurité, la stabilité, le retour à l’origine ; en tant qu’elle fleurit et fructifie (ce qui représente deux dons divers : l’un pour le beau, l’autre pour le bien), la Terre dit sa fécondité, son ouverture au don. La conjonction des deux dons, ar­chéologique et téléologique, signale donc que la Terre est le lieu, le symbole où s’articule le recueillement et la fructuosité, le premier en vue du second.

f) Sa fraternité avec les autres êtres vivants

Il faudrait ajouter le lien particulier de fraternité que François entretenait avec non plus les forces obscures et élémentaires du monde inerte mais aussi avec les êtres vivants, complexes et lumineux, qui peuplent la nature. Ici, la significa­tion symbolique, anthropologique, semble moins forte. Est-ce si sûre ? La fra­ternité franciscaine cosmologique n’est-elle pas encore révélatrice d’une âme pleinement pacifiée ? Nul ne pourrait vivre avec un loup sans avoir totalement domestiqué en lui toute crainte de la sauvagerie, sans avoir conquis la douceur.

1’) Le monde végétal

Éloi Leclerc commente ainsi le songe de l’arbre :

 

« Une nuit durant son sommeil, il lui sembla qu’il parcourait une route sur le bord de laquelle s’élevait un arbre gigantesque, un arbre d’une venue splen­dide, vigoureux, énorme, au tronc immense ; arrivé à quelque distance, il s’ar­rêta pour en admirer la hauteur et la beauté, et tout à coup il se trouva lui-même enlevé si haut qu’il pouvait toucher la cime de l’arbre : il l’empoigna et, ans ef­fort, la courba jusqu’au sol [62] ».

 

L’arbre est à la fois racines plongeant dans la terre et branches ouvertes vers le ciel. Voilà pourquoi il unifie les deux symboles du vent et de la terre, tout en les dépassant : triomphe de la mère Terre et humilité face au mouvement as­cendant solaire. Il symbolise la réconciliation entre la profondeur de l’intimité et l’ouverture à la transcendance. Voire il préfigure l’unité du processus :

 

« La verti­cale de la transcendance plonge au travers de notre obscurité : que la hauteur de l’esprit coïncide avec la profondeur de l’âme, l’exploration des ténèbres étant le chemin vers cette suprême clarté qui, du fond ignoré de nous-mêmes, nous intime de nous mettre en route dans la nuit [63] ».

 

L’image de l’arbre est aussi plus complexe dans les mythologies primitives. Mircea Eliade en dégage les harmoniques [64].

2’) Le monde animal

On songe bien sûr aux oiseaux, au loup de Gubbio. C’est toutes les catégories animales qui sont convoquées. Et ne le sont-elles pas en fonction de leur sens symbolique ? Ainsi l’amour de l’agneau.

g) Les réalités humaines

Sur les deux dernières strophes, je ne dirai presque rien car elle ne concerne qu’indirectement mon travail.

Que signifie notamment la strophe du Cantique consacrée à la mort ?

François chante sa fraternité avec la mort, donc sa relation totalement apaisée avec elle. Or, la mort est le dépouillement total, définitif de tout l’être : « La mort nous épouvante parce que tout, et d’abord nous-mêmes, nous est comme arra­ché par elle. […] Ce changement de gravitation, cet éclatement biologique m’apparaît comme un anéantissement de mon être même, sa dépossession inimaginable de soi [65] ». De même, François qui a longuement médité sur la « mort amère » a pu constater dans sa Lettre à tous les fidèles : « Tout ce que l’homme croyait avoir, talents, autorité, science et sagesse, tout cela lui est en­levé [66] ». Donc, l’apaisement face à la mort est le signe du plus total dessaisis­sement de soi. Car angoissante est la mort pour qui n’a pas été dépouillé ; en revanche, serein est le consentement de celui qui est pauvre et détaché de tout.

Or, le dépouillement est la condition de l’ouverture ; je dis bien la condition, non la cause, car l’ouverture est déjà là et le dépouillement ne la cause pas, contrairement à ce qu’affirme une ontologie de la négativité jointe à une mys­tique du retrait, du tsim-tsoum [67]. Désencombrée de tout obstacle, la créature, en ses puissances (ici l’intelligence, notamment), peut recevoir ce à quoi elle est destinée. Or, l’intelligence humaine est toute ouverture à l’être. Voilà pourquoi François qui fraternise avec « notre Sœur la mort corporelle », ne fait plus qu’un avec l’ouverture à l’Être. Au plus grand dépouillement, celui non de la mort mais de l’acceptation paisible de la mort, se joint donc le plus grand don ou plutôt la plus grande ouverture au don qui est celui de l’Être.

D’ailleurs, puisque la création est don de l’être, cette ouverture intérieure à l’être est identiquement ouverture à la création, mieux encore, puisqu’il s’agit de donation : à l’acte créateur duquel l’être jaillit. C’est ce que l’on a déjà noté mais que nous sommes maintenant à même de comprendre de manière nouvelle. Citons Louis Lavelle : « Au moment où il [François] renonçait à tout, il détruisait du même coup toutes les barrières qui le séparaient de l’acte créateur, c’est-à-dire de la surabondance d’une réalité toujours offerte […]. La création ne cessait jamais d’éclore [68] ». Voilà pourquoi son chant est « la plus haute affirmation que l’on puisse faire de la valeur de l’être et de la vie, tels que nous les avons reçus des mains mêmes de Dieu [69] ».

h) Reprise autour du symbole

Ne pourrait-on davantage systématiser, plus que ne le fait Éloi Leclerc, la rela­tion entre les éléments et l’âme, en ses forces obscures ?

J’ai dit que, pour François, interprété par Éloi Leclerc, les relations triangulaires homme-Dieu-nature étaient symboliques. La nature « symbolise avec » l’homme. Sa visée est profondément unitive, réconciliatrice. Or, la relation construite par symbole est complexe. Elle comporte les différents couples paradoxaux de mouvement suivants :

1’) Union homme-nature-Dieu

Le symbole unit homme, nature et Dieu. Or, le Cantique des créatures a montré que, lorsque l’homme traite avec la nature, c’est avec lui-même que, secrète­ment, il a affaire.

Cela notamment par le biais de la réconciliation entre l’intérieur et l’extérieur et plus encore, dynamiquement, des deux mouvements d’intériorisation et d’exté­riorisation. Or, tel est le cas chez François.

Pour François, l’homme est d’abord uni à Dieu et Dieu en son être le plus pro­fond, le plus radical qui est l’amour rayonnant. Voilà ce vers quoi tend toute la vie de François et ce que chante le Cantique dès sa première strophe : chanter le « Très Haut ».

Or, cet amour rayonnant est créateur de tout ce qui surgit à l’être, c’est-à-dire tous les êtres naturels. Voilà pourquoi aimer Dieu, c’est identiquement, pour François, aimer toutes les créatures et fraterniser avec elles.

Or, ces créatures naturelles, ces éléments cosmiques sont les symboles des forces naturelles archaïques de l’âme. Une telle proposition, moins patente, de­mande que soient explicités les deux concepts composant son prédicat : qu’est-ce qu’on entend ici par symbole ? qu’entend-on par forces archaïques ? Il se trouve qu’Éloi Leclerc ne détaille pas. Il fait appel à différentes autorités aux­quelles il emprunte le vocabulaire (inconscient collectif, archétype) sans le criti­quer.

Voilà pourquoi François, frère universel, est totalement réconcilié en son être d’homme. Par conséquent, la réconciliation opérée commence par Dieu, passe par le cosmos et s’achève en l’homme.

Mais il faut doubler ce mouvement d’un autre. En effet, François réconcilié avec lui-même intègre toutes les puissances obscures, affectives, inconscientes qui sommeillent en lui.

Or, ces forces une fois spiritualisées symbolisent avec le monde. Donc, en retour, François va maintenant se rendre vers le monde en frère uni­versel dénué de tout donjon et de toute muraille : au mouvement d’intériorisation succède un mouvement d’expansion et de louange. C’est la dynamique flux-re­flux, prospection-réflexion.

2’) Élan vers la transcendance et sens de l’immanence

La communion homme-Dieu-nature peut se comprendre autrement. L’homme étant le centre, la relation à Dieu est transcendante et la relation à la nature, immanente. Or, François unit pleinement les deux mouvements de l’âme, vertical et horizon­tal, l’élan vers la transcendance et le sens de l’immanence ; et Éloi Leclerc d’ajouter que « cette rencontre […] est assez exceptionnelle en fait [70] », ce qui pourrait se discuter, car elle caractérise l’aristotélisme : en cela, François est proche de l’attitude contemplative d’un Thomas d’Aquin. Max Scheler dit avec une imprécision suggestive que « si saint François avait été théologien et philo­sophe […], il ne se serait certainement pas révélé comme ‘panthéiste’, mais il aurait introduit dans son exposé une bonne dose de ‘panthéisme’ [71] ». On se souvient aussi du mot de Pierre Emmanuel : « la verticale de la transcendance plonge au travers de notre obscurité [72] ».

Plus encore, François unit le sens de la hauteur (tout le Cantique des créatures est orienté vers le « Très Haut ») et celui de la largeur (il embrasse toutes les créatures dans sa communion et sa fraternité universelle).

3’) Retour à l’origine et nouveauté

Le symbole, le mythe unit dynamiquement le retour à l’origine et l’ouverture à la nouveauté, l’archéologique et le téléologique, le second au nom du premier, ainsi que le manifeste l’arbre :

 

« Le ‘retour à l’origine’, explique Mircea Eliade, prépare une nouvelle naissance, mais celle-ci ne répète pas la première, la naissance physique. Il y a proprement renaissance mystique, d’ordre spirituel, autrement dit accès à un mode nouveau d’existence (comportant maturité sexuelle, participation au sacré et à la culture ; bref, ‘ouverture’ à l’Esprit). L’idée fondamentale est que, pour accéder à un mode supérieur d’existence, il faut répéter la gestation et la naissance, mais on les répète rituellement, symbo­liquement » dans un ordre « transcendant l’activité psychophysiologique [73] ».

4’) Gestion et célébration

François d’Assise invite à l’homme à se rappeler que la célébration est aussi et plus importante que la gestion. « Ce qui fait l’originalité de François d’Assise au sein même de l’Église, c’est qu’il a compris par une sorte d’instinct génial que la grande affaire n’était pas d’administrer, mais de célébrer [74] ». Mieux vaut chan­ter que maîtriser, même si le premier n’exclut pas le second.

5’) Contemplation et transformation

Le symbole réconcilie les dimensions pratique et spéculative (contemplative). Or, François d’Assise ne fait pas que célébrer le cosmos comme miroir de Dieu ; il nous réconcilie avec lui. Il « croyait à la puissance de réconciliation de son can­tique, non seulement pour lui-même, mais pour les autres [75] ». En voici un exemple. On se souvient du conflit entre l’évêque et du podestat d’Assise. Or, voyant que personne ne cherchait à faire la paix, que fit François pour la rétablir ? Il fit appel à son le Cantique des créatures, disant à ses frères : « Allez, et en présence de l’évêque, du podestat et de ceux qui sont avec eux, chantez le Cantique des créatures. J’ai confiance dans le Seigneur, il rendra bientôt leurs cœurs plus humbles et ils reviendront à leur ancienne amitié [76] ». Comme es­compté, le fait fut suivi d’effet. C’est donc que ce chant symbolise non seulement en figure mais réellement, les hommes.

La vie même d’Éloi Leclerc, je le rappelai plus haut, est un témoignage, de cette puissance d’intégration du Cantique des créatures.

6’) Dépouillement et célébration

Le symbole unifie encore deux autres mouvements opposés de l’âme : celui du dépouillement et celui de la célébration. Par le premier, la personne quitte, se débarrasse d’elle-même ; par le second, elle s’ouvre, elle advient, émerveillée à autre qu’elle. Or, le Cantique des créatures demande les deux. On a souvent ré­duit la communion franciscaine avec la nature à l’enchantement émerveillé ; on a oublié l’âpre dé­pouillement. Nous l’avons vu : déjà le contact avec la nature est rude. Qui ac­cepterait, comme François qui, rappelons-le, était un citadin aux mœurs raffi­nées, de se livrer à tous les temps, se laisser mordre par la flamme brûlante, se coucher à même la terre nue ? Mais embrasser tous les éléments dans un même amour sans réserve, ce qui ne veut pas dire sans préférence (et hiérar­chie) nous renvoie à nos secrètes fermetures, à nos hantises inconscientes.

On l’a vu aussi, ce dépouillement est la condition d’une ouverture et d’une ré­ceptivité plus grande ; or, le don est reçu dans la gratitude ; il est un bien qui ap­pelle la louange. Mais celle-ci est plus qu’un témoin, elle est aussi l’acteur de la libération de l’homme. En effet, pour s’émerveiller, il faut accepter de sortir de soi, il faut décider de s’affranchir de son ego, et plus encore recevoir l’autre comme une grâce imméritée. Voilà pourquoi un Paul Ricœur, dont l’âme est franciscaine, peut dire que « c’est l’incantation de la poésie qui me délivre de moi-même et me purifie » et : « La discipline de la réalité n’est rien sans la grâce de l’imagination [77] ». Et ce à quoi l’âme s’ouvre, on l’a vu, c’est l’Être et Dieu.

Une conséquence de cette attitude de dépouillement-célébration est la sortie définitive de la jalousie captatrice : en chaque chose, elle voit rayonner l’être, « le pur, l’insurveillé » dont Rainer Maria Rilke dit qu’on le « sait infini et ne convoite pas [78] ».

Pascal Ide

[1] Speculum, 119.

[2] Éloi Leclerc, Le cantique des créatures, p. 70.

[3] Paul Claudel, Œuvre poétique, coll. « Bibliotèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 1957, p. 244.

[4] Carl Gustav Jung, Métamorphoses de l’âme et ses symboles, trad. Yves Le Lay, Genève, Ed. de l’Université, 1967, p. 224.

[5] Cf. Mircea Eliade, Traité d’histoire des religions, Paris, Payot, 1964, p. 123-126.

[6] Éloi Leclerc, Le cantique des créatures, p. 81.

[7] Carl Gustav Jung, L’homme à la découverte de son âme, trad. Roland Cahen, Paris, Payot, 1963, p. 335.

[8] Carl Gustav Jung, Gut und Böse in der Psychotherapie, Stuttgart, Stuttgarter Gemeinschaft – Arzt und Seelsorger, 1959, p. 37.

[9] Charles Baudouin, L’œuvre de Jung, Paris, Payot, 1963, p. 228.

[10] Mircea Eliade, Traité d’histoire des religions, p. 162.

[11] Mircea Eliade, Le sacré et le profane, Paris, Gallimard, 1965, p. 133-134. Cf. Saint Augustin, Sermon 361 sur la Résurrection, PL 39, 1605.

[12] C’est ce que montre Charles Baudouin dans Psychanalyse du symbole religieux, Paris, Fayard, 1957, p. 153. « La suprématie absolue, conçue d’une manière unilatérale et simpliste, des hiérarchies solaires aboutit aux excès de ces sectes ascétiques indiennes dont les membres ne cessent pas de fixer le soleil jusqu’à la cécité totale. C’est le cas de parler ici de la ‘sécheresse’ et de la ‘stérilité’ d’un régime exclusivement solaire, c’est-à-dire d’un rationalisme limité et excessif ». (Mircea Eliade, Traité d’histoire des religions, p. 133)

[13] « Chant de la nuit », in Zarathoustra, trad. René Lasne et Georg Rabuse, Paris, Stock, 1943.

[14] Thomas de Celano, Vita, I, 18.

[15] Vie de sainte Claire d’Assise, trad. Damien Vorreux, Paris, Éditions franciscaines, 1953, p. 30.

[16] Ania Teillard, Le symbolisme du rêve, Paris, Stock, 1944, p. 202.

[17] Paul Claudel, Œuvre poétique, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 1957, p. 241.

[18] Percy Bysshe Shelley, Ode au vent d’ouest, in Trois Etudes de littérature anglaise, trad. André Chevrillon, Paris, Plon, 1901, p. 108.

[19] Cf. 2 Reg., 10.

[20] Éloi Leclerc, Le cantique des créatures, p. 106.

[21] Éloi Leclerc, Le cantique des créatures, p. 109.

[22] Yves-Marie Congar, Je crois en l’Esprit-Saint, Paris, Le Cerf, 1995, p. 11.

[23] Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, p. 13-14.

[24] Thomas de Celano, Vita, II, 166.

[25] Ibid.

[26] Pierre Teilhard de Chardin, La messe sur le monde, in Hymne de l’Univers, Paris, Seuil, 1961, p. 27.

[27] Gaston Bachelard, La psychanalyse du feu, Paris, Gallimard, 1949, p. 68.

[28] Gaston Bachelard, La flamme d’une chandelle, Paris, PUF, 31964, p. 3.

[29] Gaston Bachelard, La flamme d’une chandelle, p. 59.

[30] Carl Gustav Jung, Métamorphoses de l’âme et ses symboles, p. 173.

[31] Paroles des Anciens. Apophtegmes des Pères du désert, trad. Jean-Claude Guy, coll. « Points Sagesse » n° 1, Paris, Le Seuil, 1976, cité dans Jeunes et vocations, n° 100 Oser l’aventure. 100 regards sur la vocation chrétienne, (1er et 2ème trimestres 2001), p. 45. C’est moi qui souligne.

[32] Carl Gustav Jung, Psychologie et religion, trad. Bernson et Cahen, Paris, Buchet-Chastel, 1958, p. 78.

[33] A noter qu’Éloi Leclerc n’analyse pas les attributs de Frère Feu (seul développement p. 126).

[34] Éloi Leclerc, Le cantique des créatures, p. 131.

[35] Peter Lippert, Bonté, p. 108.

[36] Saint François d’Assise, Paris, Bloud et Gay, 1964, p. 15.

[37] Ibid., p. 113.

[38] Éloi Leclerc, Le cantique des créatures, p. 141.

[39] 3 Let.

[40] Peter Lippert, Bonté, p. 110.

[41] Fioretti, 24.

[42] Éloi Leclerc, Le cantique des créatures, p. 138.

[43] Fioretti, 25.

[44] En ce sens, Georges Keith Chesterton a raison de dire que le « rouge halo sur la colline » est « une image saisissante » de la « passion totalement pure » de François et Claire, mais non de la qualifier de « désincarnée » (Saint François d’Assise, trad. Isabelle Rivière, Paris, Plon, 1925, p. 169)

[45] Éloi Leclerc, Le cantique des créatures, p. 143.

[46] Éloi Leclerc, Le cantique des créatures, p. 147.

[47] Mircea Eliade, Traité d’histoire des religions, p. 213.

[48] Thomas de Celano, Vita, I, 71.

[49] Gaston Bachelard, La terre et les rêveries du repos, Paris, José Corti, 1948, p. 209.

[50] Carl Gustav Jung, Métamorphoses de l’âme et ses symboles, p. 501.

[51] Thomas de Celano, Vita, I, 6 et 7.

[52] Thomas de Celano, Vita, I, 10 et 11.

[53] Georges Keith Chesterton, Saint François d’Assise, p. 120.

[54] Thomas de Celano, Vita, I, 85.

[55] Thomas de Celano, Vita, II, 35.

[56] Legenda Major, 10/7.

[57] Thomas de Celano, Vita, II, 217. Cette durée correspond-elle au temps séparant sa mort clinique, apparente, de sa mort réelle ?

[58] Thomas de Celano, Vita, II, 217.

[59] Mircea Eliade, Le sacré et le profane, p. 122.

[60] Marcel Granet, « Le dépôt de l’enfant sur le sol », 1922, in Etudes sociologiques sur la Chine, Paris, p. u. f.,1953, p. 159-202.

[61] Seule allusion Éloi Leclerc, Le cantique des créatures, p. 148.

[62] Thomas de Celano, Vita, I, 33.

[63] Pierre Emmanuel, Le goût de l’Un, Paris, Seuil, 1963, p. 196.

[64] Mircea Eliade, Le sacré et le profane, p. 126-128.

[65] Pierre Emmanuel, Le goût de l’Un, Paris, Seuil, 1963, p. 240-241. C’est moi qui souligne.

[66] 1 Lettre.

[67] Inutile de dire qu’Éloi Leclerc ne fait pas cette distinction, ce qui rend son discours sinon ambigu, du moins incomplet.

[68] Louis Lavelle, Quatre Saints, Paris, Albin Michel, 1951, p. 97-98.

[69] Ibid., p. 80.

[70] Éloi Leclerc, Le cantique des créatures, p. 217.

[71] Max Scheler, Nature et forme de la sympathie, trad. Marcel Lefebvre, Paris, Payot, 1950, p. 142.

[72] Pierre Emmanuel, Le goût de l’Un, Paris, Seuil, 1963, p. 196.

[73] Mircea Eliade, Aspects du mythe, Paris, Gallimard, 1963, p. 103.

[74] Éloi Leclerc, Le cantique des créatures, p. 221.

[75] Éloi Leclerc, Le cantique des créatures, p. 224.

[76] Speculum perfectionis, 101.

[77] Paul Ricœur, Philosophie de la volonté. I. Le volontaire et l’involontaire, Paris, Aubier-Montaigne, 1950, p. 448 et 529.

[78] Les élégies de Duino, trad. Jean-François Angelloz, coll. « Bilingue », Paris, Aubier, 1943, p. 85.

28.9.2019
 

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