L’Avent et la réouverture de Notre-Dame (2e dimanche de l’Avent, 8 décembre 2024)

Comment ne pas mettre en résonance ce deuxième dimanche de l’Avent qui est aussi la date de la solennité de l’Immaculée Conception (que nous fêterons demain), avec cet événement historique que fut, hier soir, la réouverture de la cathédrale Notre-Dame-de-Paris ?

 

  1. L’Avent – dont l’étymologie latine est aventus, « événement » – n’est qu’un cri qui est une supplication : « Viens ! » Et une supplication dont le contenu est aussi le destinataire : Dieu, précisément, Dieu qui est pour nous et avec nous, l’Emmanuel. Si nous n’avions qu’une prière à adresser pendant ce long temps précédant Noël, qu’une prière pour nous préparer à la venue de Celui qui aspire si ardemment à être accueilli dans la crèche de nos cœurs, c’est : « Viens, Emmanuel ! ». Ce cri résonne au cœur du poème qui est sommet de l’Ancien Testament qu’est le Cantique des cantiques, le chant d’amour du Bien-aimé à sa bien-aimée, du Dieu de l’Alliance à son Épouse qu’est Israël, du Christ à son Église : « Lève-toi, mon amie, ma toute belle, et viens » (Ct 2,10.13). Et, au terme, enfin, la bien-aimée répond : « Viens, mon bien-aimé » (Ct 7,12). Que le Christ attend cette réponse ! Répondre amour pour amour, tel est le résumé de toute la foi chrétienne !

Ce cri résonne également au terme, qui est achèvement, du Nouveau Testament : « L’Esprit et l’Épouse disent : ‘Viens !’ » Et, là encore, Dieu attend notre retour : « Celui qui entend, qu’il dise : ‘Viens !’ » (Ap 22,17). Non sans faire écho à la finale de de la première épître aux Corinthiens : « Marana tha ! » : « Notre Seigneur, viens ! » (1 Co 16,22). Ici, l’amour se fait espérance, car « la charité espère tout » (1 Co 13,7). Grâce à l’Incarnation, les cieux qui avaient été fermés par la faute d’Adam ont été rouverts par la miséricorde pardonnante du Nouvel Adam !

Or, hier soir, nous avons fait l’expérience que le Ciel était ouvert et n’aspirait qu’à descendre sur Terre. Tel est le sens de la liturgie en général et celui de la liturgie en particulier de la réouverture de notre église-mère (c’est un parisien qui parle, mais les peuples du monde entier étaient présents par leurs représentants !). Je m’étais refusé à regarder les vidéos qui montraient l’intérieur de Notre-Dame. Aussi quels ne furent pas ma surprise, beaucoup plus, mon émerveillement, lorsque je découvris notre cathédrale-lumière, la blondeur mordorée de la pierre, les lustres qui diffusent une douce clarté, cette luminosité qui rend la maison de Dieu encore plus vaste, donc plus accueillante, et plus élevée, donc plus bénissante.

Cet enchantement visuel s’est doublé d’un ravissement sonore, lorsque notre archevêque a prié le grand-orgue de se réveiller et que celui-ci lui a répondu, de sa voix chaleureuse, somptueuse et nombreuse. Vraiment, cet instrument-orchestre qu’est l’orgue est la voix qui correspond au corps architectural qu’est une église ! Aux huit prières différenciées, les quatre organistes ont répondu de manière elle-même diverse et tellement éloquente. À la demande « chante l’Esprit Saint qui anime nos vies du souffle de Dieu », l’« instrument sacré » a multiplié d’allègres volutes. À la demande « apporte le réconfort de la foi à ceux qui sont dans la peine », il a fait s’élever de l’humble et sombre terre de douces lamentations qui ont été exaucées dans la compassion divine, infiniment attentive et attentionnée. À la demande « soutiens la prière des chrétiens », il a multiplié les registres dans un chant choral englobant les voix multiples qui font la richesse de notre Corps aux membres si variés. À la demande « proclame gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit », le tutti des claviers et des jeux a entonné avec éclat et enthousiasme l’hymne d’action de grâce à la Très Sainte Trinité créatrice et recréatrice.

 

  1. L’évangile de Luc montre l’accomplissement des oracles du prophète Isaïe qui nous exhortent : « Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers. Tout ravin sera comblé » (Lc 3,4-5. Cf. Is 40,3-5). Le temps de l’Avent est ce moment privilégié où le peuple de Dieu est appelé à retourner vers le Dieu de son peuple, avec tout son cœur : rendre droites nos routes tortueuses dues aux accusations de l’autre qui sont des moyens de nous déresponsabiliser, et aux compromissions des demi-vérités qui sont des mensonges à 100 % ; combler les ravins de nos manques d’amour de Dieu (nos indifférences ou nos révoltes), de l’autre (nos utilitarismes et nos égoïsmes) et de soi-même (nos fuites en avant qui nous épuisent, nos jalousies qui sont des haines cachées de ce que nous sommes et ce que nous avons). Ce temps de l’Avent, nous sommes donc appelés à nous confesser et à prendre les résolutions qui changent la violence en amour, le mal en bien.

Or, cette conversion du mal en bien est ce que nous avons vécu hier soir. Il était prévu que le début de la cérémonie se déroule à l’extérieur, afin que, dans un geste hautement symbolique, nous entrions tous dans la cathédrale derrière notre archevêque qui en aurait ouvert les portes. Donc, que nous attendions tous au dehors. Mais les éléments (vent puissant et pluie) en ont décidé autrement. Et, à mon avis, en mieux ! En effet, je vous le disais, mon regard était vierge de toute image prévisionnée et donc mon cœur tout ouvert à l’effet « Waouh ! » de la redécouverte d’une cathédrale qu’aucun de nos contemporains n’avait vue ainsi. Pour m’approprier ce choc béatifique, il ne fallait rien moins que les trois heures qui ont séparé l’entrée individuelle et l’entrée solennelle de la liturgie ecclésiale. Je les ai passées, simple fidèle, à déambuler, à contempler, à prier dans chacune des vingt-neuf chapelles latérales (une est consacrée à saint Thomas d’Aquin !), à arpenter ce chemin physique qui est itinéraire mystique, à inscrire ma petite histoire sainte (ou plutôt de sanctification) dans la grande histoire du salut, depuis les patriarches de l’Ancienne Alliance, jusqu’à la mort et la résurrection, et notamment, le reliquaire tout en irradiation qui va accueillir le plus précieux trèsor de la cathédrale après le Saint-Sacrement, la couronne d’épines de Notre Sauveur.

Je comprenais ainsi mieux combien la réponse au scandale parfois écrasant jusqu’à être désespérant du mal est la confiance persévérante du fidèle qui croit, d’espérance théologale, que Dieu peut le transformer en un bien supérieur. Ce que nous avons vécu, hier soir, à la petite échelle de cette « tempête » ne vaut-il pas, à grande échelle, pour cette catastrophe du 15 avril 2019 dont nous savons aujourd’hui qu’elle a suscité tant de générosité(s), a ressuscité notre cathédrale et, surtout, a fait jaillir une immense espérance en nos cœurs !

 

  1. Et cette espérance nous tourne vers celle que nous acclamons comme « l’Aurore de notre Salut ». Ne nous lassons pas de le proclamer : c’est Notre Dame qui a sauvé Notre-Dame ! C’est elle qui fut la cause, réelle et grammaticale, du trait d’union ! Quelle jubilation est montée en moi quand a éclaté l’hymne « Vierge Sainte » ! Quelle action de grâce a continué quand nous avons poursuivi par l’antienne du psaume 22 : « Réjouis-toi, Marie, comblée de grâce : le Seigneur est avec toi » ! Quelle reconnaissance a culminé dans le chant du Magnificat qui est vraiment notre hymne ecclésial ! Que je fus heureux de découvrir que, à la Vierge au pilier magnifiquement restaurée, nous retrouvons au pied et à la droite du chœur, répond, à l’entrée et à gauche, une Vierge à l’enfant, autrefois cachée derrière et désormais merveilleusement mise en valeur par une suave lumière ! Ainsi Marie accueillera chacun des fidèles, mais aussi chaque touriste qui est potentiellement un pèlerin !

Or, notre Dame qui est aussi notre Mère vient de quitter Nazareth. Avec saint Joseph, son époux, elle chemine sur les routes incertaines et inconfortables qui la conduiront à Bethléem, où elle donnera vie à Celui qui donne sa vie pour tous. Comment vit-elle ces moments uniques où se tisse un lien si intime entre l’enfant et sa mère ? Le Verbe fait chair qu’elle reçoit en son corps est d’abord la Parole divine qu’elle accueille et médite en son cœur. Marie ne cesse d’être présente à Celui qui nous est si intensément et si continûment présent. La Vierge du Magnificat redit infatigablement son « Fiat » (Lc 1,38) obéissant à Celui qui, le premier, « en entrant dans le monde », a dit à son Père : « Me voici, je suis venu, mon Dieu, pour faire ta volonté » (He 10,5.7).

Comme à Joseph, entendons l’ange nous dire : « ne crains pas de prendre chez toi Marie » (Mt 1,20). Au jour le jour, pour préparer la venue du Sauveur, de mon Sauveur qui est celui de notre monde et de notre France qui, en ses jours, a tant besoin de lui. Demandons-lui qu’elle nous apprenne comment elle méditait la venue de son Fils et conformait déjà sa vie à la sienne, dans la foi, l’espérance et l’amour.

Pascal Ide

8.12.2024
 

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